LA ZONE -

Heraklès Navet et la normalisation du storytelling (12ème partie)

Le 12/03/2016
par Lapinchien
[illustration] Résumé des épisodes précédents : Un serial killer sème la panique en huis clos dans l'immense manoir de l'île de Tristan da Cunha où se déroule un colloque d'experts médico-légaux ayant viré à l'orgie. La sensation de claustrophobie est décuplée par un terrible ouragan qui coupe l'île du reste du monde. La narration a été trouvée morte puis l'accroche a sauvagement été assassinée, le suspens et l'intrigue ont succombé, le cliffhanger de la fin de la première saison complètement massacré, le middle twist à son tour a rapidement été exécuté, une digression s'en est suivie, terrassée avant même d'être entamée. Heraklès Navet et le captain Waterloo, mènent l'enquête alors que l'ensemble des étapes classiques qui ponctuent le déroulement d'une histoire sont éliminées les unes après les autres.
Après avoir ordonné aux survivants d'entasser le corps des morts au sommet de la barricade de livres improvisée pour bloquer l'accès à la bibliothèque, Heraklès Navet se mit à tracer des ronds et des carrés sur le tableau noir avec des craies de plusieurs couleurs. Il prenait bien soin de dessiner des arcs de cercle terminés de flèches pour bien montrer quels devaient être les mouvements de chacun dans sa stratégie. De manière assez improbable d'ailleurs, le détective belge tournait le dos au tableau et alors qu'il formalisait ses schémas tactiques, il les commentait par projection d'argumentaires synchrones :

" Nous sommes tous ici confinés dans ce que je désigne par huis clos en couches d'oignon. Je m'explique. Il y a tout d'abord l'univers qui est la première couche de l'oignon prison dans lequel nous sommes tous enfermés, univers qui nous tient à jamais éloigné de la vérité absolue, inaccessible. Puis pour simplifier les choses , la Terre est la seconde et la plus perceptible des couches amaryllidaceaenne, ce mur nous sépare à jamais de la vérité matérielle et d'espace/temps qui restera un mystère ad vitam aeternam. Simplifions plus drastiquement, il y a ensuite l'ouragan qui nous isole de la vérité de la justice des Hommes, l'île de Tristan da Cunha qui nous interdit toute forme de fuite possible et imaginable, l'immense manoir, un pénitencier labyrinthesque dans lequel comme nous l'avons expérimenté il ne fait pas bon s'aventurer. La couche d'oignon de confinement suivante est la bibliothèque qui est l'ultime sas qui nous protège théoriquement de la violence barbare de la vérité naturelle cherchant par la force des choses à éliminer le plus rapidement possible toute forme de vie inutile. La pénultième barrière prison comme vous l'aurez tous deviné est notre corps, la plus terrible des oubliettes, qui nous sépare le temps d'une vie de la vérité de l'altérité avec laquelle nous ne seront jamais en consensus et toujours en perpétuel combat."

La plupart des suspects s'était endormie pendant le brillant exposé d'Heraklès Navet. Aussi ce dernier qui s’apprêtait à conclure fit crisser ses ongles sur le tableau noir ce qui eut pour effet de tous les requinquer mais également de passablement les énerver. Quoi qu'il en fut. Il avait réussit à recapter leur attention et en ces temps troubles de disette intellectuelle il fallait savoir apprécier la moindre illusion de victoire que la vie pouvait offrir. Aussi le détective belge profita allègrement de ce moment de grâce aussi fugace fut-il. Il sentit presque poindre un orgasme mais ne voulant pas choquer le quidam il préféra alors poursuivre son exposé brillantissime, non sans avoir au préalable, projeté, vindicatif, une craie sur le front de Monsieur Fausse-Piste, le dernier à piquer un roupillon.

- "Allons Monsieur Fausse-Piste", Ironisa Heraklès Navet, "Vous qui semblez déjà savoir où je veux en venir au point d'outrageusement ronfler comme un nasique atteint de sinusite sévère, auriez-vous l'amabilité de nous dire quelle est l'ultime frontière prison de l'Allium cepa cosmique qui nous sépare de la vérité que nous cherchons à percer dans notre investigation quotidienne, car oui, je le clame haut et fort, les meurtres en série ici bas sont anecdotiques et ma stratégie consiste à découvrir la vérité ultime de l'univers pour ensuite dans un second temps, une fois tous les éclaircissements généraux dévoilés, me pencher sur cette pitoyable vérité de proximité, ce qui ne sera plus qu'une formalité, la paperasse bureaucratique inutile de la plus futile de mes considérations sur la perversion de ce monde. Pouvez-vous nous illuminer, Monsieur Fausse-Piste, alors ?"

Monsieur Fausse-Piste releva le dos et vrilla sur son fessier pour s'asseoir sur le fauteuil de style art déco dans lequel il s'était endormi, puis il éclata de rire tout en prononçant : "Le tueur en série... hu hu... oh oh..."

- "Quoi ça ?", Rétorqua Navet sur un ton sarcastique, "Mais alors vous n'avez vraiment rien écouté de ce que je racontais, pauvre cloche..."

Monsieur Fausse piste fit un bon, trébucha sur la table du buffet à volonté qui se renversa, puis se releva en plein crise d'hilarité tout en continuant à psalmodier "Le tueur en série... hu hu... oh oh..." Puis il repoussa violemment Mister Climax et Monsieur Final Twist qui avaient formé un cordon autour de ce suspect qui par son attitude devenait bien plus suspect que tous les autres. D'ailleurs tout le monde cru en premier lieu que Monsieur Fausse-Piste essayait de s'enfuir comme il courrait d'une étagère de la bibliothèque à la suivante, en renversant des dizaines de bouquins dans sa tentative de progression.

- "Mais revenez, Monsieur Fausse-Piste !", Se mit à rire Heraklès Navet à son tour, "Ne vous affolez pas. Vous avez mal compris mes intentions. Je ne vous désigne pas comme étant le coupable, voyons. Vous en seriez incapable et donc pour en revenir à mon brillant exposé sachez pour votre gouverne que la dernière de toutes les couches d'oignon qui nous sépare de la vérité est bien entendu notre individualité, cette étrange singularité qui fait que chacun de nous conçoit et appréhende le monde à sa façon, au travers de ses propres prismes, fantasmes, ignorances et certitudes et..."

Mais Monsieur Fausse-Piste se fichait pas mal du baratin d'Heraklès Navet, et il ne fuyait pas en réalité même si Mister Climax et Monsieur Final Twist avaient mal interprété ses pensées et le poursuivaient à présent pour lui péter la gueule. Il cherchait un livre particulier dans la bibliothèque et il se démenait pour tenter de le trouver. Tantôt sautillant et renversant les rangées de bouquins les plus haut placés, tantôt s'effondrant sur les étagères qui déversaient sur le pauvre homme l'intégralité des œuvres qu'elles contenaient.

Il y eu soudain un grand fracas et au détour d'une allée de la bibliothèque Messieurs Twist et Climax découvrirent le corps sans vie de Monsieur Fausse-Piste enseveli sous une avalanche de romans en édition de poche. La main du pauvre personnage dépassait de l'éboulis sous lequel il avait péri écrasé, il serrait très fort un livre qui se révéla être la biographie de Madame Agathe Mahometie, la romancière à succès qui avait signé l'intégralité des best-sellers composant la collection des aventures d'Heraklès Navet et d'ailleurs c'était bien l'éboulement de toute la collection de ces romans qui avaient chu et tué le pauvre Monsieur Fausse-Piste.

Il avait eu une pitoyable intuition sur la simple et stupide mise en parallèle du terme "tueur en série" et la sensation idiote que Madame Agathe Mahometie, instigatrice de la série navrante dans laquelle il vivotait, cherchait en écrivant vraiment n'importe quoi à saborder son propre travail, c'est à dire, devenir le tueur de sa propre série de romans. Ce jeu de mot navrant l'avait conduit vers des conclusions hâtives. Bien sûr, en tenant fermement la biographie de l'auteur, il voulait dans un dernier élan la désigner comme la coupable de toute cette mascarade désastreuse.

Le détective Heraklès Navet qui se refusait de voir son aventure sombrer dans un genre pathétique post-moderniste, conclut à une crise de folie passagère. Il ordonna qu'on jette le corps de Monsieur Fausse-Piste au sommet de la barricade bloquant les portes de la bibliothèque, là où s'amoncelaient à présent de multiples cadavres, puis le détective belge raya la seconde ligne sur le tableau noir.

= commentaires =

Muscadet

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Pute : 0
    le 12/03/2016 à 14:25:28
C'était donc bien une menace.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 12/03/2016 à 14:31:08
c'est un truc au delà de l'axe du mal de George Bush. Je pense qu'un complot planétaire se trame. Je m'en vais de suite sur change.org pour lancer une pétition pour que cesse immédiatement cette sombre escroquerie littéraire. Remboursez nos neurones !

Commentaire édité par Lapinchien.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 12/03/2016 à 15:10:08
QUAND ON ME CHERCHE? ON ME TROUVE §

https://www.change.org/p/lapinchien-lazone-org-doit-cesser-de-publier-les-nouvelles-aventures-d-herakl%C3%A8s-navet-de-lapinchien?recruiter=384412716&utm_source=share_petition&utm_medium=copylink
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 12/03/2016 à 15:21:18
https://www.youtube.com/watch?v=M9BNoNFKCBI
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 12/03/2016 à 15:35:41
HASTA SIEMPRE HERAKLES NAVET § https://www.youtube.com/watch?v=NUWBMQz2cXU
Muscadet

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Pute : 0
    le 12/03/2016 à 15:59:40
Encore un violent protestor qu'il va falloir escorter hors du meeting par les forces de sécurité.

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