10. Accouchement
Au matin du premier jour du huitième mois, nous nous réveillâmes à nouveau simultanément comme programmés par des horloges biologiques bien extraterrestres. De toute évidence, nous étions parvenus à terme et nos ventres s’élevaient comme le mont Fujiyama sur l’horizon de nos corps bien au-delà des normes humaines. Étant donné la taille de notre « géniteur », cela n’avait rien d’étonnant. Je sentis palpiter la vie en moi pour la toute première fois et je dois bien avouer que cette sensation me procura une joie interne indescriptible. « Dire que je me voyais fuir toute ma vie, seul comme un vieux « pédé » moribond sur le rebord d’un spatioport. », conclus-je à cet instant. Cet enfant à naître, fruit de mon sang et de quelques ajouts, certes, allait me donner un peu de consistance à mon existence absurde. Car transmettre et protéger la vie, n’est-ce pas là le sens profond et unique de la vie ? Enfin, c’est comme ça que je voyais les choses. Quant à mes hétérosexuels de compagnons, leur mine ne semblait pas du tout exprimer de semblables sentiments : terreur et colère transpiraient sur leurs pupilles dilatées sur fond de sourcils crispés. Sauf le commandant qui, faute d’exprimer la même plénitude que moi, restait calme et concentré. C’est bien à ça que l’on reconnaît un chef d’expérience, gardant son sang-froid en toutes circonstances.
— Tout le monde va bien ? Demanda-t-il à l’envolée.
Des « oui », des « mouais », des « bof », des « à peu près », formèrent les seules réponses audibles. Quelques-uns grognaient tandis que d’autres s’étaient renfrognés tout bonnement. Seul mon « merveilleusement bien » eut pour effet d’agacer mes confrères marins qui voyaient définitivement en moi une créature anormale.
— Tant mieux. Commenta le commandant avant d’exiger à haute voix de parler à la grande prêtresse qui ne tarda pas à émerger dans son champ de vision. Elle prit tout de suite la parole.
— L’expérience a parfaitement fonctionné selon nos estimations. Nous allons pouvoir enfin vous délivrer. Il est primordial que vous restiez tous bien tranquilles et immobiles pendant l’extraction obstétrique qui sera précédée d’un choc électrique puissant que vous ressentirez à peine. À cet instant même, nous vous perfusons un anesthésiant léger pour vous éviter toute souffrance inutile. Vos petits gabarits en proportion d’avec celui du bébé est notre seule inquiétude. Nous devrons certainement procéder par « césarienne » selon votre propre jargon médical un peu primitif. Quatre sœurs spécialement formées aux techniques d’accouchement seront en permanence à vos côtés. Il n’y a aucune raison pour que cela se passe mal.
« Décidément, quelle que soit la planète et la civilisation, les médecins sont de fieffés menteurs… » grommelai-je tout bas, n’étant pas aussi optimiste malgré mon impatience de découvrir ce qui allait sortir de ma carcasse difforme.
Un pic oblong se dégagea de la coupole. Une sœur appuya sur un bouton depuis une console portative et un éclair à plusieurs branches nous secoua d’un coup bref ce qui eut pour effet de réveiller considérablement nos « progénitures ». Puis, les opérations obstétriques commencèrent simultanément pour chacun. Je ne saurais en donner le détail, car je ne pouvais rien voir à cause de ma montagne ventrale. En tournant la tête, je ne pus distinguer que des bribes d’actions sur un compagnon placé à environ 60°. L’une appuya sur la pointe du ventre, deux autres poussèrent sur les flancs tandis que la quatrième, à genoux devant notre « orifice de sortie » que je ne saurais qualifier d’utérus, plongeait un avant-bras à l’intérieur. Malgré l’anesthésie, la douleur commença à sourdre sérieusement. Je sentais bien qu’un petit démon voulait absolument sortir de sa cage coûte que coûte, gesticulant et poussant sans doute de la tête, des bras et des jambes. « De quoi cet enfant allait-il avoir l’air ? ». Ma joie initiale commença à se transformer en angoisse. Immobilisé par la combinaison et le matelas spécial, je ne pouvais rien faire pour aider. Tous les compagnons éructaient de douleur, le cou cassé en arrière.
Le calvaire dura pendant deux bonnes heures. C’est là où je mesurais ce que nos femmes terriennes devaient subir lors de l’accouchement. Donner la vie est un acte héroïque. Alors la maîtresse d’œuvre ordonna l’opération ultime de délivrance. Muni d’un instrument de précision de découpe laser, elles nous ouvrirent le ventre de haut en bas. De cette ouverture elles extirpèrent l’objet de leurs désirs qui s’avéra être une sorte de gros œuf mou fait d’une peau placentaire épaisse et bleuâtre à l’intérieur de laquelle remuait quelque chose d’informe. Sitôt parvenue à l’air libre, les sœurs placèrent chaque masse visqueuse dans des sortes de couveuses hermétiques pour vite les emporter à l’intérieur du vaisseau. J’en fus extrêmement déçu et frustré. Pas moyen de voir mon bébé ! Nos ventres retombèrent en plis flasques telle des baudruches dégonflées laissant échapper un liquide visqueux transparent, substitut synthétique placentaire, supposai-je. Les tuyaux se détachèrent de nos corps pour aller vite se replacer à l’intérieur des alvéoles de la coupole du dôme. Puis, on nous laissa comme cela, un peu comme des déchets de chrysalides. Nous n’avions été que des enveloppes larvaires et le moral était au plus bas. Le commandant refit l’appel. Malheureusement, trois voix ne se firent pas entendre et AHANDI n’était toujours pas visible, car j’imaginai qu’elle aurait aimé assister à tout ça pour nous rassurer.
L’effondrement psychologique qui s’ensuivit ne fut qu’un puits sans fond. Seule INDRA, la plus ancienne des sœurs, vint nous visiter le lendemain toute en larmes. Immobile au centre du dôme, elle commença par nous dévisager avec une compassion certaine, puis s’occupa des corps des camarades n’ayant pas survécu à l’opération ; elle les plaça délicatement dans des tubes antigravitationnels, cercueils sophistiqués d’outre-espace. Elle revint pour nous adresser ses sincères condoléances. Après quoi elle actionna son implant qui fit baisser l’éclairage ambiant et chuinter les dispositifs de surveillance pour nous parler à voix basse.
— Voilà, j’ai coupé le système de sécurité relié directement au centre de surveillance.
Le commandant ne ménagea pas son humeur pour l’invectiver.
— Mais qu’est-ce que vous avez foutu ? C’était sans danger soi-disant ! J’ai perdu trois membres de mon équipage à cause de votre satanée expérience génétique.
— Je sais. Et je comprends parfaitement votre colère. Nous sommes toutes aussi boulversées. Nous allons pratiquer des autopsies pour mieux comprendre. Ma première hypothèse se base sur une attaque cardiaque. Le cœur de vos amis aura trop été sollicité pendant l’effort sous la pression de l’accouchement. Il nous faut absolument résoudre ce problème avant de renouveler l’expérience. Par ailleurs, trois bébés sont en grandes difficultés respiratoires et quatre autres présentent des faiblesses cardiaques et des difformités incompréhensibles. Encore, hélas… Pire, trois autres bébés sont décédés malgré l’assistance biotechnologique. Il n’y a que la petite fille de Monsieur CIRITIN POURAMONT qui soit en bonne forme. Des ajustements nanotechnologiques préparatoires sont à recalculer.
— Mais THOCESTRIS avait promis de nous rendre nos corps d’origine juste après…
— La grande ARIUK décide de ce qu’elle veut. Nous n’avons pas notre mot à dire. Vous allez être libérés de votre carcan, mais conserverez encore un moment vos modifications internes jusqu’au nouvel essai.
— Un nouvel essai !? Où est votre sens de l’honneur ?
— C’est une notion qui nous est étrangère.
— Et ça va prendre combien de temps ?
— Je ne sais pas. Des jours, des semaines, des mois peut-être.
— Elle nous a bien eu la grande garce ! S’énerve un matelot encore tout dégoulinant de liquide amniotique synthétique.
— En tant que doyenne des sœurs, j’ai honte de ce que l’on vous a fait subir. Mais la prêtresse-mère se méfie de moi. C’est pourquoi toutes mes autres sœurs ont été modifiées pour leur ôter toute émotion et tout libre arbitre.
— Mais si vous êtes bien son clone, vous devriez penser exactement comme elle ? Demandai-je.
— Effectivement. Mais THOCESTRIS est âgée de près de 700 ans et n’a plus le même état d’esprit que la jeune savante talentueuse et philanthrope de 120 ans, âge qui est aujourd’hui le mien. Elle fut une chirurgienne en génétique nucléique la plus renommée sur ANDAR. Elle était compatissante et altruiste envers toutes les espèces. Avec la guerre, chaque camp voulut s’emparer de ses compétences pour fabriquer notamment des machines bio-synthétiques meurtrières. Lors de ce conflit, elle perdit toute sa descendance et ses ancêtres, raison pour laquelle elle s’enfuit sur un vaisseau volé grâce à la complicité de ses condisciples, tous exécutés après sa fuite. J’incarne donc encore, en quelque sorte, la jeune chirurgienne empathique qu’elle fut jadis alors qu’elle ne pense aujourd’hui qu’à la vengeance.
— Je vois. Dit le commandant affligé. La guerre fabrique souvent des monstres. Mais êtes-vous réellement sa complice dans ses expériences cruelles et contre-nature envers les diverses espèces échouées ici ? Et pour AHANDI ? Que lui est-il arrivé ?
INDRA ne répondit rien et se contenta de remettre en fonction le système complet.
— D’ici ce soir, vous serez sur pieds. Mes sœurs vont venir vous nettoyer et vous recoudre après quelques examens bio-métriques. Sur ces mots, elle sortit pour laisser la place à une meute d’infirmières assistées de petits robots volants que nous n’avions encore jamais rencontrés jusqu’ici, boules aux multiples petits bras terminés par des instruments de précision.
11. Esclavage
Quelques semaines plus tard, nous étions parfaitement d’aplomb sinon que nous devions nous adapter à notre nouvelle anatomie artificielle légèrement bedonnante. Elles nous ont greffé un genre de plastron de peau artificielle du cou jusqu’au pubis. Pour nous « maintenir en forme » nous participions, sous la surveillance des robots cubiques, au travail des champs en compagnie des gnomes grincheux qui semblaient dénués de tout langage. Pour ma part, je cachais autant que possible la joie de savoir qu’une petite fille fut sortie de ma chair et ne pouvais m’empêcher de développer quelques sentiments paternels aussi artificiels fussent-ils. Intérieurement, je l’avais baptisée ALICE en hommage à ma grand-mère qui m’avait élevé. J’avais tellement hâte de voir mon enfant. Quand j’interrogeai INDRA à son sujet, je n’obtins que des réponses vagues et m’armai donc de patience. Par leurs graves babillages inarticulés, les gnomes ne semblaient guère heureux de leur sort. Ils vivaient en autarcie dans un village troglodyte à quelques centaines de mètres du vaisseau. Dès l’aube, on les voyait débouler aux champs en file indienne avec leurs outils sur le dos. Ils me faisaient un peu penser aux nains travailleurs de Blanche Neige. Nous ne nous en approchions guère à cause de leurs airs grognons dont nous redoutions l’animosité empreinte de jalousie. Peu importait. Compter sur eux aurait sans doute été une erreur. Donc nous nous en tenions à l’écart sans animosité.
Au bout de quatre ans de ce régime, sans être informé de quoi que ce soit, le commandant prit les devants en me demandant de l’accompagner au vaisseau. Nous n’avions pas encore revu THOCESTRIS, sans doute trop affairée à multiplier ses expériences et ses calculs. Aussitôt, nous fûmes devancés par la petite armée de robots qui nous stoppa dans notre élan en formant un mur devant nous. INDRA surgit à notre secours.
— Que désirez-vous chers hôtes ?
— Nous voulons parler à la grande ARIUK immédiatement ! Invectiva le commandant.
INDRA se retourna pour murmurer quelque chose à son implant, outil à tout faire apparemment.
— Elle va vous recevoir hors du vaisseau dans la salle de prière.
— Salle de prière ? Demandai-je étonné. Vous cultivez donc une religion ?
— Oui, nous prions nos dieux régulièrement à l’écart des regards et du bruit. C’est par ici. Suivez-moi.
En effet, derrière un monticule fleuri, nous découvrîmes un bâti en forme de polyèdre où nous pénétrâmes par une ouverture translucide. L’endroit était vaste et le sol recouvert de tapis aux motifs ésotériques alambiqués. Dans le fond, trônait un autel sculpté de diverses effigies sur lequel était posée une gigantesque sculpture « féminine » à quatre têtes, représentant sans doute leur figure cultuelle principale. Bientôt, la prêtresse-mère ARIUK nous y rejoignit pour prendre place sur un trône que les sœurs lui glissèrent sous le séant, ciselé dans un matériau précieux étincelant. Les disciples nous invitèrent à nous asseoir en tailleur sur les tapis, à bonne distance de la prêtresse. Sans attendre nos doléances, elle prit la parole.
— Je sais exactement ce que vous voulez savoir, dit-elle d’un ton qui n’aurait pas supporté la contradiction. Il vous faudra malheureusement patienter encore quelques semaines. Nous sommes sur le point de faire une grande découverte pour obtenir des portées pleinement viables et en pleine santé.
— Une portée ? M’insurgeai-je avec rage. Nous ne sommes donc que des cobayes de laboratoire à vos yeux ? !
— Le pensez-vous vraiment ? Votre espèce est définitivement inférieure à la nôtre. Il faut rester réaliste et patienter ; ce n’est pas grand-chose.
— Parlez pour vous. Notre longévité n’est pas aussi importante que la vôtre.
— Je sais, mais c’est comme ça. Nous vous aiderons à prolonger celle-ci en dédomagement.
C’est à cet instant que le commandant et moi-même comprîmes exactement comment la Tarkadienne nous considérait véritablement. Le masque du tyran de la génétique, de l’obsédée de la gestation forcée, dénuée de toute empathie, venait de se révéler à nos yeux furax.
— Vous manquez à votre parole ! Pourquoi ce revirement ? S’insurgea le commandant tout en voulant se relever.
Très vite il fut maintenu assis par les sœurs, leur force étant considérable.
— Je ne vous ai rien promis de tel. Le contrat tacite reposait sur une portée complète et parfaite ce qui est loin d’être le cas. Il nous est primordial de reconstituer une population pérenne afin de refonder une colonie florissante de notre espèce.
— Ce n’est donc pas seulement une question de survie de votre genre mais d’ambition politique ! Vous parlez de colonie, mais moi je pense plutôt à une armée ! Lui rétorqua le commandant.
— Les deux ne sont pas contradictoires. Tant que vous serez en mesure de porter des nouveaux embryons, vous ne quitterez pas la planète. J’en ai décidé ainsi. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre encore plusieurs siècles avant qu’une autre espèce compatible ne finisse par tomber sur cet astre. Mes filles-sœurs ! Raccompagnez ces créatures aux champs et gardez bien un œil sur elles en leur assignant à chacun un bot de surveillance.
— Vous vous rendez compte que vous avez perdu toute notre confiance ? Et qu’en est-il de notre doctoresse ? Intervins-je.
THOCESTRIS ne répondit même pas. Il était clair que nous étions ses prisonniers. Pire, des poules pondeuses en élevage intensif. Dès lors nos relations restèrent distantes et froides. Les nerfs à vif, au grand dam d’INDRA qui ne semblait pas partager les objectifs de sa mère-sœur. Nous quittâmes donc le lieu de prière bien encadrés.
12. Complot
Le soir même, dans notre dôme, nous fîmes un compte rendu à nos compagnons d’infortune. Ces fiers marins étaient au bord de la révolte, prêts à faire n’importe quoi pour sortir de là. Nous n’étions plus que huit sans compter AHANDI dont nous n’avions toujours pas de nouvelles. Je supposai que la prêtresse l’examinait sous toutes les coutures de ses moindres cellules. Était-elle même en vie ? Un intense sentiment de colère et d’injustice nous parcourut l’esprit collectivement, attendant une opportunité pour inverser la situation. Ceci dit, comment faire pour nous en sortir, dépouillés de tout moyen technologique à notre portée ? Il nous faudrait donc user de la ruse la plus immorale, sournoise et perfide si nécessaire…
Un an encore plus tard, j’entraperçus enfin ma fille. Elle jouait avec un petit animal pelucheux de couleur rose bonbon. Constamment entourée de quelques sœurs, telle une princesse, elle ne semblait pas du tout se rendre compte de la situation. En tout cas, je ne pouvais me tromper sur son identité, car elle était la seule à avoir conservé plus ou moins la couleur de ma peau. Sans doute à la grande déception de sa « génitrice ». Elle paraissait déjà âgée d’au moins quatre ans, jouissant de la vie avec l’insouciance de l’enfance ce qui me réchauffa intensément le cœur. Petite reine entourée de ses suivantes qui participaient à tous ses jeux tout en lui prodiguant quelque éducation. Sur le coup, je n’osai croiser son regard de peur de lui faire honte ou de l’effrayer. Elle était belle comme un cœur ! Des cheveux longs, soyeux et lumineux, de longs bras gracieux et des jambes de danseuse. Son visage au nez court et aux yeux étrangement asiatiques d’un bleu profond comme les grandes bleues, semblaient lancer des éclairs. Sa robe lui faisait comme une corolle. « Ô ma jolie fleur ! » me dis-je. Savait elle-même que j’étais son « géniteur ? ». C’était peu probable. Pourtant, un jour elle échappa à la surveillance de ses nounous et courut vers les champs où nous étions à la tâche, suant et empestant de nos effluves naturels. Elle s’arrêta net pour nous reluquer tour à tour. Les sœurs accoururent paniquées.
— Quelles sont donc ces créatures ? Leur demanda-t-elle. Je n’en ai jamais vu parmi nous sur le vaisseau. D’où viennent-elles ? À quoi servent-elles ? Parlent-elles ? Sont-elles aimables ? Puis-je jouer avec elles ? Etc.
Toutes sortes de questions semblaient fuser dans son esprit extrêmement curieux et pertinent. Au moins, ce n’était pas le manque de franchise qui l’étouffait. Ce qui faisait déjà mon admiration et ma fierté de père. Mon ALICE était aussi belle de loin que de près. Son œil vif et ses gestes gracieux faisaient d’elle une petite fille que l’on ne pouvait s’empêcher de contempler et de vouloir prendre dans ses bras pour la cajoler. Pour un peu, j’aurais quitté les rangs et me serais précipité sur elle pour la couvrir de mille baisers. À cet instant, mes sentiments et émotions paternelles explosèrent dans mon cœur et mon esprit, avec une force que je n’aurais jamais imaginée auparavant bien qu’elle n’avait rien d’humaine au sens propre. Plus tard, ces petites visites se firent de plus en plus fréquentes malgré la visible désapprobation de ses suivantes. Véritable petite ALICE « Carollienne » à la découverte de son royaume de merveilles, elle laissait dans son sillage une douce brise féerique. Alors que je travaillais au bord d’un carré de choux orange, elle m’adressa pour la première fois la parole sans en demander la permission à ses surveillantes.
— On m’a dit que tu étais un « humain ». Que fais-tu donc ? C’est bien comme cela que tu t’appelles ? Un humain ?
Dans un premier temps, complètement submergé par mes émotions, je n’arrivai pas à sortir le moindre son. J’ai commencé par balbutier pour enfin formuler une phrase correcte.
— C’est en effet le nom de mon espèce. Mais chacun d’entre nous porte un nom particulier. Le mien est CIRITIN. Et pour répondre à ta question, je coupe en ce moment les feuilles en surplus pour que le bulbe du chou puisse s’épanouir en toute vitalité. Sinon, il resterait tout petit et rabougri.
— Est-ce que c’est difficile à faire ? Est-ce que je peux t’aider ?
— Non, ce n’est pas bien difficile. Il faut juste être précis pour ne pas abîmer le légume. Au bout d’un moment, ça donne un peu mal au dos parce que nous sommes constamment courbés. Quant à m’aider, il faudrait que tu en demandes la permission. Mais je ne pense pas que tes accompagnatrices l’approuveront.
— Ce n’est pas bien ! S’offusqua-t-elle.
Elle se retourna donc vers ses suivantes qui avaient tout entendu de la conversation. Sans avoir à poser la question, elles lui signifièrent d’un signe de tête négatif qu’il était hors de question qu’elle travaillât aux champs. Elle tapa du pied qui forma une onde de choc poussiéreuse très puissante. Deux sœurs en tombèrent les fesses à terre. J’en restai bouche bée. Alors elle se retourna à nouveau vers moi.
— J’en parlerai à mère pour qu’on vous laisse au moins vous reposer plus souvent. Après tout, c’est grâce à vous que nous mangeons à notre faim. Les gnomes n’ont pas ce souci au vu de leur petite taille, je suppose ?
— Je ne saurais te le dire, car nous ne communiquons jamais. Ils s’occupent surtout des mauvaises herbes à ras du sol.
— Bon. Je vous souhaite une bonne journée, cher CIRITIN. J’ai été enchantée de faire votre connaissance. Dit-elle poliment tout en s’éloignant.
— Moi aussi chère demoiselle ! Bonne journée.
Alors elle se retourna vers moi avec de grands yeux rieurs tandis que les sœurs montraient quelques signes de frayeur devant cette enfant surpuissante. « Quelles autres surprises cachait-elle en son petit corps d’apparence si inoffensive ? » me dis-je.
— Au fait, je m’appelle ÉLÉA. Cria-t-elle de loin.
— À bientôt donc, ÉLÉA !
À peine se fut-elle éloignée de quelques dizaines de mètres que mon cœur se mit à battre si fort que je faillis en faire un malaise et me rétamer dans les choux. Je me soutins avec la binette pour éviter à mes genoux de flancher. Le commandant avait tout vu et entendu de la scène ; constatant mon émoi impossible à déguiser, il vint me parler en aparté.
— Vous me semblez être déjà très attaché à votre « fille » ? Car malgré tout, elle est au moins à moitié de vous. C’est une créature exceptionnelle !
— On ne peut rien vous cacher commandant. J’aurais tellement voulu la serrer dans mes bras et tout lui raconter… mais je sais que c’est impossible. Elle est trop jeune pour comprendre.
— Peut-être pas encore. Mais bientôt. Elle grandit très vite et malgré ses deux ans de vie, elle me semble déjà très mature. Courage mon vieux. Les Tarkadiennes ne pourront pas nous mettre de côté ad vitam eternam. Les enfants finissent toujours par poser des questions sur leurs véritables origines. THOCESTRIS sera bien obligée de lui répondre à un moment ou à un autre.
— Vous avez peut-être raison commandant. Mais c’est dur de patienter en feignant de n’être qu’un étranger pour elle, elle qui a réveillé en moi des sentiments et des émotions que j’ignorais totalement jusqu’ici. C’est comme si tout cela était en moi depuis longtemps et ne demandait qu’à éclore.
— C’est normal. Ça s’appelle « être papa ».
— Avez-vous des gosses, commandant ?
— Oui. J’ai deux garçons. Ils vont sur leurs dix-huit ans aujourd’hui et j’ai hâte de les revoir, si tant est que nous réussissions à nous sortir de ce pétrin.
De loin, une autre personne avait tout capté de notre échange, à savoir INDRA. Car les Tarkadiennes ont une ouïe très développée. Bref, la discussion entre le commandant et moi portant sur nos enfants avait ému celle-ci au plus haut point. Souvent, j’avais noté son humeur renfrognée en sortant du vaisseau, déçue, voire en colère, sans doute à cause des actes et des décisions de sa mère-sœur contre laquelle elle ne pouvait s’opposer de front. INDRA était de plus en plus perturbée et revint nous voir en pleine nuit à la sauvette. Elle me réveilla discrètement ainsi que l’officier ESCOURROU pour nous amener, un doigt sur la bouche, loin des dispositifs de surveillance dont elle connaissait parfaitement les emplacements. C’est là qu’elle nous fit de terribles révélations :
— Tous les enfants n’ont pas survécu. Seule ÉLÉA a, pour des raisons inconnues à ce jour, trouvé un parfait développement morphologique. En dehors de sa petite taille pour une enfant à demi Tarkadienne et son teint de peau un peu rosé, elle est en pleine santé. Ses capacités intellectuelles, sensibles et physiques vont même très certainement dépasser celle de la prêtresse et ses sens sont incroyablement développés. Je pressens que THOCESTRIS en développe une certaine méfiance. Son objectif est de produire en série de parfaites filles obéissantes ; elle est trop animée d’un vindicatif sentiment de vengeance. Son délire vise une prise de pouvoir par un coup d’État sur ANDAR. Je crois qu’elle devient folle…
— Qu’en est-il de vos sœurs les plus jeunes ? S’inquiète le commandant.
— Je ne peux pas leur faire confiance. Elle les a bridés neurologiquement et ce sont ses véritables esclaves aveugles et sourdes à toute autre voix que la sienne. Je crains pour vos jours à l’avenir. Ce qu’elle a imaginé en termes d’hybridation bio-nano-technologique de vos corps est monstrueux. Son objectif est de vous inséminer le plus possible jusqu’à la mort s’il le faut. Vous ne pourrez plus jamais retrouver votre apparence ni vos fonctions corporelles d’origine.
— Avez-vous des nouvelles d’AHANDI ?
— J’hésite à vous en parler…
— Crachez le morceau ! Vous en avez dit trop ou pas assez ! S’énerva le commandant.
— THOCESTRIS n’a eu de cesse de la disséquer en lui prélevant au passage des ovules et un ovaire pour les examiner de plus près. Elle en a fait des clones synthétiques pour améliorer la chirurgie nano-biologique pour le prochain essai. Une nouvelle version du processus est sur le point d’aboutir. Après quoi, AHANDI fut replacée en stase, mais je crains vraiment pour sa vie désormais.
— Cette prêtresse chirurgienne se prend vraiment pour Frankeinstein ! Hurlai-je.
— Chut. Pas si fort. Me reprocha INDRA. Qui est donc ce Frankeinstein ?
— Un horrible chirurgien issu de nos histoires terriennes qui se prenait pour un dieu ; ça finit mal pour lui malgré son immense force intellectuelle, assassiné par sa créature ressuscitée d’entre les morts. Enfin, en résumé.
— Dorénavant, j’ai pris la décision de vous aider à vous enfuir avant l’échéance de la prochaine tentative de conformation génétique. Affirma INDRA avec résolution.
— Mais comment ? Notre vaisseau étant en morceaux, je ne vois pas comment. Répliqua le commandant sur un ton incrédule.
— En réalité, le nôtre est en parfait état. La grande ARIUK vous a menti aussi à ce sujet. Car c’est nous qui générons la porte trans-dimensionnelle que vous avez prise pour un trou de ver vagabond. Nous pouvons l’ouvrir et la refermer à volonté et même lui attribuer des points de mire n’importe où dans la galaxie. Elle nous sert en quelque sorte de filet de pêche pour nous ramener des candidats à nos expériences. C’est un peu hasardeux quant aux voyageurs recueillis, mais il est vital que nous restions cachées de ANDAR où les bi-femelles HASHMAL ont pris le pouvoir sur les autres genres complémentaires. De plus, en nous faisant passer pour des naufragées, nous gagnons très facilement la confiance des hôtes en détresse.
— Et la peste blanche, elle existe vraiment ? Demandai-je avec suspicion.
— Pas du tout. C’est une infection biotechnologique destinée à éliminer les produits défectueux par simple fumigation. Beaucoup se sont échappés vers les marais où ils survivent comme des animaux sauvages. Parfois ils tentent de nous nuire, mais sont vite refoulés par notre armada robotique. Ce sont des créatures difformes et assoiffées autant de vengeance que de chair Tarkadienne.
— Les choses s’éclairent tragiquement. Repris le commandant tout en serrant les poings de rage. Alors comment imaginez-vous nous permettre de nous échapper ?
— En utilisant un module d’extraction d’urgence. Il en existe six, tous encastrés au sommet de la sphère. Il faudra d’abord que je vous en enseigne le maniement. Ce n’est guère compliqué, vous verrez.
— Et vous-même INDRA ? Viendrez-vous avec nous ?
— Non c’est impossible. Je ne peux abandonner mes sœurs et le module ne peut contenir plus de 3 passagers. Vous emmènerez plutôt AHANDI si je parviens à lui redonner apparence humaine. Elle est en sale état. De plus, qu’irai-je faire sur la planète Terre ? J’y deviendrai vite un cobaye pour vos savants comme nous l’avons fait sur vous. Je n’y tiens pas. Il vous suffira ensuite repasser le trou de ver qu’il me faudra maintenir sur la trajectoire cible qui vous a amené jusqu’à nous. Je propose donc que CIRITIN m’accompagne demain pour un faux contrôle biométrique à l’intérieur de la sphère. Une fois dans l’étage des modules au sommet de la sphère, je lui apprendrai l’essentiel des manœuvres de pilotage. Nous agirons d’ici à trois jours, à l’aube. Vous emmènerez AHANDI juste au moment du départ, si cela est possible. Sinon, vous emporterez son sarcophage de stase : pour l’ouvrir, il suffit d’appuyer successivement sur le bouton vert et entrer le code suivant : 7H-88. Vous vous en souviendrez ?
— C’est déjà mémorisé. Répliquai-je. Et si vos sœurs nous démasquent et se mêlent de nos affaires ?
— Je tâcherai de vous procurer au moins une arme paralysante. Pour ma part, je serai en salle de contrôle pour ouvrir le portail. Tout devra se faire au lever du jour quand le vaisseau n’est pas encore en pleine activité.
— Et le reste de mon équipage ?
— Désolé. Le reste vous regarde. Ils devront s’enfuir là où on ne pourra les retrouver et survivre du mieux qu’ils pourront. C’est le mieux que je puisse faire. Voici quelques pilules rétroactives. Quand vous serez en sécurité, elles vous rendront votre anatomie originelle. Je vous préviens, ce sera long et douloureux.
Sur ces instructions, INDRA s’empressa de regagner sa couche dans le vaisseau Tarkadien. Nous fîmes de même d’un pas lourd et révolté à la fois. Avant d’entrer dans le dôme, le commandant me saisit par le bras pour me dire :
— Pas question d’abandonner nos hommes. Nous passerons en force en deux vagues. Dès demain, nous les informerons discrètement du plan en nous masquant dans les champs.
— Il nous faudra donc plusieurs modules. J’aurais deux jours pour leur transmettre les techniques de pilotage. Ça devrait aller si ce n’est vraiment pas trop compliqué. Complétai-je.
— Vous avez raison. Nous ferons comme cela.
13. AXOEK
Toute la nuit, je ne cessai de penser à ma petite ALICE si charmante et si formidable. Elle devrait certainement adorer la vie sur Terre. Elle pourrait y aller à l’école, jouer avec des copines de son âge, porter des robes et tout ce qui fait la vie d’une jeune fille normale pour devenir une femme accomplie. Plus j’y songeais et plus je me convainquis qu’il me fallait absolument l’emmener avec nous, même si son apparence n’était pas conventionnelle. J’improviserai une fois notre fuite engagée tout en sachant que ce ne sera pas si évident. Ne parvenant pas à dormir, je quittai le dôme un moment pour une ballade nocturne afin de me vider l’esprit lorsque, de loin, je distinguai la silhouette reconnaissable d’AXOEK. « Qu’est-ce qu’il mijote celui-ci ? » me demandai-je en le suivant furtivement. Le bonhomme portait un gros ballot sous le bras tout en s’éloignant du site. Visiblement et à ma grande surprise, il se dirigeait vers le village troglodyte des gnomes. Nous marchèrent ainsi l’un derrière l’autre pendant un bon moment avant qu’il ne s’arrêtât près d’un grand arbre tortueux comme un Boa. Au bout de quelques minutes une petite troupe de gnomes vint le rejoindre et s’assit en cercle autour de lui. Il posa le paquet à terre pour en sortir diverses denrées et friandises qu’il avait certainement chipées en douce à droite et à gauche. Car jusqu’ici la nourriture nous était distribuée par les sœurs en quantité suffisante mais jamais sans le moindre supplément. Connaissant le gaillard, je ne m’étonnai pas qu’il y soit parvenu, soit en détournant l’attention des grandes bleues et en profitant des angles morts. Mais le plus étonnant fut qu’il se mit à discuter avec les nabots dans leur propre langage. Il faut dire que nous étions là depuis plusieurs années et que ce fourbe avait certainement réussi à comprendre leur dialecte petit à petit pour s’en faire des amis, de toute évidence. J’avais beau tendre l’oreille, je ne compris strictement rien à leur conversation. Mais là où nous avions tendance à nous écarter de ces êtres aux petites proportions musclées, ce marin avait réussi ce que nous n’avions même jamais tenté, à savoir nous rapprocher de cette petite population qui ne demandait qu’à être un peu gâtée et respectée. Grave erreur de notre part. Ils échangèrent ainsi pendant plus d’une heure, mais avant de se séparer, l’un des gnomes lui remit un petit paquet bien enveloppé que le marin fourra vite fait dans sa combinaison. Puis les petits bonshommes s’en retournèrent et je n’attendis pas qu’AXOEK ne me vit pour rebrousser chemin à toute vitesse en me courbant de fourrés en fourrés. J’arrivai donc au dôme bien avant lui et réveillait le commandant pour lui relater tout ce que je venais de voir.
— Visiblement il prépare quelque chose… Je connaissais l’homme avant notre départ et sa réputation de magouilleur et de petit truand était assez connue d’un certain nombre de marins sur les docks.
— Je m’étonne qu’il ait pu rejoindre notre équipage. Il aurait fallu mener une enquête un peu plus approfondie. Me répondit le commandant. Je suggère que nous l’interrogions dès son retour dans le dôme.
Nous nous cachâmes donc dans l’obscurité de part et d’autre de l’ouverture de la porte. Dès que le gaillard en passa le perron, nous le chopions fermement par les bras pour lui faire faire demi-tour à l’extérieur, loin des systèmes de surveillance. Nous l’assîmes de force et le commandant commença à le questionner :
— Qu’est-ce que vous mijotez AXOEK ? Depuis combien de temps êtes-vous aussi copain avec les gnomes qui ne nous ont jamais montré beaucoup d’affection ?
— J’ai simplement appris à les connaître en me rapprochant d’eux, ce que vous n’avez jamais daigné faire du haut de votre prestance orgueuilleuse. Depuis longtemps ils sont traités comme des parias et des esclaves ; grâce à mes offrandes je réussis à les apprivoiser. Petit à petit j’appris leur langage, rudimentaire certes, mais suffisant pour en savoir plus sur notre situation. Ce sont des autochtones s’appelant eux-mêmes les « Grekji ». Ils vivaient tranquillement à la manière d’une tribu primitive amazonienne. Lorsque les grandes bleues débarquèrent, elles en capturèrent un grand nombre grâce à leur armement robotique pour en faire leurs forces vives de main-d’œuvre. Elles avaient grand besoin de cultivateurs-cueilleurs, non seulement pour la nourriture mais aussi pour le biocarburant. En échange, elles les ont toujours protégés des prédateurs jusqu’à éliminer ceux-ci sur des kilomètres à la ronde. Car figurez-vous qu’il existait dans la contrée un grand nombre d’un genre de lions rouges à dents de sabre et des primates carnivores. Ils ont même fait de leurs crânes des masques cérémoniels. Les bleues ont fait le ménage tout en les maintenant sous leur coupe. Cela dure depuis des décennies et des décennies. Des générations se sont succédé sans jamais avoir eu l’idée de se révolter, trop effrayées qu’elles étaient par leur technologie.
— Et qu’est-ce donc que ce paquet que vous cachez sous votre combinaison ? Lançai-je.
Alors il découvrit à nos yeux la chose en question, bien emballée dans un genre de tulle grossier. Il en extirpa un objet qui n’était autre qu’une arme que les Grekji avaient réussi à prélever en cachette sur le cadavre d’un alien naufragé. AXOEK nous expliqua que les gnomes ne savaient pas à quoi cela pouvait servir, mais pour lui cela ne faisait aucun doute.
— Je pressens que vous avez un plan. Quel est-il ?
— J’ai pu entendre votre petite conversation sur une stratégie de fuite avec la complicité de INDRA. Au passage, je vous fais remarquer que je ne fus pas invité à votre petite réunion !
— C’est parce que je n’ai jamais eu confiance en toi. Lui répliquai-je. Raconte !
— Si vous voulez retourner sur Terre, cela vous regarde. Personnellement je n’ai rien à y retrouver et y resterai le minable marin que je suis encore aujourd’hui. Je vise simplement plus haut que vous. Les technologies des grandes bleues sont extraordinaires et j’ai l’ambition de m’en emparer.
— Avec l’aide des Grekji je suppose ? Relança le commandant.
— Évidemment ! Ils sont plusieurs centaines et même avec les pouvoirs des Tarkadiennes, elles seront vite dépassées par le nombre ! Il ne fallait qu’à ces petites créatures un chef suffisamment intelligent pour mettre au point un plan d’attaque. Si vous voulez partir, partez ! Moi je reste et je passerai à l’offensive dès que vous aurez passé la porte trans-dimensionnelle. Si nous l’emportons comme je l’espère, j’aurais tout mon temps pour découvrir et comprendre les secrets des grandes bleues après avoir exécuté THOCESTRIS. Les filles-sœurs en savent assez pour m’enseigner tout ce qu’elles savent.
— Vous comptez donc obtenir leur consentement ? Vous rêvez.
— Pas forcément. Il me suffira d’en tenir la moitié en otage, cachée dans le village troglodyte pour obliger les autres à nous révéler tout ce qu’elles savent.
— Je trouve ton plan un peu naïf, car tu n’as pas la moindre idée de leur puissance de feu grâce à leurs robots et à leurs nano-implants ? Rétorquai-je.
— Les implants dans leurs bras ? Il suffira qu’on les leur coupe… puis j’en récupérerai un que j’obligerai l’une d’elle à m’implanter afin de garder le contrôle à moi seul.
— En somme, tu comptes devenir le maître de ce monde en t’emparant d’une technologie extraterrestre dont tu ne sais rien ?
— Je ne me contenterai pas de cette planète, mais je compte bien explorer la galaxie et devenir un personnage important quelque part dans l’univers. Pas question de rester un prolétaire de la marine marchande terrienne sur un mont de cailloux !
C’est là où le commandant et moi-même perçûmes le véritable état d’esprit du personnage, prêt à tout pour se construire un royaume dont il serait le tyran. La question était de savoir s’il comptait aussi s’attaquer à la planète Terre. Laisser dernière nous un tel personnage avide de puissance, représentait un risque inacceptable. Alors le commandant la joua finement :
— Très bien AXOEK. Merci pour votre franchise. Menez donc votre plan à votre guise. Je vous demande seulement d’attendre que nous ayons réussi à fuir. De là, peu m’importe votre destin. Avons-nous un accord ?
AXOEK lui tendit la main que le commandant serra fermement, scellant ainsi un pacte de non-agression. Puis, nous regagnâmes notre logis et nous couchâmes sans un mot. En mon for intérieur, je savais que mon officier n’en resterait pas là. Il cherchait seulement à gagner du temps et une opportunité. AXOEK traîna un peu derrière nous pour cacher son arme. Rien ne nous permettait de croire qu’il respecterait sa parole et qu’il ne profiterait pas de notre diversion de fuite pour mettre son plan à exécution à nos dépens. Malgré tout, je m’inquiétai pour INDRA. Devais-je la mettre au courant ? Cette nuit-là je ne dormis que d’un œil, ne cessant de songer aux dernières paroles d’AXOEK le fourbe. « Pourquoi y aura-t-il toujours un seul individu nuisible pour mettre à bas tous les efforts d’une communauté ? ».
14. Actions
Comme convenu, le lendemain matin, INDRA vint me chercher pour pénétrer le vaisseau sphérique. Elle désactiva momentanément les robots de surveillance et nous empruntâmes l’ascenseur-aspirateur jusqu’au sommet où sont logés les modules d’extraction. Là, je découvris des engins de forme hémisphérique, leur face bombée épousant parfaitement l’extérieur du navire et restant donc invisibles de l’extérieur. Nous entrâmes dans celui immatriculé M-4. L’intérieur était vraiment surprenant de confort et d’épuration. Nous prîmes place devant le tableau de commande et INDRA m’en fit le topo technique de démarrage, de libération des attaches magnétiques. Ensuite, elle me montra les manœuvres de guidage et d’atterrissage. En effet, ça paraissait assez simple et je m’efforçais de tout mémoriser visuellement. Je n’avais pas la mémoire de mon ami LITERT, mais quand il y a urgence, il y a urgence. Car il me faudra transmettre tout cela à trois autres pilotes parmi les compagnons. Ensuite, nous revînmes sur nos pas vers l’ascenseur. Je stoppai net dans un corridor et interpellai gentiment INDRA.
— Par pure curiosité, où est la chambre de ÉLÉA ? Demandai-je d’un air détaché pour ne pas éveiller ses soupçons.
— L’enfant est logée juste en dessous, au niveau 4. Pourquoi ?
— J’aurais tant aimé la voir au moins un instant, si vous le permettez.
— Non. C’est beaucoup trop dangereux. Mieux vaut l’oublier mon pauvre ami. Mais je comprends votre chagrin. Je suis persuadée que vous auriez fait un bon père. Vous avez toute ma compassion.
— Vous avez raison. Mieux vaut ne plus y penser. Fis-je semblant de confirmer son conseil.
Ceci dit, je photographiai mentalement et attentivement les lieux, car il n’était pas question pour moi de m’évader sans ma fille.
Le soir même, près de notre dôme, je dessinai discrètement dans un fourré le tableau de bord du module sur un morceau de tissu que je glissai sous ma combinaison. Au matin, nous allâmes aux champs comme d’habitude ; à couvert des hautes herbes, j’enseignai aux autres marins ce que j’avais appris en leur conseillant de bien mémoriser mon esquisse. Puis, le commandant expliqua son plan d’évasion en deux vagues successives. La première se déroulera sous la houlette de notre complice INDRA, la seconde se fera sous l’égide d’un acte de piraterie quoi qu’il en coûte.
— Si INDRA devait s’y opposer, il nous faudrait la neutraliser. Affirma-t-il froidement. Et pas question d’abandonner AHANDI. Si jamais il m’arrivait quelque chose, il vous faudra agir sans moi sous les ordres de CIRITIN en qui j’ai toute confiance, mon second étant décédé. Je sais que vous avez quelque antipathie à son égard, mais il vous faut absolument passer outre ! Nous sommes des marins ou pas ? S’exclama-t-il en signe de ralliement.
— Ouha ! Lui répondirent tous en chœur tandis qu’on venait me taper sur l’épaule amicalement.
Belle démonstration de solidarité virile de la marine marchande. Bien sûr, AXOEK n’était pas là… Le lendemain, nous reprîmes les travaux quotidiens comme si de rien n’était bien que certains avaient du mal à réprimer une mine de trop bonne humeur. Le commandant les recadra vite fait.
— Bon sang ! Cachez donc votre joie. Voulez-vous qu’elles aient des doutes ou quoi ? Concentrez-vous. Nous sommes des esclaves et tâchons de continuer à jouer le jeu.
Peu après, pour mon plus grand bonheur, ma petite ALICE vint se tenir prêt de moi pour m’observer. Elle semblait cette fois plus intéressée par ma personne plutôt que par mes activités. « Aurait-elle senti instinctivement une filiation entre nous ? ». J’étais aux anges sous mon masque de travailleur forcé.
— C’est comment la Terre d’où tu viens ? Me demanda-t-elle tout à coup.
Estomaqué, et sans relever la tête, je tâchai de lui en décrire les divers paysages, les animaux, les forêts, les océans, les montagnes enneigées et ses grandes métropoles extraordinaires. C’est vrai que j’avais tendance à embellir mes tableaux racontés pour attiser sa curiosité et la préparer à l’envie de nous accompagner dans notre fuite. Peut-être garderait-elle en esprit ces images qui attiseraient en elle son désir de savoir. Mais rien ne pouvait m’assurer qu’elle déciderait effectivement de me suivre. Je brûlai d’envie de lui révéler ma paternité, mais cette vérité me semblait encore trop prématurée et compliquée. Les sœurs-nourrices se précipitèrent pour me l’enlever, jugeant que notre petit entretien avait déjà duré trop longtemps. Elle les suivit sans broncher, mais me jeta en arrière un coup d’œil souriant qui me transperça le cœur. Ce seul indice me renforça dans mes convictions. Par contre, je sentis sur nous le regard méfiant des Grekji, épiant le moindre de nos gestes. Ce n’était pas de bon augure.
La nuit suivante, INDRA vint au dôme avec deux pistolets quelque peu futuristes selon nos critères. Elle en donna un au commandant et l’autre à moi.
— Je n’ai pu en voler plus. Ce se serait vite remarqué. Si tout va bien, vous n’en aurez même pas l’usage. Ce sont des paralysateurs instantanés. Elle nous en expliqua le mode d’emploi et nous rappela la manœuvre en détail fixant l’échéance à l’aube suivante, soit un jour plus tôt que prévu.
— Je crains que THOCESTRIS ne procède très prochainement à une nouvelle insémination artificielle. Si on vous donne une nouvelle pilule, surtout ne l’avalez pas. Cachez-la sous la langue et crachez-la hors de vue des sœurs et de la coupole de surveillance. J’en couperai l’alimentation juste au moment de notre fuite. À demain donc.
Illico, elle s’enfuit à grandes enjambées. J’avais beau avoir placé toute ma confiance en elle, je ne pouvais m’empêcher de penser à l’hypothèse d’un piège. Mais qu’aurait-elle à y gagner ? J’évitai de trop y penser pour prendre du repos comme nous le conseilla le commandant.
— Nous aurons besoin de toute notre énergie demain. Au dodo les gars !
Je pris néanmoins la précaution de faire semblant de dormir jusqu’à ce que je visse AXOEK sortir à pas de chat. C’était maintenant certain selon moi : il nous préparait un sale coup en douce.
Avant l’aube nous avions déjà tous les yeux grands ouverts, debout et en tenue. Je me sentais nerveux et tendu, car je savais que j’allais désobéir et tout faire pour emmener mon ALICE. Allait-elle accepter de me suivre tout de go sans avoir été prévenue ? Et qu’allais-je décider si jamais elle refusait catégoriquement ? De toute évidence, THOCESTRIS voulait en faire une de ses filles obéissantes, profitant de ses facultés exceptionnelles, sans lui donner de véritable amour. Connaissait-elle-même ce sentiment ? Son espèce m’a toujours paru assez insensible en dehors de INDRA. Cette dernière pénétra dans notre dôme les bras chargés de vêtements neufs, des combinaisons grises qu’elle avait elle-même carbo-formées en secret. Nos haillons de travail furent vite jetés à terre pour le coup. Cette nouvelle apparence nous redonna un peu d’estime de nous-mêmes, car nous avions vraiment l’air d’ilotes miséreux.
— Prêts ? Nous demanda-t-elle. N’oubliez pas les paralysateurs et les mini-écouteurs.
— Ça ne risque pas ! Confirma le commandant.
— Je vais passer devant avec le commandant pour ne pas éveiller les soupçons de la garde de nuit robotique. Attendez ici mon signal acoustique convenu. J’ai réglé les appareils sur une fréquence inconnue de mes sœurs et du système.
Dès que le tandem approcha la ligne des robots en faction, elle en neutralisa deux seulement par son implant pour créer une porte de passage que les autres unités ne pouvaient détecter. Puis elle fit descendre le tube ascensionnel tout en donnant le signal. Elle ne savait pas que nos compagnons allaient nous emboîter le pas. Je rappelais donc la tactique à mes camarades pour ensuite aller rejoindre le commandant et INDRA déjà en pleine action pour préparer le module principal. C’est alors que notre chef lui plaqua le pistolet sur la tempe. Il l’avait bien examiné et l’avait réglé sur le niveau 3 permettant une décharge neuronique létale. INDRA s’en aperçut immédiatement.
— Préparez deux modules supplémentaires ! Nous n’abandonnons personne dans la marine.
— Mais ce n’est pas ce qui était prévu ! La colère de la grande prêtresse sera terrible. Elle ne pourra plus poursuivre ses expériences et ça la mettra dans une rage folle ! Elle pourrait même s’en prendre à votre planète.
— Ça ne marche pas comme cela. Exécutez mon ordre. Je me chargerai de brouiller les pistes vers la Terre. Renchérit-il tout en me jetant un regard complice.
Aussitôt je filai vers l’ascenseur pour le renvoyer au sol et lancer l’appel à nos compagnons pour nous rejoindre. Puis, je courus vers la chambre de stase pour récupérer AHANDI. Là, une vision d’horreur m’attendait : la pauvre avait été disséquée comme une grenouille ne survivant que par un système de maintien en vie artificielle. Tout son buste était dépiauté où nombre d’organes étaient reliés à des filins lumineux et des pinces chirurgicales. La bouger aurait été fatal. Je n’eus pas le courage de la laisser ainsi et désactivai la mort dans l’âme le dispositif de survie. Je restai alors figé un instant devant son caisson, scrutant son beau visage et fit un signe de croix en guise d’adieu funéraire. Mais le temps jouait contre moi et je dus filer à toute vitesse au niveau inférieur en tâchant de rester aussi silencieux que possible. Au détour d’un angle, tout près de la chambre d’ALICE, je tombais nez à nez avec l’une des sœurs. Elle n’eut pas le temps de donner l’alerte, car je lui déchargeai en pleine poitrine trois salves de flux paralysant. Aussitôt, je l’enjambai pour m’introduire dans la cabine de ma fille : la paroi coulissante s’ouvrit d’elle-même dès que le capteur eut détecté ma présence. Elle était bien là mon petit ange, sagement endormie sur son plateau de sommeil. Un cube vert trônait au pied de celui-ci et se mit tout à coup en mouvement. Des lumières clignotèrent sur sa surface supérieure et je me doutais qu’il allait réagir d’une seconde à l’autre. En un éclair je réglai mon arme sur la position 2 déclenchant une IEM courte. Cela suffit à le neutraliser. Flamg ! En un éclair, le cube s’immobilisa et s’éteignit en se recroquevillant bizarrement. « C’était moins une ! » Murmurai-je. Ceci dit, le bruit réveilla mon enfant.
— CIRITIN ? C’est toi ? Que fais-tu donc dans ma chambre ?
— Je suis venu te chercher ÉLÉA. Nous partons explorer la Terre. Veux-tu m’accompagner ?
— C’est bizarre, car j’étais en train de rêver à ta planète. Allons-y !
Inutile de l’effrayer en lui expliquant le revers de la médaille. Nous n’avions que peu de temps devant nous. Alors elle se mit debout dans sa combinaison bleue auto-nettoyante et chaussa ses petites bottines. Avec un grand sourire innocent, elle me regarda droit dans les yeux pour me dire :
— Je suis prête ! J’en ai assez de rester enfermée et constamment surveillée. Je veux découvrir l’univers ! Elle me prit la main en me fixant de ses yeux magnifiquement étincelants et j’avais un peu honte de lui cacher une partie de la vérité. Mais je savais aussi ce que la grande ARIUK lui réserverait comme destin. La honte s’effaça vite au profit de ma toute nouvelle fierté paternelle. Nous courûmes au niveau supérieur où devait nous attendre la troupe ainsi que INDRA, prise en otage. Les hommes n’étaient pas encore là et cela m’inquiéta.
— Vous n’irez pas bien loin. Affirma la bleue. Le trou de ver est un piège que nous actionnons à volonté. Actuellement il est fermé. Je ne puis tous vous laisser partir !
— Ouvrez-le donc ! Lui ordonna le commandant de son œil furibard. CIRITIN, repassez un appel à nos compagnons. Ce retard est suspect.
— Allô ? Les gars ? Qu’est-ce que vous foutez ? !
Une réponse inattendue se fit entendre :
— J’ai bien peur que vos amis ne soient pas de la fête !
— AXOEK ! M’écriai-je. Le fumier ! Le traître ! Je m’en doutais…
— J’ai passé un accord avec THOCESTRIS qui m’a promis une vie quasiment éternelle si je mettais fin à votre escapade. Une bonne négociation vaut toujours mieux qu’une grande bataille. Vous devriez en prendre de la graine. Nous avons capturé vos complices et je m’en vais de ce pas en faire autant avec vous.
C’est alors que nous vîmes débouler une demie douzaine de sœurs prêtes à en découdre. Aussitôt, le commandant et moi firent feu et les paralysèrent, non aguerries quelles étaient dans le combat rapproché. Seule l’une d’entre elles réussit à s’enfuir tandis que nous entendions le bruit ascendant de l’ascenseur. ALICE se blottit contre moi complètement paniquée.
— Qu’allons-nous devenir CIRITIN ? Je veux absolument partir d’ici !
— Ne t’en fais pas, nous partirons coûte que coûte. Lui répondis-je pour la rassurer.
INDRA restait immobile et passive fronçant légèrement le sourcil de déception et de stupéfaction. Elle n’était visiblement pas au fait de ce revirement.
— Si vous n’obtempérez pas, et comme nous n’avons plus rien à perdre, je vous explose la tête. La menaça-t-il d’un ton ferme et résolu. Vous deux, grimpez dans un module. Je me charge d’AXOEK pour vous couvrir.
Puis il se retourna vers moi.
— Qu’en est-il de AHANDI ?
Je n’eus pas le courage de lui décrire l’état dans lequel je l’avais découverte et me contentai d’un signe de tête négatif tout en baissant les yeux. Il comprit immédiatement le message.
— Allez ! Filez ! Et prévenez la terre des dangers qui la guettent si nous ne nous préparons pas.
— Et vous commandant ? M’insurgeai-je.
— Je ne peux quitter des yeux celle-ci. Le passage doit être maintenu ouvert. Sinon quoi tous nos efforts auront été vains. CIRITIN, je vous délègue le commandement. Allez ! Fichez-moi le camp.
Le pas pesant, je laissai mon officier dans le poste de commande du vaisseau toujours l’arme au poing. Je sentis un certain désarroi dans les yeux de mon ALICE qui commençait à comprendre un peu la situation. Je la pris dans mes bras. Une poignée de secondes plus tard, tout l’équipage survivant parut, suivi d’AXOEK pointant un pistolet alien dans leur dos et accompagné d’une vingtaine de Grekji armés de machettes et de lances. Je me cachai immédiatement dans un angle mort en maintenant ma fille derrière moi. Ils se dirigeaient vers le poste de commande et passèrent près de moi sans me voir. Je tentai alors le tout pour le tout : lorsque qu’ils me tournèrent tous le dos, j’ouvris le feu létal contre ces traîtres. C’est alors qu’ALICE se métamorphosa en Méduse : simplement en les fixant des yeux, le cheveu dressé comme des pics électriques, elle en changea un bon nombre en tas de poussière brune par un faisceau émanant de son front. De son côté, le commandant fit feu sur les gnomes ; nos adversaires furent pris en sandwich tandis que nos compagnons se jetèrent sur les gnomes en arrière-garde pour leur mettre une bonne raclée. Une zizanie s’ensuivit et quelques Grekji s’enfuirent tandis que nous avions désarmé AXOEK.
— Il semblerait que votre plan ait échoué ! Lui fit remarquer le commandant d’un air enjoué. Je vous dis adieu et vous souhaite bonne chance avec THOCESTRIS qui ne manquera pas de vous trahir à son tour, compléta-t-il en lui déchargeant une salve paralysante là où il aurait mérité la mort. Mais le commandant ESCOURROU n’est pas homme à abattre froidement un humain, aussi coupable soit-il. Des sirènes d’alerte résonnèrent de partout dans le vaisseau, nous enjoignant à accélérer la manœuvre.
— Foncez nom de dieu ! Je m’occupe de la porte trans-dimensionnelle.
— Adieu et merci commandant. Je vous promets de tout raconter à vos fils.
— Je compte sur vous CIRITIN. Go !
Sans un mot de plus, nous courûmes vers les modules à l’étage supérieur où nous attendaient quelques robots. Ils firent feu et abattirent deux de nos compagnons avant que nous réussissions à les mettre hors service. Pas le temps de pleurer. Deux équipes de matelots restants se mirent aux manettes de deux modules tandis que je sautai dans le troisième avec ma fille et LITERT. Nous mîmes les gaz et les engins se détachèrent de leurs mâchoires d’amarrage pour foncer droit vers le firmament. La vitesse de ces appareils était époustouflante. Par contre, le guidage n’était pas si évident tant les manettes étaient sensibles. Nous zigzaguâmes quelque peu avant de réussir à nous stabiliser dans notre trajectoire vers l’espace. Devant nous la porte était toujours fermée. « INDRA devait encore résister aux injonctions du commandant » me suggérai-je. Mais nous n’avions pas le choix, il fallait continuer. L’iris scintillait de mille feux, mais aucun anneau ne s’ouvrait. Tout à coup, l’écran radar s’alluma, bipant comme un insecte fou. Il clignotait en rouge sur deux points se rapprochant de notre position. À l’évidence, les grandes bleues nous avaient pris en chasse. Je m’inquiétai pour le commandant. « Avait-il survécu ? ». Mais à peine m’étais-je formulé cette question qu’enfin la porte spatiale s’ouvrit en grand, déployant ses immenses cercles concentriques. J’imaginai que le commandant était en train de lutter bec et ongles pour maintenir le passage ouvert et avait réussi à faire plier INDRA. Malgré tout, l’alerte avait fait se déployer une escouade à notre poursuite. J’accélérai donc à fond, suivi des deux modules contrôlés par mes compagnons à quelque distance derrière moi. Ils avaient visiblement peine à suivre mon rythme, peut-être plus lourds aussi qu’ils étaient, lorsqu’une énorme secousse frappa mon transport par l’arrière. Sur l’écran je compris que mes camarades avaient été neutralisés et capturés par contrôle à distance, car leurs modules s’en retournaient vers la surface. J’enrageai les larmes aux yeux tandis que ma fille m’observait tristement. Je jurai. Alors ALICE se redressa, ferma les yeux en se concentrant. « Que va-t-elle encore produire comme miracle ? » me demandai-je. Je ne sais comment, les modules ennemis disparurent de mon radar. Elle les avait explosé par la pensée ! « Petite fille ou monstre ? Aurais-je commis l’erreur de l’emmener ? », me demandai-je au moment de passer la porte où nous nous engouffrâmes in extrémis. Trop tard pour avoir des regrets.
Le module, produit fantastique de la technologie Tarkadienne, ne subit nullement l’IEM contrairement à notre Nostromogo. Dès que nous atteignîmes l’autre côté de la porte trans-dimensionnelle, je retrouvai sur mes écrans les repères astrologiques de notre système solaire originel tandis que le portail se refermait déjà. Le commandant aura sacrifié sa vie pour bloquer cet infâme éteau. Soulagé et bouleversé à la fois, je programmai l’ordinateur de bord en direction de la Terre. Dans ma poche, j’avais toujours les pilules rétro-actives. J’en tendis une à mon ami LITERT.
— Je pense que tu peux la prendre maintenant. Le voyage est encore assez long et ton retour à la normale devrait être accompli quand nous serons en vue de notre chère planète.
Il acquiesça et l’avala d’un trait. D’un coup, il tomba en léthargie sur son fauteuil. Pour ma part, il me fallait rester conscient aux commandes et ne pouvait en faire autant. D’autre part, ma « maternité », même forcée, m’avait changé le caractère et j’hésitai à reprendre mon corps initial. J’y réfléchirai plus tard. Le principal pour le moment était de nous mener à bon port. J’espérai seulement que le commandant eut réussi à détruire leur système de pêche aux vaisseaux. L’appareil voguait gentiment, guidé par son programme automatique qui me permit de me retourner vers ma fille. Il y eut d’abord un long silence, puis je lui racontai toute notre histoire par le détail. Des larmes coulèrent de ses yeux sans savoir si elles étaient de joie ou de stupeur. Quand je terminai mon récit, je me mis à genoux près d’elle pour la serrer dans mes bras. Elle hésita un instant et me serra contre son ventre tout en couchant sa tête contre la mienne. Désormais, notre amour filial ne faisait plus aucun doute. Je pris une grande respiration, légèrement tremblant sous le joug de l’émotion. Une grande aventure nous attendait dans une toute nouvelle vie. Allions-nous être bien accueillis sur la Terre ? Comment allai-je gérer ses pouvoirs sans dommage ? L’avenir le dira.
LA ZONE -
![[illustration]](/data/img/images/2025-09-20-tarkadiens-big.jpg)
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ça fait du bien d'avoir des textes engagés dans cette période où l'obscurantisme par tous les moyens cherche à percer et s'imposer de toutes parts.