Bien sûr, toucher à une telle réussite n’est pas simple. Eva et moi n’étions pas comme ça au début. On se donnait des petits noms tout mignons, mon lapin, ma libellule. On avait une frousse pas pensable de perdre la seule source de sexe disponible sans effort, quoi. Un jour, c’est devenu si ridicule que j’ai senti qu’il était le moment de passer définitivement à autre chose. Nous étions invité pour un énième repas de famille consternant et mon beauf s’était vautré dans une déclaration d’amour à sa femme lui demandant de se remarier avec lui devant les beaux parents sensiblement emmerdés au sujet de repasser une nouvelle fois à la caisse. Ce petit ressenti n’avait duré que le temps d’un éclair dans leurs yeux de reptile aigris car la sœur de ma femme est tout de même directrice de ressources humaines et lui dentiste. Moi qui suis observateur, je l’avais parfaitement repéré en tout cas. On comprenait que le premier passage avait laissé aux beaux parents de graves séquelles.
Quand nous étions rentré chez nous, j’avais pris le parti de ne pas aborder le sujet sous peine de palabrer dans le vide au vu que ma femme dispose tout de même d’une sacrée caisse de résonance sous l’occiput.
Par contre, et dès le lendemain, j’avais instauré une semaine officielle de la lucidité. J’avais énoncé à ma femme que les non-dits tuaient notre couple à petit feu. Avouons nous le fond des choses, redevenons sincère, abordons la pureté des sentiments, osons l’authentique.
Vaste programme !
C’est vrai que je n’avais pas regretté l’effet dopant du concept. Un « Tu deviens chauve, ça te file l’air d’un moine mexicain. Et tu pues vraiment des pieds. C’est une horreur. » m’avait parfaitement stimulé pour la suite des évènements. Je le savais de plus que je puais des pieds. Pour la connotation mexicaine, je n’y avais pas songé. Je ne voyais pas ce que pouvait bien représenter le Mexique de manière liturgique à ses yeux. J’apprenais enfin quelque chose de nouveau sur ma femme.
Moi je lui avais dans un grand élan lyrique confié qu’elle avait l’arrière des fesses qui tombait, quelque chose qu’elle avait feint de ne pas savoir. Putain c’était géant de révéler quelque chose d’aussi réel (et qui semble compliqué à balancer sans créer une déclaration de guerre nucléaire) à la personne à qui on rêve de le bramer. Oui, bramer est le mot. Le brame en rut du cerf insatisfait. Quelle délivrance, mes amis ! Tu as le cul en pente et fallait que ça sorte. J’avais pris un de ces panards. J’en avais gagné deux ans de vie à coup sûr. Une vraie délivrance thérapeutique concernant mon futur cancer du bide.
Le deuxième jour, elle pleurait tout ce qu’elle savait. Je n’avais pas à me répandre en excuses pour interrompre les flots de sanglots pour autant. Ca aussi ça valait son pesant de caouettes. L’un des grands principes de notre concept était de n’avoir ni à justifier ce que l’on disait, ni de devoir batailler pour que l’autre change d’avis. Cruel ? De toute façons, notre couple s’emmerdait. Ca faisait un bail que je ne me sentais pas plus vivant qu’un emballage sous vide Charal. Je laissais une vague lumière me traverser et une fois à l’intérieur je compressais, histoire de ne rien relâcher sous peine de moisissure instantanée.
« As-tu une dent qui pue, mon petit vieux, ou bien serait ce encore la transpiration incontrôlable de tes pieds qui remonte cette effluve pourrie jusqu’à ton haleine de baleine ? »
« Ma poulette, tes cheveux sont une parfaite évocation de la choucroute en conserve. Assez ressemblant mais au goût fort trompeur. Ce n’est pas que tu aies l’air d’une saucisse de morteau sous un tas de chou mais c’est rudement bien imité. »
« Fumer ton paquet de clopes t’a rendu physiquement bizarre. Ton teint est cendreux et ta peau est fripée. Comme quoi au bout d’un moment on les paie les clous de cercueil. »
« Ta ménopause a rendu ton vagin sec et distendu. »
C’était un festival. Nous avions passé un pic de nervosité au départ mais j’avais remarqué qu’au moins on se parlait. Voila le résultat, nous existions de nouveau un pour l’autre.
Parce qu’avant ce prodigieux concept, par la force des banalités, tout s’était inéluctablement éteint. Un temps, il avait semblé consensuel de critiquer nos amis mais même cette appréciable source de jubilation s’était tarie. Le peu d’échange avait fini par nous rendre profondément apathique. J’étais pourvu d’un encéphalogramme plat en sa présence.
Par moments, dans des sursauts hormonaux de survie, elle parcourait les supermarchés pour s’acheter quelques sous vêtement préconisés par les mags féminins. A vrai dire, j’avais l’impression de me faire refiler le même cadeau dans un emballage différent pour la dix millième fois. Essayez de faire ça à un anniversaire quelconque, vous verrez vite le résultat.
Auparavant, comme tout le monde, on en avait eu des allusions, des torpilles sous marines. Mais jamais rien d’explicite. Des myriades d’escarmouche brève et censée mettre un terme à toute velléité de conflit réel. Non belliqueux ascendant lucide, telle est mon signe du zodiaque social. En général, je glisse entre les pattes de mes adversaires et parfois, j’infiltre la base et je fais sauter la bombe atomique. Mon don d’ubiquité m’a laissé un temps indemne. Un temps.
Non je n’ai rien regretté à mon attitude. L’usage du cynisme est tout autant appréciable qu’autre chose. Le tout étant qu’il soit correctement mis en oeuvre. Qu’on ait l’impression de vivre, bordel. Avant de crever et de rendre le barda sans regrets stupides.
Et puis on découvre de petits mécanismes fort sympathiques. Ce qui est marrant avec les groupuscules humains, c’est que le sens de la contradiction natif marche tout aussi bien dans l’autre sens. Quand nous avons respecté notre contrat à nous avouer nos tendances névrotiques et nos défauts physiques irréversibles, quand nous avons eu disséqué nos pauvre parcours existentiels et mis à jour pléthore de cadavres rances mal planqués dans des alcôves minables, nous nous sommes mis à nous abreuver de nos bons côtés en dépit de et malgré tout.
J’étais un brave gars qui sait écouter là où je venais de focaliser sur une histoire bêtifiante pour en ressortir tout le pathos dénué de profondeur. Elle était pour sa part capable de me rassurer après avoir fait l’amour en fantasmant sur le type du restau d’entreprise tout en me chevauchant bruyamment et en m’aspergeant de sa sueur en me disant que c’était encore mieux comme ça que si elle l’avais fait pour de bon avec lui.
Tout ce que j’avais toujours pensé de l’humain était contenu dans ce genre de processus. Tout aussi lamentable dans le pire que dans le meilleur.
Bon, je suis passé quand même aux putes assez vite parce que la vieille et son cul comme un caddy, ça va un temps, hein. Elle, pour compenser, s’est abonné à toys magazine et comme elle est conne une fois sur deux elle appelait ce truc Toy story. Ensuite c’est la coke qui a envahi mon minuscule univers. Depuis que les enfants sont partis de la maison, pour les trucs modernes, on est obligé de se renseigner par nous même. Je suis du genre conscient qu’il est impératif de savoir se tenir à la page. Alors je me suis bougé le cul et je suis allé acheter un kit de démarrage chez un dealer qui comprenait tout au business model actuel. Il concentrait ses efforts sur la classe moyenne et pour un modique abonnement, il vous fournissait deux fois par mois. Enfin quand j’en ai eu marre de sortir de chez moi pour un résultat risible, je me suis mis à claquer du fric sur betandwin.com où j’ai curieusement remporté mon meilleur pari sur une course de tortue néo zélandaise nommée à juste titre la cérémonie de la tortue dont personne n’avais jamais entendu parler jusque là. En fait ma souris avait déconné mais j’avais gagné. C’est le principal dans la vie.
Tout ne dure qu’un temps, vous vous en doutez bien. Je n’avais pas la prétention de faire mieux que les autres avec mon stratagème. J’avais juste pensé qu’échapper au vide un temps n’avait pas de prix. Un jour, ma femme a décidé de se barrer et effet collatéral négatif, elle n’a même pas chialé quand je lui ai avoué qu’elle avait toujours été l’équivalent d’un flan au champignon pour moi. Elle m’a regardé avec empathie et a ri. Flan au champignon. Tu n’es qu’un sale gosse.
Enfin un sale vieux. Elle m’a regardé et a dit qu’encore un peu elle allait se balancer par le quatrième étage mais qu’en fait c’aurait toujours été mieux que de crever sous mon toit.
J’avais arrêté l’alcool, ce qui rendait l’intérêt d’une vie sociale proche du néant, alors je me suis consacré à scier la grande table du salon avec un couteau de cuisine. C’est autrement plus chiant qu’être bourré mais au moins tu obtiens un résultat concret au bout. Et puis au bout de six mois elle est revenue. Elle avait gardé les clés de l’appart. Elle est rentrée sans explication. J’étais à poil en train de regarder l’écran de l’ordinateur. Je devais choisir de parier sur la possibilité qu’un hamster survive dans une cuvette de chiottes à nager en rond pendant plus de trois quart d’heure. D’un côté, ça semblait tenable trois quart d’heure mais bon d’un autre coté c’est énorme sans s’arrêter et les hamsters ont de petits cœurs.
Elle m’a dit « toujours avec tes conneries sur internet. Je suppose que tu t’es branlé avant que j’arrive. Alors on baisera demain ».
Je lui ai dit « Tu peux rêver, je risque pas de te sauter mocheté. »
Elle a choisi de discuter avec une bouteille de Soho et m’a foutu la paix.
J’ai senti ce jour là une mini réalité à l’existence. C’était fort. Comme si mon cœur devenait un peu léger, c’était pas arrivé depuis longtemps. Me rappelait pas depuis quand. J’ai pris une grande bouffée de Winston et je me suis emballé en misant 50 euros sur la survie du hamster.
LA ZONE -
Depuis que l’imbuvable s’est révélé à la mode, j’ai arrêté l’alcool. Finalement ce n’était pas si dur. Ma femme me fait remarquer d’ailleurs que j’ai encore la coke, les putes et les paris en ligne pour peu que je commence à me plaindre. C’est le secret d’un mariage réussi que de parvenir à partager son moi intérieur.
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excellent. rien à dire. poilé du début à la fin. très bon sens du rythme, de la concision du lapidaire. la classe, bravo.
Sympathique écriture. Ca fonctionne, mais je ne trouve pas la chose hilarante. A la lecture, je suis devenu le personnage principal et ai assimilé son détachement, sa distance et son cynisme.
Seuls défauts à signaler :
On prend, sans être prévenu, un virage à 360°. On continue dans la même direction, mais maintenant on a vomi, on voit trouble, on a un putain de mal de crâne.
Ce que je veux dire, c'est que le passage à la drogue me semble inutile, peu crédible et n'a en plus aucun effet sur la suite de l'histoire.
Sinon, je ne vais pas me faire chier à la trouver, mais la phrase qui contient un cerf en rut est vraiment bizarre.
Pour finir, "J’ai senti ce jour là une mini réalité à l’existence."
MINI ? Même si ce n'est pas une phrase sensée être frappante, je lui ai trouvé plus d'impact et de profondeur en remplacement le mot défectueux par "petite". Pas légère, pas micro, pas lilipute. Juste PETITE, et je trouve que ça marche plutôt bien.
D'abord attiré par le résumé, j'ai été déçu par les première lignes qui semblaient moins vivantes que dans la publicité. En place d'un dialogue façon pugilat, on a droit à un vrai texte. Tant mieux, j'avais envie de lire un texte débile, et je suis tombé sur un texte qui ne l'est pas. La psychologie des personnages est bonne, enfin tout roule.
[RAH ! J'ETAIS DE SACREMENT BONNE HUMEUR LE JOUR DE LA REDACTION DE CE COMMENTAIRE. DES FOIS JE ME CHOQUE.]
commentaire édité par EvG le 2008-7-16 19:8:6
L'introduction de passages confus de socio-philosophie sur le couple de.. enf, je, j'ai pas bien tout compris à certains endroits mais je trouve que ça colle bien avec le ton du texte, celui d'un vieux loser qui commence sa recherche intérieure vers 60 balais.
"couple de.. enf, je, j'ai"
PUTAIN 9A LAG §
Ouais, ma live box est à son plus bas. Elle a subi l'attaque d'un raz de marée électrique, hier, je te dis pas.
Mouais, faudrait en parler à Pascale Breugnot pour "Psy-show", c'est bien dans l'esprit ...
pas aimé. Surement bien écrit, dans le sens où ça fait pas mal aux yeux, ça se laisse lire, c'est bien gentil, mais non, définitivement pas ce que j'attends d'une lecture, non. Dans le résumé c'est vite fait "comparé" à une série télé, eh bien, voilà, moi ça m'a donné autant de réjouissance qu'un truc marrant à la télé.
ah, et puis si, quand même, j'ai eu l'impression, mais c'est peut être juste moi hein, qu'au niveau des temps c'était pas tip top, et même un peu moche assez souvent. Rien qu'un exemple :
"Moi je lui avais dans un grand élan lyrique confié qu’elle avait l’arrière des fesses qui tombait, quelque chose qu’elle avait feint de ne pas savoir."
"J’étais un brave gars qui sait écouter là où je venais de"
Oui, en effet.
c'est sympa, c'est fluide, c'est pas prise de tete, c'est un texte qui nous fait passé un bon moment...en attendant quelque chose... je le relirai sans doute dans quelques temps...j'aime bien...
Adoré. Comme dirait Bernadette Chirac : "Ahlala, j'ai bien rigolé bordel à queue".
J'ai pas ri, mais j'ai tout de même bien aimé. C'est divertissant et bien foutu.
Mmmmmhhhh.
C'est beau, ça a un bon fumet, et ça a un goût horriblement terreux, une consistance délicieusement fourbe et gélatineuse.
Ce texte est un putain de beau flan aux champignons.
À part ça, comme disait EvG, le coup de la dope qui n'apporte rien.
Sinon, c'est marrant, c'est un peu barge, et tellement vrai...