7 - Les naufragés
La Lune était maintenant beaucoup plus proche que ce qu’on avait l’habitude de voir, sur Terre. Le mouvement était imperceptible, semblant tracer une sorte de parcours elliptique dans les cieux, mais il suffisait de poser les yeux pendant une trentaine de secondes pour se persuader que la Lune se déplaçait, avec Pierrot à son bord. Léon en était persuadé : cela se voyait bien alors que les étoiles ne bougeaient pas d’un iota.
C’était un phénomène exaltant : sur Terre, la Lune et les étoiles parcouraient le ciel, mais il fallait attendre une nuit complète pour cela. Ici, ce n’était pas pareil. Déjà, ce n’était pas la Terre. Mais surtout, en moins d’une heure, le satellite avait parcouru plus de la moitié de la sphère céleste… Et de toute façon, ça n’avait plus l’air d’être un satellite puisqu’il n’avait plus d’astre autour duquel effectuer une révolution.
L’impression de mouvement de ce corps stellaire qui semblait perdu, à la dérive, était tel que Léon était comme hypnotisé par ce spectacle. Il finit par froncer les yeux, pourtant, car il semblait qu’il y avait quelque chose de plus, depuis quelques minutes… quelque chose devant la Lune, comme une toute petite lumière.
Léon tenta d’en discerner les détails, mais c’était encore trop loin. En tout cas, c’était bien devant la Lune. Et puis, au bout de quelques minutes encore, l’objet sembla se diviser : il n’y avait plus qu’une seule petite lumière, mais plusieurs. Trois, peut-être quatre luminosités identiques, reflétant la pâle lueur des étoiles, grossissaient, lentement, tout en sortant du cadre de la Lune. Preuve encore que cette dernière se déplaçait tranquillement dans l’espace !
Léon jeta encore un regard dans la direction où se trouvaient, quelques minutes auparavant, l’arc-en-ciel et son curieux passager.
« Quelle histoire de fous quand même ! pensa-t-il en secouant la tête
Puis il reporta son attention sur les petites lumières qui s’étaient muées en menus objets.
« Encore des visiteurs, se dit-il en soupirant. À quoi est-ce-que je vais encore être confronté ?
Et de fait, malgré l’éloignement et la petitesse de ces objets, il était devenu évident qu’il devait s’agir de transports.
Léon s’assit et attendit. On allait encore le prendre pour le pompiste du coin, probablement ! Mais cette fois-ci, il était bien décidé à comprendre : c’était la première fois, depuis qu’il était ici et qu’il recevait des visiteurs, qu’il avait le temps d’anticiper. Ce coup-là, il allait préparer ses questions et il ne laisserait pas ces nouveaux-venus repartir sans avoir obtenu de réponses.
Quelques minutes s’écoulèrent à nouveau, et les choses devenaient un petit peu plus claires…
Il y avait en réalité trois vaisseaux qui, à première vue, se ressemblaient comme deux gouttes d’eau… comme trois gouttes d’eau ! Blancs comme un linge, leur forme était plutôt rectangulaire et aplatie. Sur chacun de leur angle était fixé ce qui devait être un pied et qui rappelait un peu la structure du corps de l’engin. Sur l’avant, une espèce de grande visière triangulaire devait servir de cockpit. La queue, enfin, était constituée de quatre gros moteurs équipés de propulseurs circulaires.
Léon remarqua aussi que seul l’un d’entre eux disposait d’un corps compact. Les deux autres étaient vides : à part une structure métallique imposante qui reliait les quatre pieds et la zone des moteurs, il n’y avait rien.
« Des vaisseaux de transport, imagina-t-il. La partie principale de ces vaisseaux doit être conçue pour recevoir des espèces de container, comme le premier…
Les vaisseaux finirent par stationner à une cinquantaine de mètres de hauteur puis, après probablement s’être assuré qu’il n’y avait pas de danger, avaient atterri à une quinzaine de mètres de Léon. Il se leva et attendit, sûr de lui, de pied ferme. Maintenant, c’était lui qui allait accueillir les clients du secteur !
Une porte s’ouvrit de l’engin le plus proche, celui qui portait un container. Une silhouette en sortit, prudente et équipée d’une sorte d’arme de poing en forme de « U » inversé, suivie de deux autres. Elle regarda dans la direction de Léon et, tout en rangeant son engin, fit un geste qui ressemblait à de l’apaisement à ses deux comparses.
En tout cas, ils avaient l’air d’humanoïdes somme toute absolument banals. Vêtus d’une combinaison spatiale orange surmontée d’une réserve d’air sur l’avant, leurs casques, gants et chaussures étaient de couleur jaune. À la vue de Léon pourtant, tous ôtèrent nonchalamment leur casque et prirent une grande inspiration.
Le premier avait bien l’apparence d’un type normal : un homme de bonne taille, brun et bien bâti. Il s’approcha de Léon, suivi de ses deux camarades de voyage.
— Soyez les bienvenus, lança alors Léon qui ne voulait décidemment pas les laisser prendre l’avantage. Vous venez au réapprovisionnement, j’imagine ?
Mais hélas, la réaction ne fut pas celle qu’il attendait : alors qu’ils n’étaient plus qu’à deux pas, ils s’arrêtèrent nets, tous trois, et se regardèrent comme s’ils ne comprenaient pas.
— Enfin, poursuivit Léon en tendant une main, comme si ce qu’il avait dit coulait de source, vous êtes bien là pour ça ?
« Non ?
Mais il était clair que « Non ! ». Hésitant, le premier voyageur attrapa la main de Léon et se présenta :
— John, annonça-t-il fièrement d’une voix assurée, Commandant John Robert Koenig. Et voici le docteur Russel, ainsi que le professeur Berman…
— Ah ! répondit Léon en serrant les deux autres mains qui se tendaient. Eh bien je m’appelle Léon et je suis là pour vous assister.
— Nous assister ?
« Décidément, s’étonna Léon, rien ne va jamais comme il l’aurait souhaité !
— Enfin tout de même, continua-t-il, vous êtes bien là pour faire le plein non ?
— Je ne crois pas, non, répondit la femme. Nous nous bornons à explorer les astres que nous croisons pendant notre dérive.
— Les astres ? Votre dérive ?
Une fois de plus, Léon était largué. Il avait voulu prendre les devants mais, cette fois-ci, il semblait que ses visiteurs n’étaient absolument pas au fait de l’activité courante de ces lieux.
— Oui ! enchaîna le troisième larron. Quand on a vu la forme étrange de cet astéroïde, cela nous a intrigué et on est venu en tant que scientifique… pour l’intérêt de la connaissance !
— Astéroïde ? répéta Léon, surpris. La forme… étrange ? On est sur un astéroïde, là ?
— Bien sûr, approuva le professeur. Vous ne le saviez pas ? Un astéroïde particulièrement plat par ailleurs ! Un grand astéroïde, mais un astéroïde malgré tout ! Étonnant, en vérité…
Bien sûr que Léon ne le savait pas : et s’il y avait bien quelque chose qu’il savait parfaitement, c’est qu’il ne savait pas du tout où il se trouvait… ni pourquoi il s’y trouvait !
— Mais dites-moi, demanda-t-il soudain même s’il connaissait la réponse à sa question, c’est bien notre Lune là-bas ?
— Je vous le confirme, répondit le commandant. Hélas ! Elle a pris une nouvelle route il y a quelques années et nous voilà contraints d’y rester cloitrer.
— Elle a pris une nouvelle route ? se stupéfia Léon. Mais comment ça ? Elle ne tourne plus autour de la Terre ?
Et puis, après un court moment de réflexion :
— Je n’ai aucun souvenir de ça, argumenta-t-il. C’est récent ?
— Il y a environ deux ans, dit le professeur, en quatre-vingt-dix-neuf.
— En Quatre-vingt-dix-neuf ? Mais, reprenait Léon, vous voulez dire… Je ne comprends pas… On est bien en 2243 ! Ça fait plus de deux ans ça, si je ne m’abuse ? Quarante-cinq ans si je compte bien !
— Mais non ! rétorqua le professeur. Nous sommes en 2001, bien sûr.
Léon n’en croyait pas ses oreilles : le type était en train de lui expliquer qu’on était plus de deux cents années dans le passé, et que la Lune aurait quitté son orbite depuis tout ce temps. Il avait pourtant bien connu ce satellite pendant toute sa vie ! Alors quoi ?
— C’est surprenant, dit-il avec incrédulité, moi, j’ai connu la Lune depuis tout petit, et je sais bien que nous sommes au vingt-troisième siècle.
— Alors je ne l’explique pas, répondit le docteur Russel. Peut-être que le temps passe différemment avec les voyages spatiaux ?
— Pas à ce point Héléna ! reprit le professeur. Pas à ce point-là ! Mais vous-même, Léon, que diable faites-vous donc ici ? Peut-être que si vous nous expliquez ce qu’est cet astéroïde en forme de tranche de pain, nous pourrions trouver une réponse à ce paradoxe ?
— Bah… À vrai dire, je suis un peu perdu, moi aussi, et je crois bien être seul ici. Par contre, je peux vous dire qu’il y a du passage dans le coin.
Il balaya d’un geste du bras les alentours, remarquant au passage qu’une dizaine d’astronautes attendaient devant les deux autres vaisseaux, puis reprit :
— Vous n’imaginez même pas le nombre d’individus qui sont passés en si peu de temps depuis que je suis là. Et ils viennent tous pour la même chose : ce puit ! Ils embarquent un seau d’une eau lumineuse qui passe sous terre puis lèvent le camp… un peu comme si c’était du carburant !
— Je vois, réfléchit le professeur en portant la main à son menton. Et ils ne vous ont rien dit ?
— Rien ! C’est comme si j’étais là pour les aider, mais j’ai parfois l’impression de servir à rien !
— Oui, coupa le commandant, c’est curieux !
Puis, souhaitant probablement changer de sujet, le commandant s’adressa au professeur, un peu pressant :
— Bien ! Vous avez besoin de faire des relevés ici ?
— Oh, je ne crois pas ! En dehors de la forme particulière de ce caillou, il n’y a pas grand-chose à glaner ici… à part cette verdure appauvrie un peu dénaturée, bien sûr, mais je n’en vois pas l’intérêt. Je crois qu’on peut oublier cet astéroïde. Sa forme plate me laisse croire qu’il est artificiel…
— Artificiel ? se troubla le docteur.
— Oui ! Construit par l’homme, c’est ça… mais dans quel but ? C’est curieux… vraiment très curieux…
— Bon ! Dans ces conditions, continua le commandant, on rentre ! Plus rien ne nous retient et notre home risque de ne pas nous attendre si nous tardons trop.
Il se tourna vers Léon et le remercia.
— Nous allons vous laisser à vos occupations Léon. J’espère que nous n’avons pas été trop envahissants ?
— Heu… hasarda Léon. Non ! Non ! ‘Vous inquiétez pas pour ça…
— Alors content de vous avoir connu jeune homme, continua le professeur en lui attrapant la main. Bonne chance !
— Au revoir Léon, ajouta le docteur avec un signe de la main, tandis que tous trois s’éloignaient déjà du pauvre pompiste, interdit.
La Lune commençait vraiment à s’éloigner de manière importante. Sa taille avait réduit depuis tout à l’heure et, effectivement, elle allait bientôt disparaître. Si vraiment c’était le lieu de villégiature de ces gens du vingtième siècle, il valait mieux qu’ils ne tardent pas trop.
« Du vingtième siècle ! songea Léon en fronçant les sourcils. Voilà bien une histoire saugrenue et parfaitement inexplicable !
… ou alors c’étaient des personnages de fiction qui s’étaient égarés dans le temps…
Tout cela était particulièrement désagréable, fort improbable et passablement inextricable…
8 - Les réfractaires
Ceci est l’histoire d’un homme qui dut faire le pire et qu’on a condamné à mort et délaissé sur un astéroïde de type C, à la dérive dans la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. Les anciens, qui le connurent naguère, ne surent jamais ce qu’il advint de lui, alors que les plus jeunes n’entendirent même pas son nom.
Ceci est l’histoire d’un homme dont le nom se perdra dans les bas-fonds des stations-service spatiales, qu’on oubliera et sur lequel on n’écrira rien.
Il se nomme…
Léon.
Léon Nuq.
… Et il n’amena rien de bon à l’humanité ni au cosmos.
Allongé sur la mousse glauque de ce lieu de perdition qu’il ne définira définitivement jamais, il ouvrit les yeux sur un ciel étoilé mais bien sombre. Il s’était assoupi… Combien de temps, il n’aurait su le dire. Sa montre indiquait quatre heures dix-huit mais ça ne voulait strictement rien dire. En tout cas, c’est ce qu’il croyait à ce moment.
Toujours étendu au sol, tranquille, Léon inclina la tête sur la gauche pour constater que le puits n’avait pas bougé. Puis, comme mu par un instinct salvateur, il la tourna sur la droite. Là, à quelques mètres, un couple curieusement accoutré s’avançait vers lui.
Le premier, l’homme, avait l’air décidé. C’était un type qui paraissait jeune. Il portait des cheveux d’un noir profond qui descendaient sur ses épaules, un peu à la façon des chevaliers. Ses vêtements, amples, étaient constitué d’une chemise bouffante blanche revêtu d’un maillot rouge arborant un écusson noir. Le reste ? Une petite cape rouge, un collant sombre et des bottes souples.
Le second, la femme… ou l’homme, peut-être ? Ce n’était pas clair ! Bref, le second portait un seau et était vêtu un peu comme un bouffon : des bas à rayures horizontales noires et jaune, un short bouffant rosâtre et une cagoule noire habillée d’un grand col bleu qui remontait derrière le crâne. L’ensemble était gratifié d’une drôle d’écharpe blanche dont les deux extrémités descendaient jusqu’aux hanches.
C’était encore un spectacle improbable, mais Léon s’accoutumait peu à peu à l’improbable. Cette vision était d’ailleurs d’autant plus improbable en regardant l’arrière-plan de cette scène ubuesque : l’horizon était caché par quelque chose de gigantesque. Là-bas, à une centaine de mètres, s’étalait au sol une étrange structure blanchâtre qui rappelait vaguement la forme d’un dauphin qui aurait avalé un suppositoire géant. Sur la partie supérieure de ce qui devait sûrement être un transport spatial titanesque, trônait une espèce de bulle transparente laissant apparaître une faune riche et probablement luxuriante.
« Bois-moi ! »
— Mais qu’est-ce qu’on est venu foutre sur cette planète où on peut pas faire un pas sans étaler la sphaigne circonvoisine sur nos chausses ? Je me demande vraiment pourquoi je te suis encore dans ce délire !
— Tu n’étais pas obligé de me suivre, petit clown, répondit celui qui arrivait déjà à la hauteur de Léon, et ça m’arrangerait si tu pouvais fermer ton clapet !
— Oui c’est bon, rétorqua en râlant l’homme-femme, mais franchement je voudrais bien savoir…
Iel ne termina cependant pas sa phrase : Léon venait de se redresser.
— Cornegidouille ! pesta-t-iel, mais il sort d’où celui-là ?
— Celui-là, c’est notre pompiste, alors sois poli morveux !
L’homme s’arrêta à la hauteur de Léon tandis que ce dernier se levait. Il montra le puits du regard et son vaisseau, derrière, puis posa la question qui devait être habituelle :
— Comme d’habitude patron ? Je peux me servir ?
Décidemment ! Léon ne comprenait rien. Il avait entendu le terme « pompiste ». Ça voulait dire quoi ça ? Qu’ils le prenaient tous pour le distributeur de carburant du coin ?
— Faites, osa-t-il sans conviction. Je vous en prie…
— Merci l’ami !
Puis, s’adressant à son partenaire qui déposait son seau à côté du puits :
— Allez lambin, suis-moi, on va chercher de l’énergie !
Léon les regarda faire. Comme les autres, ils descendirent le seau jusqu’au fond de la caverne, le laissèrent quelques secondes tranquille, le temps qu’il se remplisse puis, toujours comme les autres, le remontèrent à l’aide de la roue. Ça avait l’air si normal que Léon n’osait même pas essayer d’en savoir plus, probablement de peur de passer pour un ignare imbécile.
— Ça fait longtemps que vous êtes là ? demanda soudain l’homme à la cape rouge, le chef probablement.
— Longtemps ? questionna Léon. Ça dépend… Comment ça longtemps ? Moi, ça doit faire quelques heures que je suis là… Je sais plus trop, j’ai dormi un peu…
— Quelques heures ? Ça ne devrait plus trop tarder alors. Bon courage l’ami !
— Mais enfin ça rime à quoi tout ça ? lança soudainement l’autre individu qui ne goûtait rien à la conversation qui s’était engagée. Qu’est-ce que tu fais encore avec ce seau ?
— C’est de l’énergie, pour le Dauphin. Allez ramène-toi et prends le seau. On repart !
— On repart ? Non mais ça va pas dans ta caboche ? On a pris tous ces risques juste pour un seau d’eau ?
— C’est pas de la flotte ! Et c’est pas l’heure des discours stériles, repartit l’homme en poussant son acolyte. Avances ! Ouste !
—Ventrechtouille !
Léon n’en croyait pas ses yeux. Ces deux gars-là, si vraiment c’étaient des gars, s’étaient comportés comme s’il n’avait pas été là, comme s’il n’était que du mobilier urbain. Et ils avaient passé leur temps à se chamailler comme des gamins !
Tout cela était particulièrement désagréable, fort improbable et passablement inextricable…
9 - Le potenteur
C’était une structure gigantesque ! Non pas comme quelque chose qu’on n’avait jamais vue, mais plutôt comme quelque chose qu’on n’aurait jamais pu imaginer, tout simplement. Ce fut en tout cas ce que se dit Léon en voyant la moitié de la voûte galactique disparaître sous l’ombre titanesque d’un vaisseau difforme : la falsification même d’un transporteur aux conformations aberrantes… sans avant ni arrière, et sans plus bas ni haut. Juste un truc, comme un caillou monstrueux qui aurait dérivé jusque-là.
Sauf qu’il ne dérivait pas : il suivait une route parfaite et avait bien décidé de s’arrêter là. Comme les précédents, somme toute... à la différence qu’il devait bien y avoir, là-dedans, des milliers de voyageurs.
— Eh bin dis donc ! lâcha Léon en écarquillant de grands yeux. Si je m’attendais ! Sur ce coup-là, ils ont mis le paquet dans la déco !
L’homme qui descendit du vaisseau, dieu sait comment, avait l’air de ne pas en avoir l’air. Mais alors pas du tout ! On aurait dit un pauvre type à l’allure plutôt fanée, bancale et tordue. En deux mots, il était peu avenant ! Si c’était le représentant de ce gros vaisseau, il devait avoir d’autres compétences que son physique malheureux.
Léon eut cependant de l’affection pour lui, et il lui prit soudainement, sans raison, une irrésistible envie de l’aider. Il se porta subitement à sa rencontre et le salua, la main sur le cœur.
— Venez, lui lança-t-il sans même le saluer, je vais vous chercher de l’eau pour votre vaisseau… Suivez-moi !
Tout cela semblait naturellement calligraphié. Ça devait se dérouler ainsi : l’étranger venait pour faire le plein (comme les autres, par ailleurs), et Léon se devait de s’en occuper. Laisser le Premier citoyen faire ça…
« Le premier citoyen ? songea Léon avec surprise. Mais je sors ça d’où, moi ?
— Pas encore ! éructa soudainement l’étranger. Pas encore…
« Mais pas encore quoi ? s’étonna encore Léon.
C’était encore une histoire de fou ! Encore des faits illogiques ou qui se déroulaient d’une façon anormale.
« Il lit dans mes pensées ou quoi, le Gaïen ? Encore un !
— Je vous l’accorde, monsieur Nuq, je vous l’accorde… Alors, ce seau ?
Le seau ! Léon avait failli oublier. Qu’importe ces singularités dans l’espace qu’il occupait : le seau était la chose la plus importante qu’il soit à ce moment. Il ne fallait pas décevoir le Premier citoyen, d’autant que son vaisseau regorgeait de pirates…
« … de pirates ! s’alarma encore Léon
Mais dans l’immédiat, le seau était la chose la plus importante du monde, et qu’importent les milliers d’âmes qui vivaient dans cette grotesque chaloupe spatiale !
« … milliers ?
— Oui Léon, des milliers ! On va voir si ça compte !
— Si ça compte ?
— Si ça compte, c’est ça ! Je ne crois pas à la théorie du grand nombre…
— Du grand nombre ? répéta encore Léon béatement, soulevant le seau du sol.
— Cette visite constitue juste une continuité rétroactive, monsieur Nuq. Rien de plus ! Mais je perds mon temps ici…
Il disparut alors qu’il prononçait ces derniers mots énigmatiques. Une « continuité rétroactive », pensa Léon. Qu’entendait-il par-là ? Faisait-il partie d’un passé qui ne sera décrit que trop tard, après que l’histoire eut déjà été contée. Était-il l’ingrédient oublié d’un récit incomplet… qu’on retrouverait au-delà de la vérité ? Serait-il la quote-part gommée d’un conte dont la fulgurante réalité pourrait remettre en question plus de douze milles années de conjoncture intergalactique ?
« Bois-moi ! »
Et cette pensée fugace qui revenait, inlassablement. Devait-il s’y soumettre ? En quoi boire de cette eau luminescente pourrait-il l’aider ? Il y avait déjà goûté, de toute façon, et malgré sa douceur, n’en avait trouvé aucun réconfort intellectuel. Alors quoi ?
Tout cela était particulièrement désagréable, fort improbable et passablement inextricable…
10 - Les voyageurs
« Du carburant, tu rempliras le seau !
« Ton crime tu paieras, et plus jamais ton esprit éclairé, il sera !
C’en était trop, cette fois-ci ! Léon n’avait rien entendu : les mots étaient soudainement apparus dans sa tête ! Il se retourna et se retrouva face à face avec un espèce de petit diable assis en tailleur… à un peu plus d’un mètre du sol, comme en lévitation…
… et, en somme, ce que lui suggérait ce petit diablotin en construisant ces mots dans son esprit, sans une parole, c’était évidemment de lui faire le plein !
Léon allait finir chèvre ! C’est en tout cas ce qu’il était en train de s’imaginer. Voilà encore bien une chose qu’il ne lui avait jamais été donnée de voir : à moitié entre l’ermite et un gnome des arcs-en-ciel, le petit chose le regardait avec un sourire entendu, mais sans haine. Ses yeux illuminés étaient posés sur lui, avec même une certaine compassion.
— De très loin je viens, poursuivit-il soudainement de vive voix en montrant d’un doigt agile l’espace. Et ici, enchaîna-t-il en pointant le même doigt vers le sol, regorge l’énergie vitale que me fournir, tu dois.
« Lui fournir je dois ! râla intérieurement Léon qui, pourtant, se mit à l’ouvrage. Décidemment, plus ils sont petits, plus ils sont désagréables !
Puis il remarqua que, derrière lui, à peine à quelques dizaines de mètres, se tenait un petit vaisseau spatial aux formes plutôt conventionnelles : un peu comme une soucoupe volante traversée par deux ailerons verticaux et une dorsale plutôt volumineuse. Devant, une grande baie vitrée semblait donner sur un poste de commande.
À l’intérieur, Léon crut discerner deux formes : une femme et un homme. Les pilotes ? Il soupira en balayant d’une main nonchalante la vue de cet engin et porta son attention sur son soi-disant travail. D’une main fatiguée et d’un geste désintéressé, il attrapa le seau, le fixa sur la corde et entreprit de le descendre dans la grotte, tout en regardant le petit chose du coin de l’œil.
« Bois-moi ! »
— Mais comment avez-vous pu ? J’ai entendu votre voix dans ma tête…
— Apprends, Léon, que la capacité de parler ne te rend pas intelligent.
« Non mais ça aide, pensa Léon dubitatif, surtout quand on a que ça !
— Et vous, questionna-t-il sans trop d’engouement, vous êtes qui ?
— Futile est mon nom et inconnu il vous sera… Mais vous apprendre qui vous êtes, je le puis, continua le petit chose en montrant d’un doigt le vaisseau, car grâce à cet engin spatio-temporel, l’avenir lointain de l’univers je connais. et de l’avenir je viens…
« Il le peux ! pensa Léon abasourdi. Mais qu’attend-il dans ces conditions ?
— Eh bin dites-moi, alors ! répondit-il alors que le seau atteignait sa destination. Qui suis-je, qu’est-ce que je fais sur ce bout d’astéroïde quasiment mort ? E le plus important : comment je me sauve de cette prison ?
—Sombre est l’endroit où nous nous trouvons, et un peu plus de connaissances éclaireront notre chemin. Cependant, impossible est la fuite, Léon, car condamné vous l’êtes.
— Condamné ?!
Et puis il repensa au système judiciaire de la Terre, comme si tout devenait limpide : l’impossibilité de condamner à mort les pires criminels de la planète. Bien sûr, ce fut un choc pour lui, car il ne se souvenait absolument pas avoir commis une quelconque forfaiture. Alors pourquoi serait-il condamné ?
Mais si… Il est vrai que l’amnésie faisait partie de la punition… et la conclusion en était la mort naturelle du condamné… loin de la Terre. Ainsi, il n’y avait pas acte de mise à mort ! Tout le monde avait les mains propres !
« Mais qu’est-ce que j’ai bien pu faire de si horrible ? gémit-il alors intérieurement. Qu’ai-je bien pu commettre comme acte si terrible pour me retrouver ici ?
— Je vais mourir, alors ? lança-t-il au hasard sans vraiment s’adresser à son visiteur.
— Mourir, tu le dois, oui. L’énergie contenue sur cet astre te dévore car l’alimenter, tu vas. En vérité, t’emmener, une mort lente va le provoquer. Toutefois, n’aies crainte, car la mort est un élément naturel de la vie : réjouis-toi pour tous ceux autour de toi qui retournent à la Force.
Léon venait de terminer de remonter le seau alors que le petit chose prononçait ces mornes paroles, à moitié vides de sens et… à moitié pleines de sens. Alors, tandis qu’il s’affairait à le détacher de la potence, il le regarda avec désespoir.
— Il n’y a donc aucune possibilité de revenir en arrière, demanda-t-il comme à un juge, de racheter mon crime ?
— Ta peine tu dois endurer, Léon, répondit l’autre en prenant le seau. Maintenant, pour toi, pires sont les choses, car venu est le temps pour toi.
Et tandis que cet étrange énergumène regagnait tranquillement le vaisseau où l’attendait un couple de chauffeurs bien mystérieux, ce dernier le regarda avec tristesse car il commençait à comprendre : il commençait à comprendre en le voyant quitter le sol de cet astéroïde décharné que c’était son dernier visiteur… et qu’une fois de plus, il s’était fait embarquer son seau !
Effectivement, le temps allait venir.
11 - Le néguentrope
Léon commença à se sentir fondre peu de temps après le départ du côté éclairé de la Force.
Pour lui, tout avait commencé alors qu’un sombre crépuscule commençait à envahir cet astéroïde désolé qui semblait n’avoir ni jour ni nuit… ou n’en avoir que trop… Bref, cela se déroulait à proximité d’un puits dont l’eau avait un goût si étrange… si amer… si résolument goûtue, comme si elle devait être bue… comme si elle l’avait imploré avec ces mots qui emplissaient son esprit, tel de l’air sous pression : « Bois-moi ». Cela advenait alors qu’il cherchait une porte de sortie à cette histoire de fous, mais que jamais il ne trouva.
Cala avait commencé par une potence abandonnée qui ne semblait habitée que par un seau et… et puis par un sot : un sot que le manque d’explications avait rendu trop las pour continuer à se battre.
« Bois-moi ! »
Cette eau, ce carburant l’avait maintenu en état d’être, mais il commençait maintenant à dissoudre son corps et, petit à petit, il sentait ses cellules se décomposer au plus profond de la matière de son existence.
Cela avait commencé par l’atterrissage d’un vaisseau qui, comme les précédents, devait provenir d’une autre galaxie. Mais maintenant, Léon Nuq savait qu’ils étaient là, qu’ils avaient pris forme humaine et qu’il lui fallait convaincre ses visiteurs incrédules que le cauchemar avait déjà commencé.
« Bois-moi ! »
Et alors que son corps continuait à se liquéfier sur le sol froid, aride et mort de l’astéroïde, l’extraterrestre lui jeta un vague regard particulièrement inintéressé tout en remontant un seau sorti d’on ne savait où, avec ce fluide extraordinaire, source de toute vie. Puis il s’enfuit vers son vaisseau, probablement impatient de retourner à sa première destination, la Terre : vraisemblablement dans le but d’en faire son univers.
Tout cela était particulièrement désagréable, fort improbable et passablement inextricable…
12 - Les bourreaux
Vu du poste de pilotage, l’astéroïde ressemblait à une tranche de pain suspendue dans le vide. Sur la moitié de la croute extérieure, on pouvait apercevoir un filet d’eau s’écouler jusqu’à une espèce de gouffre. Là, le ru disparaissait dans les entrailles de la terre et ne semblait en ressortir que de l’autre côté pour boucler un tour.
On était un peu à l’écart de la ceinture d’astéroïdes, entre Mars et Jupiter. Le capitaine du vaisseau Quatrige manœuvrait de façon à permettre à la capsule de quitter tranquillement le bord. Comme d’habitude, il allait encore déposer sur le gros caillou son nouveau locataire.
— Allez mon gars, on charge !
Ronan était le pilote du petit transport. Il était responsable de la dernière étape du parcours pénitencier des condamnés.
— Il ne se souviendra vraiment plus de rien ? interrogea le bleu en attrapant le type par les bottes.
— De rien ! acquiesça Ronan, et c’est mieux ainsi : les condamnés qui sont transbahutés sur les astéroïdes ont fait des choses vraiment pas catholiques, alors c’est mieux comme ça.
— C’est quand même malheureux !
— Ce qui est malheureux, répondit Ronan en déposant le gars sur une banquette dans le petit vaisseau, c’est qu’on ait aboli la peine de mort il y a deux cents ans. Ce genre de résidu de l’humanité, ça mérite pas…
Il eut un geste de dédain méprisant envers son passager endormi puis termina de l’attacher.
— Mais au moins, chef, ça permet d’entretenir les points de livraison en énergie ?
— Ces foutus stations énergétiques ? repartit Ronan en condamnant l’accès à la soute. On aurait très bien pu faire sans ! Faire boire ce poison aux condamnés pour qu’ils finissent par se diluer en énergie… C’est peut-être écologique, mais je trouve ça plutôt hypocrite ! Et en plus je soupçonne fortement que d’autres profitent gratuitement de cette énergie.
— D’autres ?
— Oui, d’autres voyageurs !
— Mais on est seul dans l’univers, non ?
— Bah peut-être, mais je trouve quand même que les réserves énergétiques de nos astéroïdes baissent rapidement par rapport à nos besoins. Alors nos politiques ils sont pas dans l’espace, mais moi je suis aux premières loges et je trouve ça un peu fort de café !
Le militaire se dirigea vers la cabine, y pénétra et prit place au poste de commande. Il invita son stagiaire à en faire autant puis, après quelques vérifications, ils prirent congé du Quatrige.
« Quatrige - Ici transport quarante-trois - Nous approchons de l’aire de repos du secteur A32 - On reprends contact à terre - Terminé !
— On les rappelle quand ? s’inquiéta le jeune homme dont c’était le premier transport. Quand on arrive ?
— Non ! Non ! s’étonna Ronan. Mais qu’est-ce qu’on vous apprend à l’école ?
— Bah…
— Mouais ! Pas grand-chose apparemment !
— Bin je sais que le vaisseau principal est averti automatiquement quand on est garé en sécurité, au sol…
— C’est ça ! rebondit Ronan. Donc pas besoin de les rappeler. Non, le seul contact qu’on aura avant de rentrer, c’est au moment de notre départ, quand on aura terminé notre mission… à moins d’une urgence, bien sûr…
— Une urgence ? s’inquiéta l’aspirant.
— On n’est jamais à l’abri d’une panne…
Il n’y eut cependant aucun souci et le couple de militaires finit par se poser sans difficulté sur l’astéroïde.
— Et voilà ! lança Ronan en ouvrant la porte de la cabine. On est arrivé à bon port ! Plus qu’à décharger notre colis !
— C’est plein de mousses, par terre, constata l’apprenti. C’est comme ça partout ?
— À peu près ! Souviens-toi que c’est pas un astéroïde naturel, alors on a fait au plus simple pour le construire ! Un peu plus de trente kilomètres de diamètres pour une épaisseur de quatre… Ça fait quand même pas loin de quarante-trois mille milliards de tonnes, alors la déco est un peu limitée !
— Et là… La rotation de l’astéroïde ?
— Comme tous ceux de cette catégorie : imagine qu’on marche sur la croute d’une tranche de pain : eh bien on tourne sur un axe qui serait sous nos pieds. C’est grâce à ça qu’on arrive à restituer une gravité à peu près normale, bien que plus légère que sur Terre.
« Et si ça t’intéresse, continua le soldat, sache que la période de rotation est de neuf heures et qu’on tourne autour du soleil en trois ans et demi… à peu près !
— Donc une journée dure neuf heures ici ? C’est pour ça qu’on lui laisse une montre à neuf unités ?
— Oui… et non ! En réalité, c’est un compte à rebours… pour nous, là-haut… mais jamais un seul condamné n’a compris le principe : ils se contentent tous d’essayer de compter des heures… qui n’en sont même pas ! Pour le reste, une année ici correspond à plus de trois ans terrestres mais bon le type, là, il aura pas le temps de s’en rendre compte : il aura fondu avant !
Alors qu’il détaillait ces éléments, Ronan avait détaché la banquette sur laquelle dormait leur passager. Elle flottait maintenant dans la soute, comme si elle était maintenue par une force invisible.
— Mais comment on sait que l’occupant précédent de l’astéroïde s’est bien dissous ?
— Tout simplement mon gars ! On a un surplus d’énergie instantané qui provient de la dilution du prisonnier. À ce moment-là, on sait que la place est libre et on en raboule un autre !
— OK… Et ça dure combien de temps, la piqure qu’on lui a fait dans l’épaule ? Il va pas se réveiller, là ?
— Pas de risque ! Il en a encore pour un bon moment, d’autant que les effets du produit doivent aussi supprimer tous ses souvenirs. Allez, active-toi ! On descend le déposer sur son caillou, dans la grotte…
L’homme joignit le geste à la parole et, alors que le bleu poussait la banquette vers l’extérieur du vaisseau, se dirigea vers un rocher qui sortait du sol.
— L’entrée est cachée dans ce gros caillou ? demanda-t-il avec intérêt alors que la banquette semblait glisser sur un tapis invisible.
— Yep ! On va tout de même pas emprunter le puits !
Le stagiaire regarda le vieux tripoter le rocher… sûrement qu’il devait y avoir un système mécanique dissimulé là-dessous, car un sas apparut dans l’encadrement de la pierre.
— On t’expliquera ça quand tu seras première classe, mon gars ! lança le gradé avec fierté en pénétrant dans l’antre sombre de la terre.
Le jeunot ne répondit pas et, tout en marmonnant quelque chose de particulièrement incompréhensible, se glissa à son tour dans le passage qui venait de s’éclairer, comme par magie.
— Et dire que le pauvre type, là, va devenir le pompiste de cet astéroïde !
— Si on veut, répondit Ronan alors qu’il enlevait le casque du prisonnier.
— Et ça dérange pas les voyageurs d’avoir à faire avec un condamné ?
— Bien sûr que non ! Le gars, là, il se souviendra de rien ! Il sait même plus ce qu’il a fait, donc comment lui en vouloir ? Ce serait illogique de lui reprocher quoi que ce soit ! Il ne sait même pas, quand il se réveille, qu’il est là pour payer sa dette… que c’est une vermine de la pire espèce !
— Mais alors…
— … alors c’est ça : tout ça sert à rien. Le condamné apprend rien, ses visiteurs s’en moquent et surtout…
— … surtout ?
— Surtout ? Eh bien aujourd’hui, on a les moyens de permettre aux condamnés d’avoir une nouvelle vie puisqu’on peut leur faire oublier leur délit et qu’on a la technologie pour leur permettre d’oublier.
— Et donc ?
— Donc ? Bin réfléchis un peu ! Autrefois, ça ne ramenait pas les victimes de foutre un type en prison mais au moins, il comprenait sa punition : une punition utile qui l’empêchait de recommencer ou de sévir à nouveau… tout au moins qui pouvait le faire réfléchir… Aujourd’hui, c’est fini ! Non seulement la punition est devenue inutile, mais en plus elle est devenue absurde. Et le pire dans tout ça, c’est que…
— C’est que quoi, chef ?
— C’est que la condamnation est devenue inutile, aberrante et irrationnelle, mais qu’elle ramène toujours pas les victimes.
— Mais c’est justice… Non ?
— Comme tu dis ! À force, c’est devenu ça la justice : stérilité, digression et divagation.
Mais tout cela était tout juste vertueux, fort logique et d’une lumineuse simplicité…
Complètement dépassé par six chapitres dont il n'a même pas conscience, Léon plonge des deux pieds dans la septième partie de cette histoire de fou... = ajouter un commentaire =
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Suite et fin des aventures étranges de Léon Nuq. Toujours beaucoup de références que je n'ai pas mais je n'ai pas boudé mon plaisir en relisant ce texte de SF original et débordant d'imagination.
L'auteur semble avoir décidé de mettre toutes ses figurines de science-fiction préférées sur la table et de les regarder s’entasser sans se demander si elles font sens ensemble. Koenig débarque sur la Lune, et aussitôt on enchaîne sur des visiteurs clownesques, comme si les auteurs avaient trouvé rigolo de mélanger un documentaire lunaire avec un cirque de province. Chaque chapitre est une galerie de portraits et de clichés connus, soigneusement posés les uns à côté des autres pour que le lecteur puisse dire " Ah tiens, ça me rappelle… ". Nostalgie à gogo, mais profondeur ? Oubliez.
Le style est relâché (truc? genre?), les mots déversés sans contrôle ni intérêt véritable. Les phrases se dandinent, se prélassent, font de l’effet, mais au fond, elles servent surtout à remplir l’espace et à donner l’illusion d’une littérature spatiale " réfléchie ".
Et puis la chute ! Une pirouette presque gênante après un déploiement digne d’un feu d’artifice de références. On referme le livre en se demandant si on vient de lire un hommage à la SF ou juste un album de vignettes accumulées pour le plaisir de l’auteur.
L'auteur exhibe son érudition et son goût des clins d’œil comme un enfant montre ses cartes Pokémon : fascinant de loin, mais au toucher… c'est Wish.
sans paraître méchant, je me suis demandé si les chapitres étaient dans le bon ordre. En termes de SF, les dialogues me semblent manquer de punch, de suspense, de ton adéquat et de mystère. Parfois, j'ai pensé à ces vieux épisodes TV de "lost in space" des années 60 dans des décors en carton. Où sont les paysages déroutants, les apparences moins convenues et surtout l'action? Je ne sais pas. La temporalité qui se veut remise en jeu, n'est pas assez prégnante à mon avis. Les phrases elles-mêmes, dans leur ensemble, manquent d'exigence dans le contexte de la SF; C'est juste un avis.