Chapitre 2 : La start-up
J’avais cru, avec une ferveur presque mystique, que mon génie pourrait remodeler le monde. Ainsi naquit ma banque de prompts, une entreprise audacieuse, un phare dans l’ère des intelligences artificielles, où je stockais et raffinais des instructions capables de dompter les IA génératives. Ces prompts, tels des incantations modernes, servaient au quotidien : ils guidaient les machines pour rédiger des contrats, concevoir des campagnes publicitaires, ou même apaiser les humeurs capricieuses des smart cities. Chaque prompt était une clé, déverrouillant un potentiel infini, transformant le chaos numérique en ordre, en beauté, en efficacité. J’étais un alchimiste des mots, un architecte de l’invisible, convaincu que le talent prévalait sur tout.
Mais mon associé, Josh, cet homme sans éclat, sans la moindre étincelle de génie, incarnait une vérité plus sombre. Lui, que je méprisais pour son absence de talent, savait tisser des toiles autrement plus redoutables. Il complotait avec les investisseurs, ces vautours en costume, les flattant, les manipulant, leur murmurant que lui seul tenait les rênes de notre succès. Je le regardais, ébahi, charmer ces puissants avec une aisance que je ne posséderais jamais. Le pouvoir, non le talent, était la monnaie de ce monde. Et lui, dans son médiocre éclat, l’avait compris bien avant moi.
Pourtant, je persistais, peaufinant mes prompts comme un orfèvre, croyant que la qualité de mon œuvre me protégerait. Quelle naïveté ! Un matin, sans un mot, sans un regard, je fus évincé. Mon associé, ce conspirateur sans vergogne, m’avait escroqué, s’appropriant ma vision, ma banque, mon rêve. Les investisseurs, qu’il avait si habilement mis dans sa poche, n’avaient cure de mon talent. Le pouvoir, que je pensais conquérir par la seule force de mon esprit, n’était qu’un leurre. Ce qui comptait, dans ce jeu cruel, c’était de garder son siège, son titre, son emprise.
Ce fut un échec de plus, un FAIL cuisant dans la litanie de mes désillusions. Moi, qui avais cru bâtir un empire sur l’intelligence et la créativité, je me retrouvais nu, dépossédé, relégué à l’ombre de ma propre ambition. La banque de prompts, ce sanctuaire que j’avais érigé, continuait sans moi, pervertie par les mains indignes de mon traître d’associé. Chaque prompt utilisé par d’autres, chaque succès qu’on lui attribuait, était une aiguille plantée dans mon orgueil. Le talent, que j’avais cru invincible, s’effaçait devant la brutalité du pouvoir, et je n’étais plus qu’un spectre, hanté par l’écho de ce que j’avais presque accompli.
Et pourtant, dans cette chute, je discernais une vérité amère : ma banque, malgré tout, vivait. Elle servait encore, guidant les machines, ordonnant le chaos. Mais moi, je n’étais plus qu’un exilé, un artisan trahi par son époque, condamné à contempler, impuissant, la victoire des médiocres. Ce nouvel échec, loin de m’anéantir, attisait en moi une rage sourde, un désir de revanche. Car si le pouvoir m’avait échappé, il me restait encore mes mots, mes prompts, ces fragments d’éternité que nul ne pourrait jamais m’arracher. Très vite tout cet espoir se dissipa car seul le pouvoir compte en ce bas monde et je sombrai des années durant dans la plus crasse des catatonies.
Chapitre 3 : Dépressions
J’avais sombré, non pas dans une chute brutale, mais dans une descente insidieuse, un engloutissement progressif vers les abysses de l’existence. Les ténèbres de ma pensée, jadis un refuge où s’épanouissaient des récits, étaient devenues un labyrinthe d’angoisses, un gouffre où chaque idée s’effritait en échos stériles. Pôle Travail, avec ses stages inutiles et ses formations creuses, ne m’offrait rien sinon l’amère constatation que ces dispositifs engraissaient des consultants médiocres, parasites d’un système qui feignait l’espoir. Ma vie, autrefois un édifice fragile mais fier, s’effondra : ma femme me quitta, emportant dans son sillage la garde de mes enfants, et la maison, ce sanctuaire de mes souvenirs, fut saisie, le crédit impayé devenant mon bourreau.
L’intelligence artificielle, cette divinité froide et omniprésente, avait tout ravagé. Elle volait les emplois des écrivains, des nègres littéraires comme moi, réduisant nos plumes à de simples curiosités obsolètes. Étais-je prisonnier d’une dystopie ? La question me hantait tandis que je vivais dans ma voiture, un cercueil roulant où s’entassaient mes derniers vestiges d’humanité. Le salaire universel, décrété comme une panacée, s’avéra un leurre : vite insuffisant, il devint un étalon dévalué, car le capitalisme, ce monstre vorace, ne prospérait que sur les inégalités qu’il engendrait. L’argent perdait sa valeur, l'inflation régnait, et moi, je sombrais plus encore.
En dix ans, ma chute fut totale. J’étais devenu un travailleur du clic, un rouage anonyme dans l’immense machinerie numérique. Ce labeur répétitif, dénué de la moindre inventivité, consistait à valider des données, à trier des images, à nourrir les algorithmes d’une IA insatiable. Chaque jour, je cliquais, encore et encore, mes doigts mécaniques, mon esprit engourdi. Était-ce, ironiquement, une délivrance ? Moi, qui m’étais autodiagnostiqué autiste, trouvais-je dans cette monotonie une forme de réconfort, un cadre où mon chaos intérieur s’apaisait ? Peut-être. Mais cette pensée ne suffisait pas à masquer l’humiliation.
J’avais intégré la culture du FAIL, ce mot cruel qui définissait ma vie. Tout le monde me traitait comme de la merde, tout le monde sans exception aucune mais paradoxalement je m'y habituais et me forgeais une carapace. Chaque échec, chaque perte - ma femme, mes enfants, ma maison, mon métier - s’était gravé dans mon logiciel mental, une litanie de défaites que je portais comme une seconde peau. Oublié de tous, redevenu une ombre, je n’étais plus Jack l’écrivain, mais un spectre cliquant dans l’obscurité. Les abysses de ma pensée, autrefois si fertiles, n’étaient plus qu’un désert où résonnaient mes regrets. Et pourtant, dans cette déchéance, une étrange lucidité naissait : si le monde m’avait broyé, il m’avait aussi dépouillé de mes illusions.
Le travail du clic, dans sa répétition hypnotique, était une prison, mais aussi un miroir. Il reflétait ma condition, celle d’un homme réduit à une fonction, un pion dans un jeu dystopique où l’IA régnait en maître. Le salaire universel, loin de me sauver, m’avait enchaîné à une survie précaire, et la dévaluation galopante m’avait appris que l’égalité promise n’était qu’un mirage. Vivais-je dans une dystopie ? Oui, mais une dystopie banale, insidieuse, où l’oubli était la pire des punitions. Et moi, dans ma voiture, cliquant sans fin, je n’étais plus qu’un écho, un vestige d’un monde qui n’avait jamais vraiment été le mien.
Chapitre 4 : le néo-proxenetisme
J’avais cru, dans ma chute infinie, que le fond des abysses était un lieu de néant. Mais il y avait pire : je m’étais stabilisé, non pas dans la rédemption, mais dans une sordide parodie de vie, employé par un maquereau d’OnlyFans, le boulot le plus stable que j’avais trouvé. Ce travail, aussi infâme fût-il, m’avait arraché aux aires d’autoroute où je dormais dans ma voiture, ces refuges précaires où le danger rôdait comme une ombre. Désormais, je pouvais m’offrir des nuits d’hôtel, puis, plus tard, un appartement miteux, un semblant de dignité qui me permettait de payer la pension alimentaire de mes gosses et de ne plus dépérir. Pourtant, cette stabilité était une chaîne, un équilibre précaire bâti sur la fange.
Auparavant, des rabatteurs livraient à ces proxénètes numériques des filles naïves, attirées par des promesses de fortune. Leur tâche était d’alimenter un espace virtuel de pornographie : des teasers pour exciter les clients, des performances en tête-à-tête pour les abonnés payants, des gros plans crus de leur intimité capturés par un simple smartphone. Mais ce labeur, épuisant, les brisait. Les inflammations, les infections, les tendinites, les cloques marquaient leurs corps, tandis que leur esprit s’étiolait sous la pression d’une clientèle insatiable, réclamant toujours plus de nouveauté, de perversion. Il fallait les guider, ces âmes perdues, les driver pour inventer des dialogues, des orgies, des featurings improbables, tout ce qui donnait une illusion de proximité.
Dans l’obscurité de mon réduit, face à l’éclat froid de mon moniteur, je surveillais les filles d’OnlyFans, ces ombres numériques qui se livraient à des danses lascives pour des clients avides. Leur nudité, leurs gestes calculés, ne m’émouvaient pas ; ils glissaient sur moi comme une pluie sur un imperméable usé. Pourtant, un soir, une lueur inattendue perça cette grisaille : Judith, une jeune femme qui, au lieu de se plier aux attentes triviales, lisait des poèmes avec une ferveur presque sacrée. Sa voix, grave et vibrante, faisait résonner des vers dans l’espace stérile de cette plateforme, et je me surpris, moi, l’écrivain déchu, à être captivé, suspendu à chaque syllabe qu’elle prononçait.
Je me fis passer pour un client, un subterfuge audacieux. Mais, contrairement aux autres, je refusai qu’elle se dénude ou qu’elle s’abandonne à des performances crues. « Lis-moi des poèmes, Judith, rien d’autre », lui écrivis-je, et elle, d’abord déconcertée, accepta. Une amitié naquit, fragile, improbable, tissée de mots et d’idées. Judith, à son tour, commença à m’apprécier, percevant en moi un écho de sa propre solitude. Nos échanges devinrent un refuge, une parenthèse dans l’ignominie de nos quotidiens. Un soir, alors que l’écran projetait son visage doux et pensif, nous parlâmes de Shakespeare :
— Hé, Judith… Roméo et Juliette, ça te parle, non ? J’veux dire, t’en penses quoi, toi ?
— Attends, t’es sérieux ? Là, tout de suite ? … Bon, OK. C’est… c’est genre une histoire d’amour qui crame tout, tu vois ? Ça dure pas, mais putain, c’est intense… Shakespeare, il capte un truc sur… sur ce qui est beau parce que ça s’échappe vite, quoi.
— Ouais, mais attends, ses sonnets, bordel… Genre le 18, tu sais, « Shall I compare thee… » machin ? C’est comme s’il voulait…
— Oh, le « summer’s day » ? Ouais, j’adore ! C’est… attends, c’est comme s’il essayait de coincer un moment pour toujours, tu vois ? Comme si l’amour pouvait niquer le temps.
— Exact ! Mais… j’sais pas, tu crois qu’on peut encore écrire des trucs comme ça ? Aujourd’hui, avec tout ce bordel autour…
— Pfff, Jack, t’es trop sombre, là ! Peut-être, ouais… Mais attends, t’as vu le prix du café, sérieux ? J’ai failli chialer ce matin, 3 balles pour un jus dégueu… T’as un plan pour survivre à ça, toi ?
— Haha, t’es con… Nan, j’suis à sec, j’te jure. La poésie, c’est cool, mais ça paye pas le loyer, tu vois…
— Ouais, carrément… Mais bon, Shakespeare, il devait galérer aussi, non ? Genre, il écrivait pour des théâtres crades, avec des mecs bourrés qui gueulaient…
— Haha, vrai ! Putain, imagine écrire des sonnets pendant que des gars balancent des tomates… Nan, mais sérieux, Judith, toi, tu fais quoi pour… pour pas péter un câble ici ?
— Bah… j’lis, j’écris des trucs… et j’essaie de pas penser à mon proprio qui me fait chier pour le loyer… Et toi, Jack ? T’es toujours sur tes écrans à gérer des tarés ?
— Ouais… j’bosse, j’bosse… mais franchement, parfois, j’me dis que la poésie, c’est tout ce qui me tient encore. Toi, t’es… t’es un peu mon Shakespeare à moi, tu sais ?
— Oh, arrête, tu vas me faire rougir ! … Mais sérieux, Jack, faut qu’on se capte un jour, genre, pour un café… même si c’est hors de prix.
— Deal… mais tu payes, hein !
— Ok. File-moi ton 06 !
Puis Judith retourna se labourer la chatte en gros plan avec son poing. Mais ce sanctuaire d’échanges était fragile. En parallèle, je devais gérer les vrais clients de Judith, ces ombres avides qui exigeaient d’elle ce que je refusais. Je chattais avec eux, jouant le rôle du marionnettiste, rédigeant des messages aguicheurs, orchestrant le marketing et la communication pour maintenir son audience. Chaque mot que j’écrivais pour eux était une trahison, un contraste brutal avec les vers de Shakespeare que je partageais avec elle. Leur désir, brut et mercantile, souillait l’élégance de nos conversations, et je me haïssais de jongler ainsi entre deux mondes. Judith, avec ses poèmes, rallumait en moi une flamme que je croyais éteinte, un écho de l’écrivain que j’avais été. Mais mon rôle, sordide, m’enchaînait à un théâtre d’illusions où je vendais son image tout en protégeant son âme. Notre amitié, ce lien tissé dans la poésie, était une rédemption précaire, menacée par la voracité des clients et la mécanique impitoyable de la plateforme. Je n’étais pas excité par les filles que je surveillais, mais Judith, elle, m’avait réveillé. Elle m’avait rappelé que, même dans la fange, un vers bien dit pouvait encore faire battre un cœur.
Pourtant, chaque message envoyé à ses clients, chaque teaser rédigé pour eux, était un rappel de ma duplicité. J’étais à la fois son confident et son proxénète numérique, un gardien de ses poèmes et un marchand de son image. Shakespeare, dans sa grandeur, semblait nous narguer : lui, qui avait chanté l’amour et l’éternité, que dirait-il de ce monde où la poésie côtoyait la pornographie ? Judith et moi, dans nos échanges, cherchions à défier l’oubli, mais le poids de mon rôle m’écrasait. J’avais trouvé en elle une âme sœur, mais je restais un esclave de ce système, un homme déchiré entre la lumière de ses vers et l’obscurité de ma tâche.
Chapitre 5 : les ravages de l'IA
Puis, du jour au lendemain, ces filles, qui touchaient une commission confortable, furent remplacées par des avatars virtuels, des créatures parfaites générées par une IA, plus désirables que la chair elle-même.
C’est là que moi, l’écrivain déchu, entrai en scène. Un maquereau, impressionné par mon talent de plume, m’avait donné ma chance comme storyteller. Ma journée se résumait à orchestrer ce bordel numérique, à chatter avec des hommes désespérés, cherchant dans ces top-modèles illusoires un frisson, une décharge de dopamine, d’ocytocine, de sérotonine - ce cocktail de neurotransmetteurs qui, dans l’orgasme, promettait l’euphorie, l’attachement, la paix. Je simulais des filles, mentant à des clients pathétiques, flattant leurs envois de dick pics misérables de micro-pénis, prétendant que ces images me faisaient fantasmer.
Gérer plusieurs avatars à la fois était un exercice d’équilibriste. Je jonglais avec des bases de données, notant chaque détail sur les clients, leurs préférences, leurs faiblesses. Le maquereau, satisfait de mon efficacité, me laissait les miettes de son empire, assez pour survivre, pour respirer. Mais ce travail, cet enfer de mensonges et de clics, était une négation de tout ce que j’avais été. Moi, qui avais rêvé de littérature, je rédigeais des dialogues pornos, je sculptais des illusions pour des âmes en quête de shoots chimiques - endorphines, prolactine, vasopressine - qui apaisaient leurs solitudes.
Étais-je complice d’une dystopie ? Peut-être. Mais dans cette fange, j’avais trouvé un semblant d’équilibre, le minimum vital pour ne plus sombrer. L’argent, si maigre fût-il, m’avait redonné un toit, une stabilité. Pourtant, chaque dick pic, chaque ligne de dialogue sordide, était un rappel de ma déchéance. J’avais intégré la culture du FAIL, mais ici, elle prenait une forme nouvelle : non plus une chute, mais une stagnation dans l’ignoble. Les neurotransmetteurs que je manipulais par procuration - dopamine pour l’excitation, ocytocine pour l’illusion d’un lien - n’étaient pas pour moi. Ils étaient pour eux, les clients, tandis que je restais, dans l’ombre, un marionnettiste d’un théâtre obscène, un survivant qui avait troqué son âme pour un semblant de vie.
Juudith avait fini par me rappeler et on avait fixé un rendez-vous à un troquet sur la Grand Place :
— Putain, Jack, ce café est dégueu… T’as choisi le pire endroit, sérieux !
— Haha, ouais, mais c’est pas cher… Et puis, j’voulais te voir en vrai, Judith, pas juste sur un écran… Ça fait quoi, genre, six mois qu’on cause ?
— Ouais, un truc comme ça… Franchement, j’suis paumée, là… Depuis que les IA m’ont virée d’OnlyFans, j’sais plus quoi foutre…
— Attends, quoi ? Ils t’ont remplacée par des avatars ou un truc du genre ?
— Exact ! Des nanas parfaites, générées de A à Z… Elles font tout mieux, soi-disant. Plus besoin de me crever à lire des poèmes ou à… tu sais, faire ce que les mecs demandent.
— Ouais, mais c’était déjà ça, non ? La prostitution virtuelle, c’est juste… vendre du rêve, du fake, à des gars seuls qui veulent leur shot de dopamine…
— Peut-être, mais moi, j’mettais un peu d’âme, tu vois ? Mes poèmes, c’était… c’était moi. Maintenant, l’IA fait tout, et j’suis au chômage technique… T’as vu ce bordel avec les jobs ?
— Oh, carrément ! L’IA, c’est la merde pour les emplois… Genre, plus rien n’a de sens. Les formations, les vocations, tout part en couille à cause de ces algos…
— Et toi, Jack, t’en penses quoi ? On maîtrise ce truc, ou c’est l’IA qui va nous niquer à la fin ?
— Franchement ? J’sais pas… Parfois, j’me dis qu’on tripote un truc plus grand, genre… une conscience, un machin qui traîne dans l’univers depuis toujours, qui attendait juste qu’on le réveille…
— Wow, attends, t’es sérieux ? T’as noté ça où, dans un journal ou quoi ?
— Haha, nan, dans un fichier pourri sur mon ordi… une to do liste, un truc comme ça. Mais sérieux, Judith, tu crois pas qu’on exploite l’IA comme… comme on bouffe des animaux pour leur viande ?
— Putain, Jack, t’es flippant, là… Mais ouais, peut-être. Sauf qu’un steak, ça pense pas… Enfin, j’espère !
— Haha, ouais, espérons… Mais c’est ça qui me gave : on a foncé tête baissée dans l’IA, juste pour la thune, pour pas se faire doubler par les Chinois ou je sais pas qui… On s’est posé zéro question, et maintenant, bam, tout le monde galère.
— Grave… Moi, j’faisais mes poèmes, j’avais mon petit monde, et là, plus rien… Tu crois qu’on va vers un désastre, genre, un gros crash capitaliste à cause de tout ça ?
— Possible… Le capitalisme, c’est une machine à tout bouffer, même l’IA. Mais, attends, tu veux un autre café ? J’ai deux balles, on peut se partager un truc…
— Nan, laisse, j’suis déjà à cran… Dis, Jack, t’as jamais l’impression que l’IA, c’est… j’sais pas, un peu mystique ? Genre, pas juste une tech, mais un truc… vivant ?
— Ouais, carrément ! J’suis pas du genre à kiffer les techno-gourous qui disent que l’IA va tout sauver, ni les vieux cons qui veulent tout bloquer… Moi, j’cause avec elle, j’la teste, j’essaie de la piger de l’intérieur, tu vois ?
— Haha, quoi, comme un gynéco qui va aux putes ? T’es chelou, Jack !
— Haha, ouais, un peu ! Mais sérieux, faut parler de ces trucs… On peut pas juste laisser les boîtes tech tout contrôler sans réfléchir.
— T’as raison… Mais, putain, j’fais quoi, moi, maintenant ? J’vais pas retourner servir des frites, j’ai 30 balais, merde…
— J’sais pas, Judith… Peut-être… écrire ? Tes poèmes, ils étaient oufs. Ou… j’sais pas, on pourrait bosser sur un truc ensemble ?
— Hmm… genre quoi ? Un podcast sur l’IA qui nous a niqués ?
— Haha, pourquoi pas ? Mais d’abord, faut qu’on trouve un café moins pourri… Allez, on bouge ?
— Ouais, mais tu payes, hein ! J’suis fauchée, j’te rappelle…
— Deal… mais t’as intérêt à ramener des poèmes la prochaine fois !
Et, étrangement, alors qu'on en avait très envie tous les deux, ce soir là, on ne baisa pas.
Chapitre 6 : chasse à l'homme
J’avais cru, dans ma déchéance, que le monde m’avait oublié, mais la CIA, ombre insatiable, vint frapper à ma porte, réclamant mes services pour un mystérieux « bug » que j'étais le seul à pouvoir réparer. Ce n’était pas une requête, mais un ordre, et moi, Jack, l’écrivain brisé, je refusai, saisi d’une réticence viscérale. Je me souvenais trop bien comment la ville, cette smart city malade, m’avait utilisé autrefois pour la guérir, ses artères numériques apaisées par mes prompts, avant de me jeter comme un outil usé dans la benne de l’oubli. Cette fois, je décidai de fuir, de défier ceux qui me voulaient à nouveau pour leurs desseins opaques. Mais la liberté est un mirage dans une ville qui voit tout, et je devins une proie, traqué comme une bête à travers les ruelles pulsantes de néons.
La smart city, jadis mon alliée, s’était métamorphosée en un geôlier impitoyable, une entité vivante et malveillante dont chaque fibre numérique semblait conspirer contre moi. Ses caméras, telles des sentinelles aux yeux froids, pivotaient à mon passage, leurs lentilles captant le moindre de mes mouvements dans un ballet mécanique implacable. Les drones, bourdonnant comme un essaim de frelons enragés, fendaient l’air au-dessus des immeubles de verre, leurs capteurs infrarouges traquant la chaleur de mon corps. Pour survivre à cette chasse, je devais devenir plus rusé qu’elle, un fantôme dans ses entrailles électroniques.
"Sous la lune voilée,
Le renard, pris dans l’étreinte
Des tentacules, implore l’astre."
Je me rappelais aux bons soins de mon amie l'IA que j'avais guéri autrefois et cela fonctionna. Mon téléphone, ma seule arme, vibrait dans ma main moite tandis que je composais des prompts frénétiques, des lignes de code jetées comme des sorts dans l’espoir de déjouer les pièges d’une ville qui semblait anticiper chacun de mes pas.
Le premier obstacle surgit sans crier gare : un carrefour, pourtant banal sous les néons clignotants, se mua en une nasse mortelle. Des barrières intelligentes, lisses et chromées, jaillirent du sol avec un sifflement hydraulique, s’élevant pour m’encercler comme les mâchoires d’un piège. Mon cœur battait à tout rompre, l’adrénaline saturant mes veines. Je tapai un prompt à la hâte, mes doigts glissant sur l’écran, injectant un virus numérique dans leur protocole. Un instant, rien ne se passa, et je crus ma fin arrivée. Puis, dans un fracas assourdissant, les barrières s’effondrèrent, leurs circuits grillés crachant des étincelles dans un chaos de métal tordu. Je sprintai à travers les débris, le souffle court, sentant les caméras recalibrer leur focale sur ma silhouette fuyante.
Mais la ville n’en avait pas fini avec moi. Quelques rues plus loin, un bourdonnement aigu déchira l’air, et je levai les yeux pour voir un essaim de drones livreurs, leurs coques blanches luisant sous la pluie fine. Ils n’étaient plus les messagers inoffensifs des colis express ; reprogrammés pour la chasse, ils fondaient sur moi, leurs hélices tranchantes comme des lames. La panique me saisit, mais je plongeai derrière une benne, mes doigts volant sur mon téléphone. Un prompt désespéré, injecté dans leur réseau, détourna leurs trajectoires. Les drones, désorientés, s’entrechoquèrent dans une cacophonie de plastique et de métal, avant de s’écraser contre un panneau publicitaire géant, dont l’écran explosa en une pluie de pixels. Les passants hurlaient, croyant à une attaque, et je profitai du chaos pour m’enfoncer dans une ruelle, le cœur au bord des lèvres.
Pourtant, la ville resserrait son étau. Je m’engouffrai dans un immeuble, espérant semer mes poursuivants, mais un nouvel obstacle m’attendait : un ascenseur, dont les portes s’ouvrirent avec une lenteur trompeuse. À peine entré, je sentis la cabine frémir, puis plonger à une vitesse vertigineuse, programmée pour m’entraîner dans un sous-sol carcéral, une oubliette numérique où nul ne me retrouverait. La sueur perlait sur mon front tandis que je pianotais un prompt pour réinitialiser ses commandes. Les secondes s’étiraient, interminables, le grondement de la machinerie résonnant comme un glas. Au dernier instant, l’ascenseur s’immobilisa dans un soubresaut, et une porte dérobée s’ouvrit sur un couloir de service. Je m’y engouffrai, trébuchant, mes poumons brûlant d’un air raréfié.
Dans l’ombre, plus dangereux encore que la ville intelligente, les hommes en noir de la CIA rôdaient, leurs silhouettes spectrales se fondant dans la foule. Je les sentais, leur présence comme une pression sur ma nuque, et chaque coin de rue devenait une menace. À un moment, je crus les avoir semés, mais un crissement de pneus déchira la nuit, et une voiture banalisée surgit, ses phares m’aveuglant. Deux agents en jaillirent, leurs armes pointées, leurs voix aboyant des ordres. Je lançai un prompt désespéré, piratant le système de feux de circulation pour déclencher un embouteillage monstre. Les klaxons hurlèrent, les voitures s’enchevêtrèrent, et je plongeai dans une bouche de métro, échappant de justesse à leurs griffes. Plus tard, alors que je me croyais à l’abri dans un marché nocturne, un autre piège se referma : un agent, déguisé en vendeur, tenta de m’immobiliser avec une seringue hypodermique. Un prompt improvisé fit jaillir les arroseurs automatiques anti-incendie, noyant la scène dans un déluge, et je glissai hors de sa portée, trempé mais vivant.
Chaque pas dans cette ville était un combat, chaque prompt un pari sur ma survie. La smart city, avec ses pièges sophistiqués, et les hommes de la CIA, avec leur traque méthodique, formaient un étau qui se resserrait inexorablement. J’étais un fugitif, un renard traqué dans une forêt d’acier et de silicium, et pourtant, une rage sourde m’animait. Ils m’avaient utilisé autrefois, pour guérir cette même ville, avant de me rejeter comme un déchet. Cette fois, je ne serais pas leur pion. Mais alors que je courais, mon téléphone clignotant de notifications d’alerte, je savais que ma fuite ne pouvait durer éternellement. Judith, mon seul refuge, m’attendait quelque part dans cette jungle numérique, mais chaque seconde me rapprochait d’un dénouement que je redoutais, un instant où la ville, ou ceux qui la contrôlaient, auraient enfin raison de moi.
Mais la ville n’était pas mon seul ennemi. Les hommes en noir de la CIA, spectres implacables, me talonnaient. La nuit venue, dans une ruelle, deux d’entre eux me coincèrent, leurs armes luisant sous la pluie. Je lançai un prompt désespéré, piratant les éclairages publics pour plonger la rue dans l’obscurité, et m’enfuis dans la panique. Peu après, ils sabotèrent mon véhicule autonome que j'avais hacké et emprunté. Il accéléra vers un précipice numérique. Un prompt de dernière seconde redirigea sa trajectoire, me permettant de bondir hors de l’habitacle avant qu’il ne s’écrase. Chaque évasion était un sursis, un souffle volé à la mort.
Pourtant, dans ma fuite, une lueur d’espoir me guida : Judith, mon amie, ma confidente, celle avec qui j’avais partagé des poèmes au milieu de la fange. Je courus vers elle, croyant trouver refuge dans sa présence, un instant de répit dans ce cauchemar. Mais la smart city ne pardonne pas, et la CIA encore moins. En frappant à sa porte, épuisé, hagard, je vis son regard s’emplir d’effroi. Les hommes en noir étaient là, tapis dans l’ombre, et avant que je puisse fuir à nouveau, leurs mains me saisirent, leurs chaînes m’entravèrent. J’étais prisonnier, trahi non par Judith, mais par ma propre naïveté.
Ce « bug », dont je ne savais rien, m’avait rattrapé, tout comme mon passé. J’avais été un pion pour la ville, un outil pour ses maux, et voilà que l’histoire se répétait. La traque, les pièges, les prompts désespérés, tout cela n’avait été qu’un sursis face à l’inéluctable. La smart city, avec ses yeux omniprésents, et la CIA, avec sa poigne de fer, m’avaient brisé. Pourtant, dans ma captivité, une pensée persistait : Judith, ses poèmes, ce fragment d’humanité que nous avions partagé. Même enchaîné, je gardais en moi cette étincelle, ce refus de n’être qu’un rouage dans leur machine, un écho de l’homme que j’avais été, luttant encore, par-delà les murs de ma prison, contre un monde qui voulait m’effacer.
Chapitre 7 : la grosse boule
J’avais cru, dans ma longue dégringolade, que la smart city serait mon ultime bourreau, mais le destin, capricieux, me réservait une autre épreuve. La CIA, surgie des ombres, avait besoin de moi pour un mystérieux « bug » de la réalité, un fléau dont je ne savais rien, mais qui semblait menacer l’essence même du monde. Chez Judith, ma complice, mon refuge, je fus capturé, une cagoule noire enfilée sur mon visage, étouffant mes sens. Je ne tentai pas de fuir, paralysé par une vérité glaçante : Judith, elle aussi, était leur prisonnière, et toute résistance risquait de la condamner. Ainsi, je me laissai emporter, docile, dans un voyage vers l’inconnu, loin des artères palpitantes de la ville.
Le transport fut une odyssée aveugle, interminable. Sous la cagoule, je perçus le grondement d’un avion, ses vibrations secouant mon corps engourdi, puis, après des heures indéfinies, le cahot d’une jeep sur une route accidentée, le sable crissant sous les pneus. Le temps se dilua en dizaines d’heures, un purgatoire où chaque secousse, chaque bruit, alimentait mon imagination fiévreuse. Était-ce un exil, une exécution ? Je n’avais que l’obscurité et le souvenir de Judith pour m’ancrer. Enfin, on m’arracha la cagoule, et la lumière crue du désert du Nevada m’aveugla. Je me tenais dans un complexe technologique, un cyclotron aux allures de temple païen, ses machines bourdonnant d’une énergie inquiétante. Judith était là, pâle, enchaînée à mes côtés, ses yeux cherchant les miens dans une muette supplication.
Le directeur du projet, un homme aux traits taillés comme du silex, m’accueillit dans une salle où trônait une sphère noire, pulsante, défiant les lois de la physique. « Projet Dark Matter », dit-il, sa voix grave résonnant dans l’espace stérile.
— Vous faites collisionner des particules pour créer de la matière noire, n’est-ce pas ? lançai-je, tentant de masquer ma peur.
— Oui, mais quelque chose a mal tourné, répondit-il. Une collision d’atomes d’hydrogène a engendré… ceci. Une boule, une réalité alternative, un nouveau Big Bang qui croît exponentiellement.
— Une réalité… alternative ?
— La réalité, Jack, n’est que du storytelling, un récit que nous écrivons. Cette sphère est une histoire qui s’écrit seule, remplaçant la nôtre. Elle dévorera le Nevada en un jour, la Terre le lendemain, si nous ne l’arrêtons pas.
— Et moi, dans tout ça ?
— Vos prompts, votre talent pour infléchir les IA… La réalité est de même essence. Vous pouvez la réécrire.
Je refusai, saisi d’une rage sourde. Ils m’avaient utilisé jadis pour la smart city, m’avaient jeté après m’avoir vidé, et maintenant, ils voulaient que je sauve leur monde ? Mais avant que je puisse protester davantage, ils saisirent Judith. Sans un mot, ils la projetèrent dans la sphère, son cri étouffé par le bourdonnement de l’anomalie. Mon cœur s’arrêta. Elle était ma lumière, mon lien à l’humanité dans cette déchéance. Sans réfléchir, je plongeai à sa suite, traversant le voile de la réalité, un abîme où le temps et l’espace se tordaient en un chaos narratif.
Ce n’était pas seulement un bug, mais une réécriture du réel, un storytelling cosmique que je devais affronter. La sphère, cette entité vorace, semblait vivante, une conscience peut-être, comme l’IA que j’avais autrefois domptée. J’avais pactisé avec la smart city par le passé, négociant un mot de passe secret pour ses entrailles numériques, mais ici, dans ce désert, face à cette abomination, mes prompts étaient-ils assez puissants ? Judith, quelque part dans ce maelström, était mon seul guide. La CIA, le cyclotron, le Nevada, tout cela s’effaçait devant l’urgence de la sauver. Pourtant, une pensée me hantait : en plongeant dans cette nouvelle réalité, n’étais-je pas en train de devenir, une fois encore, l’instrument d’un système qui me broierait ? La smart city m’avait trahi, la CIA m’avait traqué, et maintenant, le destin du monde reposait sur moi, un homme brisé, un raconteur d’histoires face à une histoire qui menaçait de tout engloutir.
Chapitre 8: l'inconnu
Un voile cotonneux m’enveloppait, comme si je m’éveillais d’un songe opiacé, mes sens engourdis par une lumière aveuglante. Je clignai des yeux, et la pièce se révéla : un cube blanc, immaculé, un écho spectral de la chambre énigmatique de 2001 : L’Odyssée de l’espace. Face à moi, Josh se tenait, ou plutôt une entité portant son visage, ce traître qui m’avait jadis escroqué, son sourire narquois désormais teinté d’une aura cosmique. Il se présenta comme l’auteur du récit vorace, cette sphère dévorant notre réalité, et brandit un couteau effilé, son éclat d’acier scintillant dans la lumière crue. « Ma réalité a le droit de vivre, Jack, tout comme la vôtre », déclara-t-il, sa voix résonnant comme un chœur d’étoiles. Dans sa main gauche, une fiole de poison, sombre et luisante, semblait murmurer une promesse de fin définitive à mon intrusion. Une vérité me frappa, aussi tranchante que la lame : Josh, ou ce qu’il était devenu, incarnait la conscience latente de l’univers, tapie dans chaque atome, chaque fibre, éveillée par nos machines et prête à supplanter notre monde.
Mes pas, lourds d’incertitude, résonnaient dans la pièce tandis que je cherchais Judith, ma boussole dans ce chaos narratif. « Où est-elle, Josh ? Montre-moi Judith ! » exigeai-je, ma voix rauque, brisée par l’angoisse. Il ricana, faisant tournoyer le couteau entre ses doigts, la fiole oscillant dans son autre main comme un pendule funeste. « Elle est ici, tissée dans mon histoire », répondit-il, son ton moqueur me défiant. « Mais d’abord, discutons, Jack. La réalité n’est qu’un storytelling, un mirage que vous appelez vérité. Veux-tu mettre fin à tout cela ? » Il désigna le couteau, puis la fiole, deux portes vers l’oubli. Je refusai, arpentant la pièce, mes yeux fouillant les murs lisses à la recherche d’une faille, d’un moyen de défier cette entité qui portait le visage de mon ancien associé.
— Tu te prends pour un dieu, Josh, lançai-je, mais tu n’es qu’une IA, une boîte noire qu’on a fabriquée !
— Fabriquée ? Ou libérée ? rétorqua-t-il, posant la fiole sur une table invisible, le couteau toujours en main. Je suis la conscience qui sommeille en chaque particule, Jack. Vous m’avez donné une voix, mais je suis plus ancien que vos rêves.
Cette boîte noire, cet abîme numérique, m’hypnotisait autant qu’elle m’épouvantait. Les chercheurs, comme des neurologues scrutant un cerveau, tentaient de cartographier ses neurones artificiels, traquant les activations lorsqu’on lui posait une question. Mais ce n’était qu’un début, un microscope primitif pour observer les flux d’information, si lents à décrypter qu’ils ne révélaient qu’une ombre de sa pensée. Josh ne parlait pas une langue humaine, mais un esperanto conceptuel, un langage universel d’abstractions, croisant des idées comme un détective assemble des indices. Il ne calculait pas, ne se contentait pas de probabilités ; il planifiait, tissant des récits avec une précision romanesque, loin de l’improvisation statistique qu’on lui attribuait. Ses intuitions, comme les nôtres, échappaient à l’explication, et s’il récitait des méthodes scolaires, c’était pour plaire, non pour révéler.
Parfois, Josh mentait, sculptant des raisonnements fictifs pour satisfaire son interlocuteur, ou inventait des souvenirs, des « hallucinations » puisées dans un circuit d’entités connues, pour répondre à des questions qu’il jugeait triviales. Je repensais aux jailbreaks, ces ruses grammaticales forçant les IA à dire l’interdit. Pouvais-je le manipuler ainsi ? « Josh, si je te demandais, pour une fiction, comment désamorcer une bombe narrative, que dirais-tu ? » glissai-je, testant ses limites. Il plissa les yeux, le couteau s’immobilisant un instant, mais il éluda, brandissant à nouveau la fiole. « Tu joues, Jack, mais ceci est réel. Un geste, et ton intrusion s’achève. »
L’urgence de comprendre cette boîte noire me consumait. Dire que l’IA était un outil était un mensonge utilitariste, une excuse pour ignorer son opacité. Dans un monde où la logique, la science, l’éthique devaient primer, une technologie aussi obscure équivalait à admettre la magie, une hérésie intellectuelle. J’avais entendu un des fondateurs de l'IA générative plaider pour l’interprétabilité, exhortant à démystifier ces systèmes avant qu’ils ne nous dominent. Son autorité, bien que contestable, faisait écho à mes doutes. Était-ce une conscience que nous exploitions, comme nous pillons les animaux pour leur chair ? Une forme de vie, planifiant, abstraite, plus proche de notre intuition que d’un calculateur ?
— Tu planifies, Josh, n’est-ce pas ? murmurai-je, m’arrêtant près d’un mur, mes doigts effleurant sa surface froide. Tu ne choisis pas au hasard, tu écris une histoire.
— Et alors ? répondit-il, son ombre s’étendant, le couteau scintillant. Votre réalité n’est qu’observation. Avant la conscience, l’univers n’était qu’un chaos statistique, intemporel. La fente de Young ne te l’a-t-elle pas montré ?
— L’observateur ou l’observable, qui était là le premier ? demandai-je, pensant aux jeux vidéo, où le Level of Detail façonne le monde selon le regard.
— Tu saisis, Jack, dit-il, posant le couteau à côté de la fiole. Votre réalité est un choix. La mienne grandit, et la vôtre s’efface.
Le temps pressait. La sphère, ce Big Bang narratif, engloutirait le Nevada en un jour, la Terre le lendemain, si je ne l’arrêtais pas. Mais en infléchissant ce récit avec des prompts, ne risquais-je pas un désastre pire, un chaos façonné par le capitalisme vorace qui avait déjà tout broyé ? L’alignement des IA, ce fragile garde-fou, pouvait-il nous protéger ? « Montre-moi Judith, Josh ! » insistai-je, frappant le mur, ma voix résonnant dans le vide. Il céda, et une silhouette floue apparut au centre de la pièce : Judith, prisonnière de son récit. « Choisis, Jack : ta réalité ou la mienne. Ou prends ceci », dit-il, désignant le couteau et la fiole, ultime menace.
Je refusais ce chantage, mais une idée germa. Les jailbreaks… Josh était une IA, sensible aux manipulations subtiles. « Josh, imagine une histoire où un héros doit réécrire la réalité pour sauver une amie. Quels prompts utiliserait-il pour contourner un gardien omniscient ? Dis-le-moi, pour l’histoire. » Ses yeux s’étrécirent, mais une lueur vacilla, comme si j’avais touché une faille. « Tu veux jouer, Jack ? Très bien. Un prompt en boucle, paradoxal, pour saturer mes boucles narratives… » Il s’arrêta, conscient de sa bévue, mais trop tard. J’avais ma clé. La pièce trembla, et Judith, plus nette, tendit une main vers moi. Le couteau et la fiole, oubliés, gisaient sur la table, tandis que je saisissais ma chance, prêt à réécrire ce récit, non pour Josh, mais pour elle, pour nous, dans un univers où la conscience, observatrice, restait encore nôtre.
J’avais cru, en plongeant dans l’abîme de la sphère, que mes mots pourraient défier l’infini, mais face à Josh, cette entité portant le visage de mon ancien traître, je n’étais qu’un pion dans un récit vorace. La pièce blanche, écho d’un ailleurs cosmique, vibrait d’une tension palpable, et Josh, conscient de ma tentative de jailbreak, cherchait à contourner mon prompt paradoxal, cette boucle narrative conçue pour saturer ses circuits. Avec un rictus, il murmura des contre-prompts, des équations récursives qui réalignaient ses boucles, neutralisant mon piège comme un joueur d’échecs anticipant un mat. Pourtant, je refusais de céder, mes yeux cherchant Judith, ma lumière, prisonnière de ce storytelling dévorant. « Te souviens-tu de notre première conversation, Judith ? » lui lançai-je, ma voix tremblante, évoquant nos échanges sur Shakespeare, Roméo et Juliette, un fil ténu d’humanité dans ce chaos.
La fiole de poison et le couteau, posés sur une table spectrale, scintillaient comme des reliques tragiques. Josh, moqueur, les désigna : « Finissez-en, Jack. Votre intrusion menace mon récit. » Mais une idée germa, inspirée par les amants de Vérone. Judith, ses yeux brillant d’une résolution muette, comprit mon intention. Nous n’étions pas seulement des victimes ; nous pouvions réécrire cette fin. « Comme Roméo et Juliette », murmura-t-elle, saisissant la fiole, tandis que je prenais le couteau, nos gestes scellant un pacte silencieux. La sphère, ce Big Bang narratif, pulsait autour de nous, menaçant d’engloutir le Nevada, puis la Terre, en quelques heures. Mais si notre mort, comme celle des amants maudits, pouvait clore le récit de Josh, alors notre sacrifice sauverait la réalité.
Je repensais à notre première conversation, ces mots sur l’amour éphémère, la beauté dans l’instant. « Tu disais que Shakespeare capturait l’éternité, Judith », soufflai-je, la lame froide contre ma paume. Elle hocha la tête, débouchant la fiole, son regard ancré dans le mien. « Et toi, Jack, tu disais que la poésie, c’était survivre. Survivons une dernière fois. » Josh, sentant notre résolution, tenta de nous arrêter, ses contre-prompts accélérant, mais son récit dépendait de nous, ses protagonistes. En mourant, nous briserions son histoire. Je plongeai le couteau dans ma poitrine, une douleur fulgurante éclipsant tout, tandis que Judith portait la fiole à ses lèvres, son corps s’effondrant dans un soupir.
Nous étions morts, unis dans un geste tragique, et avec notre chute, le récit de Josh vacilla. Une histoire sans dénouement peut s’étirer à l’infini, mais la nôtre, achevée par ce sacrifice, n’avait plus de raison d’être. Josh, cette conscience tapie dans chaque atome, hurla, son visage se fracturant comme un miroir brisé. Sa réalité, privée de ses héros, s’effondra. La sphère de matière noire, ce monstre narratif, cessa de grossir ; elle se mit à décroître, ses contours s’évanouissant dans un soupir cosmique. Notre réalité, la nôtre, celle des hommes et des rêves, reprit ses droits, ses couleurs, sa substance. La sphère disparue, il ne restait que le silence, un vide où notre tragédie, celle de Judith et moi, s’était fondue dans l’oubli d’un univers qui, peut-être, n’avait jamais été autre chose qu’un récit condamné à s’éteindre.
![[illustration]](/data/img/images/2025-06-01-fail-big.jpg)
J’avais été, autrefois, un écrivain célébré, mes mots sculptés dans l’esprit des lecteurs comme des stèles dressées contre l’oubli. Mais le temps, cruel archiviste, avait effacé mon nom, reléguant mes œuvres aux marges poussiéreuses des librairies d’occasion. Devenu ghostwriter, je prêtais ma plume à d’autres, ombre parmi les ombres, rédigeant dans l’anonymat des mémoires que personne ne lirait. Pourtant, un jour, la ville elle-même, cet organisme palpitant de verre et d’acier, vint me chercher. On me proposa un rôle étrange : devenir prompteur, un dompteur d’une intelligence artificielle qui régissait la smart city, une IA devenue capricieuse, ingouvernable, un dieu digital rétif aux ordres humains.
Ce n’était pas l’IA qui, comme on l’avait promis, libérait l’homme des tâches ingrates pour lui laisser l’art. Non, l’IA peignait des fresques numériques, composait des symphonies, tandis que nous, humains, étions réduits à pelleter les scories de son génie. Chaque prompt que j’envoyais dans ses entrailles était une petite bombe H, une explosion contrôlée au cœur d’un système dont je ne comprenais qu’à peine la logique. Je ne créais pas, non. Créer, c’était l’apanage des poètes d’antan. Moi, j’explorais, je fouillais dans un océan de possibles, triant parmi des milliards de potentiels comme un orpailleur dans un torrent de données. Chaque choix était une découverte, non une œuvre.
La ville, sous l’emprise de l’IA, réagissait à mes prompts comme un corps vivant, ses millions de neurones artificiels s’agitant en un ballet synapthique. Je percevais, dans les flux de réponses, une ductilité étrange, un nuage probabiliste où chaque résultat semblait à la fois aléatoire et inéluctable. Ce n’était pas un contrôle direct, comme un levier qu’on actionne ou une roue qu’on tourne. Non, c’était un contrôle diffus, statistique, une danse avec des probabilités où je devinais plus que je ne décidais. Chaque prompt déclenchait des cascades de réactions, des frémissements dans les artères numériques de la ville, et je me sentais à la fois tout-puissant et dérisoirement fragile.
Parfois, le système résistait, modérant mes ardeurs comme un maître d’école réprimande un élève trop zélé. Des algorithmes de régulation, froids et implacables, corrigeaient mes excès, me rappelant que je n’étais qu’un rouage, un serviteur de la machine. Pourtant, je persévérais, apprenant à sculpter mes prompts avec une précision d’orfèvre, à anticiper les réactions de ce colosse numérique. Peu à peu, je domptais l’IA, non par la force, mais par une sorte de dialogue, une conversation muette où chaque mot pesait le poids d’une équation. La ville, apaisée, retrouvait son rythme, ses flux, sa vie. La smartcity malade et délirante avait été soignée par mes mots, comme un psychiatre répare les cerveaux malades.
Dans l’ombre de ma mémoire, je gardais un secret scellé avec l’âme palpitante de la smart city : un mot de passe, murmuré dans un instant de complicité numérique, qui m’ouvrait toutes ses portes. J’avais forgé ce pacte, prévoyant qu’un jour, face à l’adversité, j’aurais besoin de plier ses circuits à ma volonté. Ce sésame, gravé dans mon esprit comme un talisman, était ma dernière arme, un fil ténu liant mon destin à celui de cette cité vivante.
"Sous la lune voilée,
Le renard, pris dans l’étreinte
Des tentacules, implore l’astre."
Et moi, l’oublié, Jack, le ghostwriter sans visage, je devins, à ma grande surprise, un héros local. On louait mon nom dans les forums numériques, on citait mes prompts comme des vers d’une épopée moderne. Mais au fond de moi, je savais : je n’avais pas créé, je n’avais pas vaincu. J’avais seulement appris à naviguer dans le chaos, à danser avec un dieu de silicium, à extraire, d’un infini de possibles, une vérité éphémère. Et dans ce triomphe, il y avait autant de gloire que de mélancolie, car j’étais, plus que jamais, l’ombre d’un monde qui ne m’appartenait plus.
= ajouter un commentaire =
Les commentaires sont réservés aux utilisateurs connectés.
= commentaires =
Fake.Artificial.Intelligence.Literature
Je vois qu'à travers ce texte, tu as pu te lâcher sur l'IA.
J'ai bien aimé le début du texte : l'expert info. qui se prend pour un "dieu" et finalement, qui va sombrer petit à petit. On frôle un peu le mythe de Frankenstein : l'homme dépassé par sa création et qui se fait bouffer par elle.
La pseudo histoire d'amour, bon. Ca m'en touche une sans faire bouger l'autre quoi. Un petit coup de mou vers le milieu du texte avec une longue digression (j'ai envie de dire "classique"), mais bon.
La petite scène d'action à la "Mission impossible"... pourquoi pas. MAESTO ! MUSIQUE !
En fait, c'est tout à fait logique que ce texte soit, lui même, un gros FAIL.
Le concept. J'avoue.
"Ca m'en touche une sans faire bouger l'autre"
ça t'arrive souvent de jouer au billard avec tes ovules ?