LA ZONE -

Mémoires d’un cafard ambitieux (mais malchanceux)

Le 30/04/2025
par Do Re Mi
[illustration] Moi, Gregor, prince des recoins obscurs, seigneur des plinthes et chevalier des ombres poussiéreuses, je suis un cafard. Un cafard, oui, mais pas n'importe lequel ! J'ai l'âme noble et le cœur vaillant, et surtout, j'ai un rêve. Un rêve immense, insensé, grotesque : je veux devenir humain.
Oh, quelle créature fascinante que l'Homme ! Je les observe depuis des lustres, tapi dans les interstices des murs, admirant leur arrogance, leur grandeur, leur futilité délirante. Ils ont cette aisance à se déplacer sans peur, à se pavaner sur leurs deux pattes maladroites, à s'échanger des sons gutturaux qui, par quelque miracle, forment des idées. Ils se goinfrent de mets variés, tandis que moi, je me contente des miettes tombées du banquet divin de leurs festins. Mais le plus prodigieux, c'est leur orgueil. Ils se croient invincibles, maîtres du monde, ignorants qu'ils partagent leur royaume avec des créatures comme moi, rampantes mais immortelles.

J'habite une cuisine spacieuse et luxueuse, une cathédrale de modernité où les humains viennent régner en despotes aveugles. Sur le plan de travail, des couteaux luisants attendent leur proie, tandis que des flammes jaillissent des brûleurs, prêtes à carboniser la moindre chair imprudente. Je les observe, ces dieux insouciants, dans leur ballet gastronomique. L’Homme mange, l’Homme boit, l’Homme rit, l’Homme pleure, l’Homme aime… Et moi, Gregor le cafard, je désire tout cela. Je veux rire, pleurer, aimer. Je veux sentir autre chose que l'odeur de moisissure et de crasse. Je veux goûter aux délices de la chaire, aux subtilités de la parole. Je veux être plus qu'une ombre fuyante sous le frigo.

J'ai essayé, pourtant. Oh, j'ai essayé ! J'ai tenté de marcher comme eux, de me tenir sur mes six pattes en un équilibre ridicule, tel un pantin mal articulé. J'ai tenté de méditer sur l'existence, de philosopher sur la condition cafardesque et humaine, mais les seules pensées qui me venaient étaient celles d'une quête insatiable de nourriture et de lumière. Peut-être que pour devenir humain, il faut être insensible à la faim ? Ou peut-être que leur secret réside dans leur façon d'ignorer la vermine qui grouille sous leurs pieds.

Un soir, alors qu'une fête battait son plein dans la cuisine sacrée, j'ai vu une opportunité. Là, sur la table éclairée de mille feux, trônait une bouteille de vin rouge, ce nectar enivrant que les humains sirotent en riant d'un air bête. Il me fallait y goûter ! J'ai grimpé, lentement, méticuleusement, esquivant les assiettes, longeant les reliefs gras de leurs repas. Et enfin, j'ai atteint le sommet ! Devant moi, un verre à demi plein, promesse d'une transformation miraculeuse.

J'ai plongé ma trompe et bu. Oh, divine essence ! Quelle brûlure ! Quelle ivresse ! En un instant, tout devint flou. Mes antennes se mirent à vibrer, mes pattes chancelaient, et je compris que j'avais touché au sacrilège. J'étais ivre, ivre comme un homme ! Et, dans mon délire, je me suis avancé au centre de la table, hurlant à pleins poumons muets : « Regardez-moi ! Je suis des vôtres ! Aimez-moi comme je vous aime ! »

Mais les dieux ne pardonnent pas aux profanateurs.

Un cri strident fusa. Une femme hystérique brandit une chaussure. Un homme rugit : « Un cafard ! » L'assemblée bondit comme un seul homme, paniquée, repoussée par ma seule présence. Moi, Gregor, élevé à la dignité humaine par une lampée de vin, je compris que je ne serais jamais accepté.

Puis, l'ombre grandit au-dessus de moi. La semelle s'éleva, funeste, juge et bourreau réuni en un seul geste fatal. J'eus une pensée fugace : était-ce là la condition humaine ? Rêver, espérer, lutter, et finir écrasé par l'indifférence de ses semblables ?

Un bruit sourd. Un craquement. Un silence.

Et moi, Gregor, prince des recoins obscurs, seigneur des plinthes et chevalier des ombres poussiéreuses, ne suis plus.

Mais quelque part, dans l’ombre d’une autre cuisine, un autre cafard rêve, lui aussi, de grandeur.

= commentaires =

Magicien Pampers

yt
Pute : 11
J’ai pas    le 30/04/2025 à 08:55:10
Encore commencé.
Mais l’introduction est terriblement intellectuelle. Je vais la relire pour la huitième fois.
Magicien Pampers

yt
Pute : 11
Bonne    le 30/04/2025 à 09:09:05
Parabole. Simple. Efficace. Ça change de la daube orgueilleuse ordinaire. Esope l’aurait bien aimée.

Dans leur FFP ( focal fécal point), les ravets applaudissent aussi.
Magicien Pampers

yt
Pute : 11
J’veux dire    le 30/04/2025 à 09:22:01
C’est la destinée de quatre vingt dix huit pour cent des « artistes » qui auront l’audace d’atteindre la bouteille.
Lapinchien

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Pute : 15
à mort
    le 30/04/2025 à 09:37:24
j'ai beaucoup aimé ce texte aussi pour toutes les raisons expliquées dans ma critique. Des fois, je surjoue dans le descriptif pour me foutre de la gueule des textes pourris mais là, c'est 100% sincère. Croyez-moi sur parole.
Cuddle

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Pute : -3
    le 30/04/2025 à 11:32:49
Le coup de la chaussure... +10 !

Question existentielle : Un cafard peut-il ressentir l'ivresse ? Vous avez 3H.

Ne métabolise-t-il pas l'alcool différent ? N'est-il pas sujet à une intoxication ? Peut-il danser sur la table, antennes au vent ?

Des questions qui me hantent...
Lapinchien

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Pute : 15
à mort
    le 30/04/2025 à 11:38:50
Je ne sais pas, je vais demander à mon percepteur et je te tiens au courant.
Magicien Pampers

yt
Pute : 11
Lapinchien    le 30/04/2025 à 11:45:18
Ta description est chouette, c’est moi qui plafonne.
Magicien Pampers

yt
Pute : 11
@Cuddle    le 30/04/2025 à 11:48:13
Les cafards sont ivres de bonheur au sein de leur FFP - fécal focal point- ils se vautrent dans leur caca et leur phéromone. Ainsi, ils économisent aussi le prix du Pastis, et ils peuvent partir en vacances sur la Riviera.
Mill

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Pute : 15
    le 30/04/2025 à 16:30:02
J'ai d'abord lu le texte de présentation, puis je suis allé prendre un doliprane. Puis je me suis rendu compte que j'avais déjà lu le texte de Do Re Mi il y a un mois ou presque et que j'étais dans "Un jour sans fin. De fait, il est plutôt cool ce texte.

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