La brume épaisse couvrait la route qui menait au saloon. Lynch aurait sans doute apprécié l’atmosphère, mais moi non. La musique me semblait étouffée, tant ma vision était floutée. J’activais les phares rapidement, avant de bifurquer à droite. Le parking était plein, l’heure et le temps devaient jouer. Ayant fait deux tours sans résultat, je faufilais la voiture devant le terre-pleins.
Un homme d’une quarantaine d’années, bien habillé fume sa cigarette devant le bar. Je le remarque à peine, mais je sens son regard réprobateur. Sûrement le nouveau serveur que David a engagé. Je passe devant lui en esquissant un demi-sourire pour me faire pardonner, sans attendre le verdict du nouveau justicier.
Je m’installe au bar, et commande une Bud. Le téléphone retentit sourdement. Je le cherche frénétiquement dans mon sac.
- Tu as oublié le dossier de l’affaire Panier.
- Merde ! Jessica m’a pris de court sur le témoin, j’ai zappé. Je passerai demain matin vers 6 heures, avant de me rendre sur le terrain.
- Pas de soucis. On se voit demain.
Je souris à David. Mon frère a toujours eu sa propre manière de me montrer son contentement, principalement en râlant.
- C’est toujours un plaisir de te voir.
- Tu essayes de te faire pardonner ?
- Sans doute.
J’esquive la discussion que je n’ai pas envie d’avoir.
- Tu as engagé un nouveau ?
- Ouai. Un type de Santa Clara, il est sympa. Il ne parle pas.
- C’est ton style. Je suis contente pour toi.
Il sourit enfin. La porte du saloon claque légèrement, étouffée par le brouhaha du bar déjà bien rempli. Je le regarde s’avancer lentement et s’afférer aux affaires du moment. Il accapare mon attention. Sans doute, un défaut professionnel ou une curiosité dont j’abuse légèrement grâce à mon insigne.
Il prend la commande de la table d’à côté, sans me regarder. Ses gestes sont lents et délicats, malgré sa stature imposante. Sa barbe noire est parfaitement taillée, et souligne un visage ténébreux. Je me retourne rapidement, histoire de ne pas croiser son regard noir.
C’est là que je me dis que je n’aurais pas dû oublier le dossier. Je cherche mon frère désespérément, qui doit être en cuisine. Être seule au bar, quand l’endroit est plein est devenu gênant. Tant pis je me lance :
- Bonsoir.
Il acquiesça avec un rapide coup de tête, avant de se remettre à ses occupations du moment. Je déposai sur le comptoir un billet, puis me levais afin d’atteindre la sortie. De grosses gouttes de pluie retentissaient. Je me dépêchais d’aller à la voiture sans glisser.
*
La porte du commissariat claqua vers 8 heures du matin. Cela me fit sursauter, à moitié réveillé.
- Tu n’aurais pas vu le dossier ?
- Il est sur le bureau de Hasan.
Je m’empressais de m’y rendre, sans attendre davantage de précision. Il était en effet sur son bureau, me narguant presque de l’évidence.
Je devais me rendre à l’hôpital afin d’avoir plus de précisions sur l’autopsie de la victime. Le dossier n’était pas maigre, mais le flou qui entourait l’affaire me rendait insomniaque. L’heure de la mort avait été établie, par le médecin légiste aux alentours de 3 heures du matin, mais elle avait été aperçue par plusieurs témoins vers 4 heures la même nuit à l’apocalypse, une boîte du coin. Il y avait huit témoins : le barman, le videur, ainsi qu’un groupe de filles de UCLA.
Tous ont été interviewés, et semblent colporter des faits véridiques. La caméra de surveillance ne permet pas l’identification de la victime, mais une ombre lui ressemblant apparaît sur les enregistrements. Le tueur aurait-il eu l’aide d’une complice ? Probable, mais rien de vérifié. Le barman étant sûr de l’identité, la victime lui ayant montré et cela à plusieurs reprises sa carte d’identité. Sa carte bancaire fut même utilisée à 3h40 du matin dans son bar. Je ne peux remettre en question son témoignage.
- Bonjour Watts. Comment allez-vous ce matin ?
- Très bien, je vous remercie. L’autopsie m’a occupé l’esprit toute la nuit.
- Ah vous n’êtes pas le seul. Les faits vont à l’encontre du fil conducteur. Cela m’embête aussi. Peut-être que vous allez pouvoir m’éclairer.
- Je n’en suis pas si sûr. J’ai vérifié l’heure de la mort à plusieurs reprises, et je reste sur mon analyse : 3 heures du matin.
- Je n’ai jamais remis en doute votre parole.
Il esquissa un sourire léger. Cela faisait maintenant une dizaine d’années que je travaillais avec lui. Une relation cordiale qui flattait mon ego lorsque je voyais la rapidité du nombre d’affaires résolues ces dernières années. Un travail d’équipe discret et efficace. Je ne doutais pas de son honnêteté et de son professionnalisme. Je me retenais alors de poser une question plus scientifique, cela ne relevait pas de ma compétence.
- Tenez-moi au courant si vous avez du nouveau.
- Ne soyez pas si pressé. J’ai remarqué une marque sur son crâne. J’ai d’abord pensé que c’était une tache de naissance, mais il n’en est rien. Elle a été marquée comme du bétail, et pas récemment. Cela date de plusieurs années. La peau ayant bien cicatrisé.
- Son identité et son passé n’ont rien de plus classique. Une fille de Los Angeles avec un CV à en faire rêver plus d’un. Un casier vierge, et nul lien avec les gangs répertoriés.
- Approchez-vous.
Je m’exécutais rapidement, et remarquai la tache sur son crâne en forme de tête de mort. Elle ressemblait à toutes ses effigies mexicaines correspondantes à la Santa Muerte. Les détails étaient peu visibles car le tatouage lui-même petit, semblait baver.
- Un Mescal de trop ?
- C’est votre métier, pas le mien, mais je doute que le crâne soit pratique pour ce type de souvenir. Il a fallu lui raser la tête. Et au regard de sa grâce naturelle, je doute de son consentement.
- C’est une piste.
Je m’empressais de sortir de la salle, n’étant pas si à l’aise que ça avec les cadavres. Je passais un rapide coup de fil à Jessica, pour la tenir au courant des avancées.
- Même si j’y crois moyen, je vais lancer les recherches sur les salons de tatouages de LA. Ça a été fait à l’arrache, pas sûr que ce soit un professionnel qui en soit à l’origine. Mais on ne sait jamais.
- Soit discrète s’il te plaît, on ne voudrait pas réveiller les commères.
- Elles n’ont pas besoin de nous.
- Si cela a un lien avec les cartels, il faut absolument rester discret. Le FBI nous passerait sous le nez.
- Le lien est trop léger pour le moment. T’emballes pas. Mais oui, je serais discrète.
- Watts a utilisé le terme « bétail » …
- Je suis discrète.
*
J’étais contente de rentrer chez moi, ayant vu la lumière tamisée dans la cuisine. Il devait sans doute mijoter quelque chose. Même des années après le début de notre relation, j’étais toujours impatiente de le voir. Je ne pouvais m’empêcher de sourire.
Je glissais la clé rapidement dans la serrure, et ouvrais la porte. Encore du Johnson sur la platine. Il le passait en boucle depuis notre voyage à la Nouvelles-Orléans. Je m’en lasserais si ce n’était pas lui.
- John ?
Pas de réponse. J’en profitais pour rapidement monter et me changer. Puis je redescendis quatre à quatre en me dirigeant vers la cuisine. J’ouvris le frigo pour me servir un thé glacé préparé la veille. Je sentis la chaleur m’envelopper tendrement.
- Alors ta journée ?
- Bien. On avance peu à peu sur le dossier. Et toi ?
- Bien. J’avance peu à peu sur nos assiettes.
John travaillait comme cuisinier avec mon frère depuis des années. Nous avions pris l’habitude d’être curieux sur nos occupations respectives, mais de ne jamais vraiment s’immiscer l’un et l’autre.
- Qu’est-ce que tu nous prépares de bon ?
- Du poulet au riz
Le minuteur retentit. Il souleva le couvercle doucement, laissant apparaître une chaleur mijotée. Il rajouta quelques gouttes de Fischer et poivra le tout.
- Tabasco ?
- Tu en rajouteras.
Je grimaçais timidement pour ne pas qu’il ne le remarque. J’avais une fâcheuse habitude de mettre du piment un peu partout. Ce qui semblait déplacé à son goût, sans doute beaucoup plus fin que le mien. Il prit le temps de servir deux assiettes bien remplies, puis nous installâmes sur le comptoir de la cuisine. La table de la salle à manger ne semblait servir qu’à l’écriture fastidieuse de mes rapports. Je me servis de la bière, puis la terminai dans son verre.
- C’est délicieux, je te remercie.
- Tabasco ?
- Pas cette fois-ci répliquais-je, me mordillant le bas des lèvres.
Il sourit. L’heure tourna rapidement, car je n’avais toujours pas terminé mon assiette l’heure suivante, ayant déblatéré sur le nouveau bouquin de recettes trouvé en librairie et les difficultés de la voisine à ne pas me parler.
- Je suis passée au saloon tout à l’heure. Tu semblais occupée en cuisine, et je m’étais mal garée. Je n’ai pas trop tardé.
- On m’a dit.
- Je ne dérange pas j’espère.
- Non.
Je m’empressais de terminer mon assiette et de ranger la cuisine. J’étais tout de même exténuée, et il semblait être plus ou moins dans le même état. Il m’aida à tout mettre dans le lave-vaisselle, ce qui n’était pas forcément son habitude. Nous répartissions les tâches pour éviter tout agacement sur le long terme. L’un cuisine, l’autre range, et inversement. Je lui avais souvent demandé de rapporter les restes du saloon afin qu’il ne se fatigue pas trop à répéter la préparation chaque jour, mais cela n’avait pas l’air de le déranger. Il posa un baiser sur ma tête avant de monter les escaliers.
- Tu me rejoints ?
- J’arrive !
J’avais tout de même envie de relire rapidement les notes de l’autopsie. Outres les faits relevés, quelque chose me tracassait sans que je puisse mettre le doigt dessus. Mais dans mon élan, je trébuchai tout en me rattrapant au comptoir. Mon cœur semblait battre trop vite. Je pris quelques minutes, puis montai les escaliers tout en me tenant à la rambarde. Les lumières étaient toujours allumées. J’étais soulagée de le voir en arrivant dans la chambre. Il dû voir la panique dans mes yeux car il me prit rapidement dans ses bras. Il ne posa pas de questions.
*
Le téléphone sonna stridemment dans le commissariat. Je sourcillais, comme à mon habitude, sans bouger. Je sentais ce coup de téléphone venir depuis quelques jours, et préférais laisser retentir ce grincement désagréable. Hasan se leva doucement pour aller se chercher un café. Je lui en demandais un de manière insidieuse, qu’il me ramènera avec un Doliprane se moquant un tantinet.
- Je répondrai plus tard.
- Nul besoin de se justifier…
- Tu pourras lire les dépositions cet après-midi ? J’ai besoin d’une autre perspective. Je reste bloquée. Je n’arrive pas à créer différents scénarios. La différence d’heure ne me perturbe pas plus que ça, au regard de ses dépenses. Je pense à un piratage informatique sur les données bancaires. Mais je ne comprends pas les dépositions.
- Tu as contacté la banque ?
- J’ai les relevés bancaires.
- Il faudrait aussi les décortiquer.
- Je me suis penchée dessus, mais rien à signaler. Outre les quelques dépenses au bar après l’heure de sa mort. Cette fille avait ses habitudes, et les journées précédant sa mort se ressemblent. Elle était déjà venue faire la fête dans le coin, mais comme pas mal de fraternités de l’université. Elle était sans doute nostalgique de ces dernières années.
- Tu me les déposeras aussi sur mon bureau, je regarderai le tout en fin de journée.
Je feuilletais le dossier, et je relisais lentement la déposition du barman, ainsi que d’une des filles de UCLA présente lors de la soirée qui a mal tourné. Cette dernière ressemble aussi à la victime, mais tout de même… Le barman ne boit pas pendant le service, même s’il dit avoir accepté quelques shots de tequila avec le groupe de filles.
- Tu t’attardes peut-être trop sur cette soirée, qui ne semble pas vraiment correspondre au profil de la victime. Il faudrait peut-être creuser davantage dans son passé. Le meurtre était peut-être prémédité depuis de longue date. La marque sur sa tête pourrait appuyer cette dernière idée.
- Jessica est sur cette piste. J’attends quelque chose de plus réel.
- C’est quand même bien ancré dans sa tête.
- Tu sais très bien qu’il me faut plus que ça, avant de m’éloigner de Santa Clara.
- Et tu sais très bien qu’ils ont déjà le dossier dans les mains. Cela ne sert à rien de faire l’autruche plus longtemps, et de rester dans le secteur.
- Ça n’a rien à voir avec le FBI. C’est ma technique.
- Nul ne remet en question tes compétences. Il ne faut pas que tu prennes cette affaire trop à cœur. On est tous d’accord là-dessus.
Jessica entra avec fracas dans la pièce. Ce fut comme une délivrance. Ayant du mal à respirer depuis quelques minutes. C’est bien la première fois que je suis heureuse de la voir.
- Alors ?
- Rien à signaler au niveau des tatoueurs. Aucun ne reconnaît la signature d’un autre. Ils sont plus ou moins d’accord pour dire que ce tatouage a été fait à l’arrache, sans doute lors d’une soirée un peu trop arrosée. Ils m’ont donné les références de l’encre probablement utilisée et les aiguilles référentes, mais ils ne promettent rien quant à la recherche.
- On écarte donc la piste des tatoueurs.
- Je suis d’accord. Tu veux que je me renseigne sur l’encre ?
- Non. Je préfère qu’on se concentre sur les témoignages, et le piratage informatique. Ce n’est pas le plus facile, mais c’est ce qui me semble être la piste la plus évidente pour l’instant. Il y a une copie du dossier sur le bureau d’Hassan. Il ne s’y penchera qu’à la fin de la journée. Cela te laisse le temps de le peaufiner quelques heures.
- Pas de soucis.
- Le dossier ne présente que les dépenses de la soirée, et du mois passé. Je pense qu’il faudra remonter plus loin.
- Je m’en occupe.
*
LA ZONE -
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J'ai mis le générique de "Hélène et les garçons" pour illustrer la story instagram annonçant ce texte.