LA ZONE -

Ce con de Maurice

Le 27/07/2007
par Traffic
[illustration] J’avais un oncle borgne. La connerie aurait pu l’aveugler. Elle s’était contentée de le rappeler à l’ordre. Il s’appelait Maurice et on l’appelait Momo mais c’était vraiment minable. Moi je n’y arrivais pas très bien en vérité. Ce type vivait des prestations sociales et il en profitait pour se défoncer au pastis, à la liqueur de poire, au schnaps, à tout quoi. C’était un type à problèmes. C’était pareil là. La liste était longue. Le fric, le boulot, les femmes, le voisinage, la société, tout semblait lui inspirer du dégoût et de l’antipathie.
Moi, il m’aimait bien. J’aurai pu m’inquiéter mais, faut bien l’avouer, c’est pas trop mon genre. Je positionne l’antagonisme au rang des phénomènes utiles. Une dérive sans doute.

On s’était retrouvé un vendredi, dans un bar de la ville de Nîmes, ce lieu quand même réputé pour sa torpeur hébétante et son fort potentiel d’acrimonie. Notre objectif correspondait plus ou moins à réussir à moins s’emmerder. J’avais immédiatement traduit ça par se bourrer la gueule, essorer la gueuse jusqu’à plus soif, voire rester sur le carreau ivre mort et plus encore si affinités.
A 19h30, débarquant avec mon petit quart d’heure de retard statutaire dans un bistrot quasi désert, Maurice était déjà torché. Ca empestait l’éther dans un périmètre avoisinant le double mètre. A l’époque, j’étais moins réactif aux odeurs. Il m’était parfois arrivé de m’endormir dans des chiottes de boites de nuit. Certaines personnes de mon entourage se demandaient comment je pouvais en arriver là alors que j’apparaissais sans cesse affairé dans les bibliothèques et le nez plongé dans les livres. La littérature est un lieu de perdition éclairé, je répondais. Et puis en général, c’est à ce moment que les gens quittaient sinon la pièce, du moins la discussion.

Je me suis assis sur sa gauche. A fleuri aussitôt une belle pinte de rousse, comme par enchantement. De toutes façons, ce con de Maurice savait payer son coup. Et donc nous voila parti à descendre nos verres. On regardait qui rentrait, qui sortait. Ca bataillait dur aux heures de sortie des bureaux. Tout le monde cherchait à éviter de rentrer trop tôt chez lui. Faut dire que le week-end avec bobonne, on a vu plus marrant. Faut dire que les grognasses adultérines, ça soigne sa réputation, les célibataires, ça a peur de la solitude la nuit. Moi je pouvais en faire des tonnes sur le sujet. J’en étais arrivé à proposer une compétition du « Navrant » avec Maurice. Lui il rigolait tout le temps. Tout ce qui pouvait accompagner sa bière dans une ambiance glauque et dégradante, ça le faisait marrer. Le reste ça le faisait chier.

Pour la compétition du navrant, on avait décerné tout un tas de prix et aussi des accessits, le classement était devenu hyper particulier et en tout cas incompréhensible lorsque la pire nana possible est rentrée dans le rade.
Une pute. Même pas belle. Mais c’était la seule fille que Maurice avait jamais aimé. Je crois qu’elle regroupait l’ensemble des pathologies qu’un seul être puisse soutenir sans confiner à la démence, quoique. J’ai rien trouvé de mieux à dire que « hors concours » et ce con de Maurice m’a filé une tarte. Les regards des rares occupants se sont à peine tournés sur nous avec notre comportement et tout et tout. J’aurai pu me vexer. Je l’avais bien cherché. Elle est passée en tortillant du cul devant notre table encombrée, un vrai studio d’étudiant en riendutoulogie, cadavres de bières, partout des clopes écrasées, rien d’intéressant. En fond sonore une vague musique avec un son de juke-box.

Maurice a appelé le pingouin et lui a dit de servir un coup à la fille. A l’époque l’angoisse ne montait pas aussi vite. Les serveurs n’étaient pas formés pour éviter les emmerdes, ils s’exécutaient paisiblement.

Elle s’est approchée en dandinant avec son verre. Maurice ne rigolait plus de toutes façons rapport à son arrivée. J’avais abandonné l’espoir de croire que mon concours du « Navrant » soit vraiment quelque chose de marrant. A la limite, j’en étais satisfait.

« Alors beau gosse ? Comment ça va bien ?
-    Bonsoir beauté. Tu vois on fait un peu la fête.

Y en a qui aurait pu dire juste on se pète la gueule et puis y a ceux chez qui l’idée est connexe. Le cul de cette nana était vraiment énorme. Le corps, ça restait proportionné. Mais son cul partait dans tous les sens, le genre de bouée facile où le type un peu désespéré des choses de l’amour pouvait vraiment décider de s’arrimer.

-    Il est mignon ton copain. Mais un peu jeune pour une vieille peau comme moi. Malheureusement.

Elle dodelinait de la tête comme un ressort dément et amoureux. Il m’a donc semblé opportun d’intervenir. Ma joue cuisait toujours, c’était pas agréable. Personne n’aurait demandé un second service.

-    Ben à vrai dire, lui c’est mon tonton alors faut pas parler comme ça, madame.
-    Laisse fiston. C’est sa façon à elle de faire.

Ses yeux brillaient en regardant la pépite de son cœur. Il n’était plus ce gros ravagé pénible et scandaleux. Il était le vaillant Maurice, celui qui ne se montrait qu’en de rares occasions, pour une bagarre, une rodomontade ou là. Elle a discuté un petit moment avec Maurice, se laissant offrir boissons et propos fleuris. Moi je suis allé pisser trois fois, bu deux vodka au comptoir et un verre de whisky qui traînait sur une table. Ensuite ils sont sortis du rade. Et je pense qu’il est allé lui faire son affaire. Il faut dire qu’elle était en plein service et que Maurice avait toujours été un client comme les autres.

J’avais tellement mon compte que je me demandais dans quelle mesure si j’allais moi aussi sur le boulevard j’allais trouver l’amour. De toute façons, ça aurait été laborieux et les putes ça aime pas les ivrognes en goguette. Ou bien ça leur pique leur portefeuille. On s’en aperçoit le surlendemain quand sort la tête du piquage de nez. A ce moment, c’est monstrueux. Il n’y a plus un minuscule brin de ton ADN sur les paluches de la fille pour prouver qu’elle t’a délesté. Tout le monde niera.

Maurice est revenu et on a décampé. Il était très con Maurice et soudain en marchant dans la rue, il s’est mis à chanter une chanson d’amour en allemand en prenant très étrangement un accent belge. Enfin ça m’a fait cet effet là. Je guettais les fenêtres pour voir si quelqu’un allait finir par se décider à nous balancer une bassine d’eau dans la gueule. En fait, non. Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai entonné le chant en prenant un fort accent teuton et en faisant le salut nazi. Peut-être pour partager sa joie en plaisantant lourdement. Mon humour est parfois peu compris. Ce con m’a regardé de son œil valide. Son frère borgne lui restait planté comme un con, à dire « mais où êtes vous, où-êtes-vous bordel !! ». Et soudain, Maurice m’a balancé son poing dans la gueule. Il m’a allongé d’un bon coup de poing. Je tenais peut-être plus trop debout déjà. Mais ce qui est sûr, c’est que ce n’était pas une simple chiquenaude qui m’aurait allongé au sol ce jour là.

« Mais tu débloques mon gars ! Merde t’es vraiment taré. »

Je n’essayais même pas de répliquer. Ce con de Maurice était monté comme une quinzaine de sac de pomme de terre empilé en vrac. Il a dit, c’est rien tirons nous de là.

On essayait en quelque sorte de retrouver notre caisse. Bon compagnon, pas rancunier, Je m’étais lancé à raconter une série d’histoires abracadabrantes sur mes conquêtes féminines imaginaires. Je maîtrisais le sujet, je me les racontais à moi quand j’étais seul. Maurice était encore le dernier résistant à les entendre. Mais bon lui il résistait à tout.

Quand dans la rue, les gens parlaient de la révolution prochaine et du prix de l’immobilier, lui il tenait pas mal le coup et quand dans le posté de télé, on lui parlait de la baisse du chômage et des confectionneurs de maquette dans la France rurale, lui il luttait encore un peu. C’était une force de la nature.

Notre marche avait quelque chose de surréaliste à force de se résumer à tourner en rond. Je revoyais bien les endroits toujours les mêmes défiler et toujours pas notre voiture. On a croisé trois groupes de fêtards éméchés. Des groupes de deux ou trois. Je voyais pas l’intérêt de leur demander notre chemin. Je me suis dit que marcher dans la rue était une façon d’occuper la place. Je n’avais rien de plus à rentrer chez moi à attendre mon RMI et continuer à garder la posture de l’inaltérable. Puis j’avais la joue bleue, l’air de la nuit me frottait, je ne savais pas quel enjeu deviendrait fondamental dans les dix ans à venir. Peut-être trouver une petite brunette aux yeux clairs et tomber amoureux. Ou peut-être plus probablement frapper de mon mépris la plupart des turpitudes qui ne manqueraient pas de se présenter.

J’ai vu la voiture de Maurice dans une rue transversale garée sur un passage clouté. Je me suis mis à rire en la lui montrant et je lui ai dit « Quand on est con comme toi, on est à l’abri. »

Il m’a lancé son poing dans la gueule une troisième fois. Mais j’avais beaucoup appris de cette soirée. Je me suis baissé et je lui ai filé mon pied dans les burnes.

Après on ne s’est plus jamais revu.

= commentaires =

MonsieurMaurice
    le 27/07/2007 à 17:17:53
Je vais être obligé de changer de pseudo.
nihil

Pute : 1
void
    le 27/07/2007 à 18:13:24
Pourquoi, il est sympa le Maurice du texte.
burno
    le 27/07/2007 à 22:04:22
change pas demain
Omega-17

Pute : 0
    le 28/07/2007 à 16:20:21
Je lirai une autre fois : je suis occupé à chier un texte illisible.

C'est tellement mieux.
rts
    le 29/07/2007 à 01:57:05
RAB
Hag

Pute : 2
    le 29/07/2007 à 22:38:32
Ce texte ne m'inspire rien du tout.
C'est pas vide, c'est pas mauvais, simplement quand on a fini on en a plus rien a battre et on passe à autre chose, sans le moindre souvenir de ce qui s'est passé.
LaHyenne1
    le 31/07/2007 à 10:22:34
Ouais c'est comme une cuite au pastis.
Omega-17

Pute : 0
    le 01/08/2007 à 09:11:20
rts suit mes précieux enseignements : décidément mon aura n'en finit plus de s'étendre.

y compris dans les lieux les plus désolants. ( oui, j'ai bien dit désolants )
Mill

site lien fb
Pute : 1
    le 19/08/2007 à 19:16:37
Dans le genre tranche de vie, c'est parfait. Style personnel, incisif et vivant. Je me suis laissé porter par les mots sans trop m'intéresser à l'histoire. Tout est dans le détails, l'ambiance interlope, le côté terriblement banal d'une situation foutrement ordinaire et de ce fait archi glauque. En même temps, pour anecdotique qu'elle soit, l'histoire se tient.
Ed
    le 26/12/2007 à 04:57:10
Je trouve les trois dernieres lignes enormes .
Rien que pour le texte vaut le coup .
Puis c'est leger, ca me rappelle de bons souvenirs,
bref j'vais me remettre a boire .

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