LA ZONE -

Longue nuit avec le diable

Le 10/04/2024
par HaiKulysse
[illustration] Les forains ivres, ce soir là, étaient en train de racoler quelques putes venant de Karachi sûrement. Ils étaient probablement plus ivres que moi mais cette probabilité n’allait pas les empêcher de s’accoupler selon eux…
Cette nuit là aussi, il y avait des barricades et au-dessus de ces amas de bidons d’essence, de ces tas de bois pourri, de ces poutres vieilles comme des vagins à ne plus ensemencer, des sortes de Marianne que je ne trouvais guère expressives, ébruitaient la rumeur d’une révolte… une révolution rouge comme cette mer où les gens des chaluts reniaient au crépuscule le plan anti patriarcal de toutes ces fausses féministes. Il y en avait assez de leur hystérie.
Et je traînais dans ce rade où les odeurs du port m’insufflaient un semblant de vigueur.
Accoudé au comptoir je regardais un bizarre dessin de ponts, certains dont l’orientation escaladait les têtes hybrides des cyclopes et d’autres s’affalant dans les sources chaudes où les forains grisés et nus se baignaient à présent. Avec ces courtisanes couchées là à s’embrasser, à perdre le souffle, à tout tripoter de travers, à s’agripper aux épaules de leur amant d’une seule histoire.
Mais elles se ressemblaient toutes et ressemblaient à tout ce qui était abject et absurde sur cette étrange ébauche de ponts. Plus tard, nous arrivâmes dans un lieu encore plus louche, encore plus délabré. Les jeunes femmes qui s’étaient transformées en cobra ou en python s’étaient vengés de ces mauvais payeurs en leur injectant un venin mortellement douloureux.

L’un des forains avec une hypertrophie de son ventre sur le point d’exploser hurlait à l’agonie mais pour les autres ce n’était pas mieux : ils souffraient de graves brûlures sur toutes leurs peaux. J’avais bien fait de considérer ces filles comme des raclures de Dévotchkas et ne pas renifler comme eux leur culotte.
Sentant que l’affaire avait mal tourné, les guerrières rebelles à la Marianne s’étaient éclipsées, ne laissant après leur passage qu’un autre papier où étaient dessinées des rivières ternes enjambant ces ponts bizarroïdes. En le regardant d’un peu plus près, sur les rives de ces eaux vives il y avait des bites de colosses évidemment bien bâtis et des actrices pornographiques dénudées, en demi-teinte.

À l’époque où j’avais trouvé cette paperasse dans une poubelle d’une université où je passais le balai, il passait un vieux film en conférence dans l’amphithéâtre d’à côté. Et comme j’avais fini mes corvées de larbin payé moins que le SMIC et qu’il n’y avait presque personne pour me réprimander je m’étais assis au fond de la salle, posant mon sceau et ma serpillière pour quelques minutes de repos. Mais je m’étais très vite aperçu qu’il ne projetait que toutes les deux minutes de vieilles séquences en boucle d’images arrêtées. Et où l’on pouvait admirer des cercles de protection entourés de flammes avec ce titre en noir et blanc : Dernières nuits avec le diable !
Quittant les ombres faméliques qui étaient comme scotchées à l’écran, je partais m’approvisionner en packs de bières, en tout cas bien assez pour couper le flux incessant de ma psyché. Mais dans la supérette alors que j’étais à la caisse pour payer ma ration bien méritée pour finir de bousiller cette journée de merde, je m’aperçus qu’au lieu de voir mon image ou les rayons alimentaires dans la vidéo de surveillance, au-dessus de la tête de Sumire, une nana au t-shirt Greenpeace aussi blonde que mystique, on matait encore cette ébauche de film de série B avec le même titre lancinant que tout à l’heure. La caissière me scrutait de ses yeux pareils à des lacs brillants.
_ Mon âme et la vôtre, Ragnar, sont reliés à tout jamais par Satan.
Jamais entendu pareille connerie, aussi je lui donnais l’argent sans rien dire et elle s’arrangea pour disparaître rapidement à l’arrière de la boutique.
Puis je marchais de long en large sur la plage en donnant des coups de pieds dans le sable… mais quelque part je savais que Sumire avait raison : ces derniers temps, l’application d’AngelOfDeath® avait immortalisé de nombreux assassins, des guetteurs aussi qui avaient radicalisé tous les traquenards et avaient annoncé l’arrivée du monde obscur de la Saison Rouge. Et sur cette application que j’avais réinstallée, je retrouvais tous les dessins sortant des esprits les plus tordus et il y en avait des kyrielles ; et il n’était pas indispensable de sortir de Polytechnique pour savoir que chaque représentation avait été l’œuvre de l’un de ces tueurs engagés pour gagner du fric.

J’ai réalisé que le 666 -ème dessin serait celui de Lucifer en personne, et, même si je ne le vénérais pas tant que ça, j’actualisais le fil sans cesse d’AngelOfDeath® pour le voir caracoler après être né des limbes et des ténèbres.
Et en arrivant au bout de la rue, je heurtais la lourde laisse en cuivre forgé d’un cochon que les ivrognes n’avaient pas eu l’audace d’abattre. J’ouvris mon téléphone portable alors et consulta aussitôt l’application d’AngelOfDeath® et elle me renseigna que j’aurais des mensualités si je considérais ce porc à moi et m’assura qu’il était le compagnon idéal à promener.

Ça me paraissait dingue et pour réfléchir je me précipitais sur l’esquisse des ponts ; et ça paraissait incroyable mais le dessin avait changé : les ponts menaient maintenant à un gratte-ciel et à ses cuves de méthanol. Je levais les yeux et le cochon libéré cette fois de son entrave se régalait des détritus jonchant un pont que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais vu auparavant.
Et parmi les fientes radioactives des goélands ou des corbeaux volant jusqu’en haut de la tour de verre et d’acier dont la démarcation était le début et la fin de ce pont, je refusais d’abord de croire à ce que je voyais. Mais je ne rêvais pas. Apparemment pour la Rouge c’était insuffisant de faire régner la terreur et de répandre des cadavres dans tous les azimuts. Elle se tournait à présent au niveau d’une fantasmagorie dont on aurait pu se gondoler si tout ça n’était pas réel.

Et le porcin loufoque, avec son trou du cul qu’un de ces cons de marins aurait sans doute inséminé s’il n’avait pas été trop saoul, se payait maintenant du bon temps en chevauchant un loup ou une louve, on ne savait pas trop. Perdu dans ce milieu de dégénéré, je radiographiais avec l’application d’AngelOfDeath® le clochard logeant sous le pont mythologique et ses loques devinrent élégantes. Son charme avait du chien : il était vêtu, en remettant les compteurs à zéro, d’habits de luxe taillés sur-mesure avec même le gousset où il rangeait sa belle montre en or.

Mais trempé par les gouttières qui jalonnaient anormalement ce pont d’architecture napoléonienne, le papier jaune commençait à s’effacer ; mais c’était trop tard : le pacte avec le diable était bel et bien scellé et je devais avancer ou crever sans même avoir le temps de brader ce smartphone qui m’avait impliqué dans cette affaire aussi onirique que prégnante.
Et au bout du pont qui était dans la plus totale obscurité, j’ai senti un délicat parfum. Ce parfum que les serpents redevenus des femmes en chair et en os avaient volé à des dieux goguenards, ou à des chiennes dont l’avilissante captivité s’était figée pour l’éternité…
_ Qu’est-ce que t’en penses ? Tu penses que tout ça n’est qu’un rêve ?
Je me suis retourné et j’ai vu Sumire avec le goret dans ses bras.
_ Quoi ?
_ La vie, ici
_ Ici ? Maintenant ? Qu’est que tu racontes, un rêve, on est réveillé, on parle, on voit, on a des yeux pour voir la loupiote à l’entrée de la tour et les icônes du diable placardées sur tous les murs et ce ciel idéalement noir avec, si tu rêves tu vois pas.
_Comment on sait qu’on ne rêve pas ?
_Regarde, mes yeux sont ouverts, non ?
Elle m’a regardé pendant que je contemplais les décolletés des prostituées qui avaient grugé tout le monde. Elles avaient eu leur âge d’or, ce désir de toucher ce soleil vert qui n’existait plus, ou qui n’avait jamais existé.

Finalement on pouvait bien brûler tous les livres en autodafés, se damner pour avoir le droit à leur lobotomie, percer insensiblement la panse d’une truie pour lire des présages dans ses entrailles, elles se montreraient de toute façon ingrates. Et leur ingratitude, je le sais sans l’avoir vu en entier ce long-métrage (Douce nuit avec le diable) ne fera que me rembrunir et rembrunir les insurgées que Delacroix a peint les seins nus.
Mais en se lançant dans un conduit pour leur échapper, quelques instants après on était en train de crocheter la serrure d’un sas, à moitié dans la vase et couvert de liquide amniotique et de matières plastiques… un sas où Walton et Larsen bâclaient leur plan d’évasion avec des logiciels que Thompson et son avocat véreux contrôlaient de toute façon.
Je me suis lancé, et j’ai interrogé Sumire.
_Regarde, ici !
Du doigt, j’ai montré l’urne funéraire où il ne restait que les cendres de leur chien galeux. La couleur rouge vif tranchait et contrastait avec les couleurs ternes de leur geôle. Il y avait écrit dessus, en diagonale, des insultes aussi veules que méprisantes pour cet animal.
Mais des deux petits trous au-dessus de l’urne s’échappèrent des Esprits, rabougris au début, mais qui grandissaient en matérialisant les cendres en tissus organiques ; avant même que l’équipe des mafieux bossant pour Thompson les refroidissent. Des mercenaires avec des strings en cuir, des cagoules de bourreaux et même pas capables de perpétuer le cycle morbide de la Saison Rouge. Incapable de préférer ce raccroc de fortune avec leurs existences que les insurrections avaient pourtant sublimé.

Alors j’ai renversé l’urne violemment et les vermisseaux qui étaient à l’intérieur les ont tous mangé, tous avalé sans jamais se repaître.

Ici ou ailleurs ces samouraïs d’autres fois pourraient dans l’au-delà enfin refourguer leurs armes à des marchands d’offrandes et la fin de la guerre et de la Saison Rouge nous guideront après un long voyage vers la guérison, j’en suis convaincu. Les admirateurs du diable, les couples inséparables de corbeaux et les marins des chaluts voueront un culte au plus chaud des brasiers, à moins que ce soit un coup de ces pétasses, un invisible sortilège pour les hypnotiser.
Peut-être seraient-elles en mesure de révéler leur nature bestiale, barbare. Juste avec leur regard reptilien à brider tout ce qui ne pourrait pas être insensé. Ou avec leur audacieuse ignominie à imaginer dans le noir des attentats surréalistes à faire pâlir les plus déterminés terroristes.
Un brasier à faire jouir la plus grande des nymphomanes qu’on mettra dans un tonneau toute nue avec juste un trou pour la baiser à la chaîne. Et même dans le ciel une flamme plus haute que les autres carboniseraient de la plus belle des manières les ailes des goémons et des goélands.

En haut de ce gratte-ciel tous ces rebuts se regrouperaient autour du feu comme pour honorer les âmes mortes des forains bourrés comme des coings.

Alors à la fin, comme pour mettre un terme à ce cauchemar, je rentrerai chez moi et je camouflerais le dessin du diable sous des revues pornos et des DVD X où, tout simplement, s’enflammeraient tout ce qui ne ne semblait pas être vraiment authentique !

= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 10/04/2024 à 23:10:17
Que de la crémation hypothétique... En plus tu m'as chipé mon con. Heureusement pour moi tu ne le brûles pas vraiment. Malheureusement pour moi, je n'ai pas vraiment commencé à écrire mon texte.

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