La Zone - Un peu de brute dans un monde de finesse

Auteur Sujet: Tri sélectif : Mill  (Lu 21015 fois)

nihil

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #15 le: mars 24, 2008, 11:42:59 »
Une autre bibliothèque
Posté le 23/03/2008
par Mill



Une autre bibliothèque.

Mes yeux, sans doute, ne lisent pas ces phrases, et la plume qui les trace, fictive, allégorique, n'entretient qu'un rapport ambigu avec les lobes de mon cerveau. Nul support matériel - quoique Hume, par delà d'autres terres, continue d'affirmer que tout est matière - pour ce qui ne sera ni lu, ni écrit, peut-être enregistré, probablement oublié sous un alias grotesque, mêlant chiffres d'ailleurs et syllabes imprononçables.
S'il ne tenait qu'à moi, il n'y aurait bibliothèque que dans les dictionnaires et les contes de Borges. Les méandres de papier, d'enluminures et de cuir tanné ont usé mes souvenirs, caillé presque tous mes rêves, et il n'est pas une seconde où le souhait d'investir le corps de Guillaume de Baskerville, prisonnier de flammes écrites ou simplement assassines, ne traverse mon esprit. J'ai tant songé, tant espéré, visualisé tant de couloirs chargés de livres, que ce qui reste m'est torture, honte et froideur. L'enfer exhale l'antiseptique, les lueurs n'existent pas, et la lumière synthétique recouvre chaque pouce, chaque recoin des carrelages et parois. J'habite - semble-t-il - un dôme de plastique blanc, un faux dédale dont l'issue paraît si simple qu'il serait sacrilège de l'emprunter. L'ombre ne pénètre jamais dans cet endroit brillant, immaculé, étincelant, lui préférant, non sans raison, les envers glauques de ma conscience et l'illusion d'un grimoire, d'un conte ou d'une histoire depuis toujours effacés.
Mon statut purement conventionnel de narrateur anonyme ne doit pas induire en erreur l'éventuel lecteur - dont, évidemment, je nie l'existence - de cette série d'images sans consistance. La bibliothèque comprend tous les volumes et n'en contient pas un seul. Ses étagères, à la fois vides et virtuelles, grouillent de pages qui n'en sont pas, de paragraphes immolés, greffés à d'autres aberrations, d'autres monstruosités tenaces préalablement amputées.
L'utilisateur de la bibliothèque n'accède à ses fichiers qu'après d'étranges rites tactiles engageant tout son être ainsi qu'un panneau de contrôle comprenant chiffres et lettres, et un écran de cristal. En théorie seulement, car les touches alphabétiques ont cédé la place à une série de fonctions réduites, aux symboles indéchiffrables pour le profane, et à cette étrange créature hybride qui sert d'hypothétique prolongement au chercheur ou au bibliothécaire. Il s'agit d'une boîte plastique, moulant aisément toute paume, que le visiteur déplace spatialement pour évoluer entre les rayons. Passant alors d'une figure à l'autre, d'une icône à une Bible, d'un document tronqué à l'extrait d'un chef-d’œuvre, l'aventureux intrus s'insinue entre les lignes, applique et modèle sa pensée selon les collages effectués, puis impose, architecte éphémère, la création illusoire d'une œuvre factice.
A de rares exceptions près, seuls les bibliothécaires s'avèrent habilités à déjouer les embûches, en aucun cas inoffensives, que recèle la bibliothèque. Nombreux ceux qui se sont égarés parmi les fiches, notes et indices parsemés ça et là, paraphrasant peut-être l'illicite influence de leurs pensées secrètes. J'ai moi-même, à plusieurs reprises, croisé la route, interminable, d'une prostituée sans nom et au physique presque multiple, qui venait et revenait sans cesse, rompre le fil de mes recherches. Je m'échouai d'ailleurs plus d'une fois en des plages sans rivage, déserts surpeuplés ou autres orgies solitaires.
On ne peut éteindre la bibliothèque. Sa mémoire évolutive réclame et avale sans détour, engrangeant à l'infini de nouvelles données pour les restituer plus tard sous une identité composite et polymorphe, incontinente et parfaite. Ses œuvres, pourtant, sont appelées à mourir, à se fondre en ribambelles d'autres combinaisons. La matière première a depuis longtemps disparu.
« Modifié: mars 24, 2008, 15:35:55 par nihil »
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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #16 le: mars 29, 2008, 19:58:03 »
Confession d'un blanc-bec, fumeur de haschisch
Posté le 23/03/2008
par Mill


 

Confession d’un blanc-bec, fumeur de haschish.


Ah oui. Thelonious Joke... Ce nom est sur toutes les lèvres depuis près de dix ans aujourd’hui. Particulièrement sur celles des voleurs à la tire ou des mafiosi sans scrupules, ceux qui ont toujours un petit quelque chose à se reprocher.
Je sais aussi que c’est un nom qui évoque, pour d’autres sinistres personnages, quoique dans un domaine différent, celui de l’ésotérisme et de la magie noire, une impureté indécente, une source de mal paradoxalement associée aux forces bénignes de la nature. Mais je ne suis pas là pour faire dans la rumeur d’opérette. Lisez plutôt Lovecraft. Dans sa spécialité, il dépasse Mozart, à ce que l’on dit.
Moi, Thelonious Joke, je l’ai rencontré dans sa jeunesse, avant sa crise d’amnésie, celle qui lui a si subitement dérobé tout souvenir de sa vie d’avant ses vingt-six ans. Un sacré mariole, à cette époque, je peux vous l’affirmer. C’est sans doute de famille, à en juger par la sémantique de son nom: Joke. Une bonne blague, ouais, ce type, c’était une plaisanterie à lui tout seul, la dérision et le sarcasme à l’état pur. Paraît que sa mère était folle du fameux pianiste de jazz, Thelonious Monk, et que c’est à cette passion qu’il doit l’extravagance de son identité. Il n’empêche qu’il n’y en avait pas deux comme lui, et si je puis me permettre, ça m’étonnerait qu’il ait beaucoup changé sur ce point-là.
Voyez-vous, je l’ai rencontré à Amsterdam, il y a de ça des siècles, me semble-t-il, au sous-sol du Grasshopper, l’un des coffee-shops à la mode pour les yeux cernés qui ont du fric et bien peu d’illusions. Le genre d’endroit plutôt brumeux, paisible, les rares conversations empâtées y font écho à des toux tièdes ou grasses, selon la qualité de l’herbe, et souvent, les seuls bruits qu’on y perçoit, mise à part le fond sonore du bar, résultent du frottement des feuilles à rouler, des boulettes qu’on effrite, malgré la sueur sur les doigts, des briquets qu’on allume, l’espace d’une aspiration, et surtout, du tintement du tiroir-caisse qui ne s’interrompt que lors des rares pauses que s’accorde le dealer en costume. Un sacré rigolo, celui-là aussi. Avec ses lunettes noires et sa veste impeccable, il se prenait pour le caïd du coin, alors qu’en vérité, il n’était rien d’autre qu’une sorte de fonctionnaire, ni plus ni moins.
Tenez, puisqu’on en est à parler de basse politique, je vais tenter de vous décrire le guichet à chichon du Grasshopper, tel qu’il est encore aujourd’hui, d’ailleurs, vu qu’il n’a pratiquement pas changé. D’abord, on descend au sous-sol par un escalier aux marches recouvertes de caoutchouc, histoire qu’un beatnick trop défoncé ne dérape pas dessus s’il a les semelles glissantes et le sens de l’équilibre en veilleuse. La maison veut éviter les frais superflus, vous comprenez? On arrive alors à une salle rectangulaire, de taille moyenne, pouvant contenir une vingtaine de personnes, la moitié debout, et dont le bar est tenu par une ravissante midinette en jupette orange et cuissardes vertes. En général, les clients les plus atteints, ceux qui savent le moins se tenir, passent l’essentiel de leur temps à reluquer sous sa jupe, pour vérifier si... Enfin, vous connaissez ce genre d’inepties.
A droite de l’escalier, on a eu l’idée, quelque peu saugrenue, mais toutefois originale, d’ériger une cabine hermétique. L’une de ses trois faces, celle qui se présente en premier à l’oeil du visiteur hagard -à moins qu’il ne soit encore à jeûn- se compose d’un panneau de verre sous lequel règne une pénombre alléchante. Un bouton, placé juste sous la vitre, permet d’illuminer la cage de verre, et, surprise, qu’est-ce qui apparaît? Le menu du Grasshopper. Skunk, népalais, pakistanais, libanais, space cake, double zéro, pollen, toutes les cultures, ne m’en voulez pas, je vous prie, pour ce jeu de mots ridicule, y sont représentées.
Un pas vers la droite, et l’on découvre le second panneau de la cabine, le plus intéressant, croyez-moi, car c’est là qu’on fait affaire. Le décor est d’ailleurs tout à fait approprié à ce genre d’expression, si vous voulez mon avis. On se croierait à un guichet de gare, ou à un bureau de poste, le type en costard nickel derrière son hublot et son hygiaphone en kit. Sauf que là, il dispose d’une balance électronique, et ce n’est certainement pas pour peser le courrier.
J’étais justement, ce soir-là, en plein conciliabule avec le commis aux affaires fumette, lorsque Thelonious est arrivé, vêtu d’un costume noir, le cou noué d’une cravate si fine qu’on en pouvait compter les mailles. Son élégance et sa prestance nous surprirent à tel point, l’employé et moi, que nous interrompîmes notre transaction pourtant sacrée, pour mieux le contempler.
Comment vous dire? Ce type avait la classe de Gérard Philippe, la courtoisie de Niven et le sourire du héros d’Orange Mécanique. En d’autres termes, c’était un parfait exemplaire d’extra-terrestre, quelqu’un d’irréfutablement supérieur à tout ce qui l’entourait. Son allure générale rappelait vaguement celle du Sick Boy de Trainspotting, ce film qui a charmé tant de junkies ces derniers temps, mais avec la discrétion et la noblesse d’âme en plus, une noblesse qui irradiait de chacun de ses traits, trompeuse et magnifique. Enfin, il avait les cheveux si noirs que je ne pouvais décider s’il s’agissait de vrais cheveux ou bien si l’on avait peint sur un crâne chauve une telle chevelure ébène, où semblaient se mêler des filaments nocturnes, surnaturels.
Je continuai de l’épier nonchalamment, tout en payant mon hasch, et je remarquai, non sans une certaine curiosité, qu’il marchait à la féline, se déhanchant avec détachement, comme si tous les muscles de son corps avaient pu jouer sous sa peau sans son autorisation préalable. Bien sûr, en vous expliquant ceci de cette manière un peu confuse, on pourrait supposer qu’il roulait des mécaniques, et que, par conséquent, il se couvrait de ridicule. Mais ce n’était pas le cas. De cet individu irréel irradiait une aura de beauté et de perfection, un dieu grec personnifié, humanisé, venu du fin-fond de la galaxie.
Vous allez probablement penser que j’ai encore trop fumé de P4, que ma cervelle tourne à l’envers, à vide et au ralenti, et je ne peux pas vous en vouloir. Je n’en ai plus la force...
Quoi qu’il en soit, il s’est installé à une table, ténébreux, solitaire, et nom de Dieu, d’une dignité à vous couper le souffle. Ai-je besoin de vous confier que la serveuse le mangeait littéralement des yeux, l’aguichant de temps en temps d’un clin d’oeil ou d’une apétissante poitrine exhibée à la va-vite? Mais lui ne s’en souciait pas. De fait, il la remarquait à peine, et quand la provocation de la dîte demoiselle devenait si évidente qu’elle en résultait insultante, il se contentait de lui adresser un sourire délicat, judicieusement teinté d’une désapprobation à la fois tendre et cynique.
La bande-son se parait justement d’un petit You can’t kill me, du groupe Gong, lorsque je me décidai à l’accoster. Un tel personnage valait sans doute un début de soirée, et si, en fin de compte, il se révélait suffisant et sans intérêt, j’avais toujours l’opportunité de rejoindre quelques potes au Highway ou au Smokey’s.
D’entrée, je l’invitai cordialement à quelques taffes sur mon joint et il me fit signe de m’asseoir.
-Salut, j’ai dit, et franchement, je ne savais pas quoi lui dire de plus.
Il semblait s’en rendre compte, car il me répondit d’un léger sourire qui se voulait engageant.
-Je m’appelle Simon, mais tout le monde me traite de “Bazooka”, parce qu’il paraît qu’à Amsterdam, y a personne qui puisse en rouler d’aussi gros.
-Fort bien, mais une loi universelle stipule, et souvent à juste titre, que “les plus gros”, pour reprendre ton expression, ne sont pas toujours les mieux tassés.
Sa remarque, que je jugeai plutôt déplacée, un brin offensive, avec ce ton narquois qu'il employait, ne me fit pas aussi mal que j’aurais cru. Il y avait en lui un je ne sais quoi qui m’interdisait toute colère à son égard.
-Ah ouais, répliquai-je, feignant une susceptibilité qui sonnait faux à mes propres oreilles? Et qu’est-ce que tu proposes, toi?
-Serait-ce un défi, un challenge, pour paraphraser nos chers amis Anglais?
Ses yeux brillaient dans la semi-pénombre, ce qui ne cadrait pas avec ses paroles, grouillant de correction et de bonne éducation. Les coups de guitare de Daevid Allen ne faisaient rien pour arranger l’état de trouble qui commençait à m’envahir. Il faut dire que je débutais gentiment une défonce on ne peut plus agressive, et j’avais le sentiment, par moments, d’affronter, non pas un être humain, mais le spectre, ou le reflet d’un esprit.
Pour toute réponse, je lui prêtai mes feuilles, des Smoking King Size, évidemment, et m’adossai à mon siège. Je sursautai lorsque je l’entendis me demander, d’une voix aussi posée que possible:
-Ca t’ennuie si j’achève le paquet?
Un paquet neuf.


* * *


Cela lui prit près d’une heure, ce qui est plutôt rapide, étant donné le résultat obtenu. Il ne s’agissait pas d’un joint immense, interminable, de trois mètres de long -bien que je sois persuadé qu’il n’aurait pas eu beaucoup de mal à m’en confectionner un- mais d’un enchevêtrement de joints qui se rejoignaient les uns les autres, se chevauchant, se croisant, puis se contournant, quelquefois se fondant l’un dans l’autre, formant ainsi une étrange figure qui me rappelait vaguement quelque symbole cabalistique que j’avais eu le loisir -et non la joie- de rencontrer durant mes études.
-Mon Dieu, sussurai-je finalement, qu’est-ce que c’est que ça?
Il plongea son regard noir étincelant tout au fond de mes pupilles, comme pour en extraire l’essence même de mon âme.
-Ceci, mon cher ami, est un signe magique, un pentacle hébraïque, pour être plus précis. Pour ma part, j’irai jusqu’à le considérer comme une porte, une serrure dont toi et moi possédons la clef.
Sur ce, il me tendit son briquet. Je le regardai luire dans l’obscurité, qui se faisait insistante, écoutant d’une oreille distraite les riffs d’angoisse de Dancing with Mr. D, des Rolling Stones, et ce fut la voix de Jagger qui m’incita à saisir le piège qu’il me tendait dans sa main droite.
-Et où je l'allume?
Je ne voyais plus ses yeux. Seules ses dents blanches et son sourire de fantôme flottaient encore dans la brume sombre et grisâtre qui m’embuait la vue. La musique continuait de résonner et gagnait en puissance.
Je pris le briquet et le pentacle, constatant alors qu’il était parfaitement bien tassé. Une véritable oeuvre d’art, croyez-moi, avec à l’intérieur assez de hasch pour faire planer pendant des siècles une véritable armée. Et c’était ce truc-là, justement, que je m’apprêtais à humer à pleins poumons!
Je tirai une première latte, au son de Fire, de Hendrix, souriant stupidement à cette analogie, puis une seconde, et lui passai le pétard. A son tour, il aspira quelques taffes, mais apparemment, ses poumons encaissaient bien mieux que les miens, car le pentacle diminua de façon bien plus notable, cette fois-ci. Il me repassa le joint, et tout en reprenant mon souffle après cette nouvelle tournée, je risquai une question.
-Dis donc, cette porte. Qu’est-ce qu’il y a derrière?
Il me répondit d’un ton sarcastique, à la limite du dégénéré. Des filets de fumée noire s’échappaient d’entre ses dents.
-La réalité, mon cher Simon, la réalité.
Nouvelle aspiration. La fumée imprégnait mes poumons, puis mon sang et mon cerveau. J’étais ailleurs, sur une autre planète, complètement défracté. Mais ce genre de réponses, j’en avais déjà entendues des tas à chaque fois qu’un pauvre couillon déglingué voulait se la jouer mystique et clairvoyant.
-Ah non -ma voix était traînante, pâteuse, les syllabes collaient à chacune de mes dents, et ma langue s’embourbait à chaque voyelle. On me la fait pas à moi.
Je crus apercevoir ses prunelles s’enflammer, mais j’ignore s’il s’agissait de colère ou d’excitation. Je pencherais plutôt pour la seconde solution car un rire difforme et sépulcral le secoua de bas en haut, lui donnant l’allure d’une marionnette dont on aurait secoué les fils jusqu’à la frénésie. En fond sonore: Helter Skelter...
-Ah oui, miaula-t-il, ignoble et insidieux? Et si ce n’est pas la réalité qui t’entoure, qui t’encercle en ce moment même, qu’est-ce donc? Ton pire cauchemar?
Son rire, cette fois, n’eut rien d’humain. Il s’écarta de la table, secoué de spasmes reptiliens, et au même instant, la pièce entière parut s’illuminer d’un rouge envoûtant, affamé, une couleur indescriptible, infâme que je ne pouvais supporter. Je tenais toujours le reste du pentacle à la main, et en jetant un coup d’oeil autour de moi, aussi fugace que possible, ma seule réaction fut de le porter à ma bouche pour en venir à bout une fois pour toutes. J’en avais besoin, vous comprenez, j’en avais besoin! La couleur hideuse et palpable continuait de s’étendre, et la scène qui s’ouvrait ainsi à mes yeux ne présentait plus qu’une faible ressemblance avec le Grasshopper que j’avais toujours connu. On se serait cru aux profondeurs de l’enfer.
La minette du bar avait pris des siècles de rides, et elle n’avait pas changé de tenue, exposant à mes yeux ébahis, horrifiés, une chair flasque et poussiéreuse, son visage à moitié dévoré par les vers. Quant aux clients attablés, ils tenaient plus du crapaud déchiqueté par le temps que du junky pacifique et désoeuvré, leurs yeux globuleux de poissons rouges me fixant d’un air qui n’avait rien d’équivoque.
Je m’enfuis en jetant loin derrière moi le filtre du pentacle, la voix hurlante et possédée de Thelonious Joke proclamant à qui voulait l’entendre que la réalité n’était plus ce qu’elle était.
Ah ouais... Un sacré bonhomme, ce Thelonious Joke, ça je peux vous le dire, oh ça ouais...


 
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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #17 le: mars 29, 2008, 20:19:55 »
arf

Astarté

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #18 le: mars 29, 2008, 20:20:39 »
Maman!
"Te laisse pas impressionner Astarté, acharne-toi sur lui, tu as mon soutien silencieux"
Aelez le 10 mars 2007 à 01.05.09

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #19 le: mars 30, 2008, 00:22:24 »
Commentaires aléatoires ?

C'est pas que c'est insupportable, du tout, mais ce n'est passez zonard pour être publié dans la conjoncture actuelle.
Pour le débat citoyen et convivial dans le respect indivisiblement démocratique de la diversité multi-culturelle des valeurs républicaines oecuméniques.

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #20 le: mars 30, 2008, 03:14:27 »
je manifestais simplement ma mélancolie car ça va faire 3-4 textes que je ne ris plus à Mill.

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #21 le: avril 11, 2008, 19:28:57 »
Comme c'est parti, ça ne va pas s'améliorer. Je ne suis pas trop d'humeur.

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #22 le: avril 11, 2008, 20:54:10 »
Ta gueule, pute.

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #23 le: avril 24, 2008, 13:40:42 »
L'appart en T / 1er épisode
Posté le 23/03/2008
par Mill


 

L’appart en T - 1er épisode

Le fantôme de l’appartement 112 s’appelait, de son vivant, Clarence Winterland et affectait dans la mort le même snobisme propre à sa classe qui avait assurément causé sa perte une trentaine d’années plus tôt. S’obstinant à refuser une poignée de main au fiancée de sa sœur, un roturier autochtone du nom de Villeneuve, il avait, par cette attitude offensante, provoqué un duel qu’il ne pouvait espérer gagner.
Villeneuve avait vécu dans la rue et les crans d’arrêt n’avaient pour lui aucun secret. Winterland affectionnait la boxe universitaire et s’attendait, de son propre aveu, à affronter un gentleman dans toutes les règles de l’art. Ce grave malentendu lui valut d’être poignardé dans son sommeil un soir où cinq joueurs de poker attestèrent de la présence de Villeneuve à une partie amicale sévèrement arrosée. L’affaire fut classée sans suite et Villeneuve ne fut qu’à peine inquiété.
L’appartement 112 demeura inoccupé trente longues années. Une période durant laquelle les visiteurs ne manquèrent pas, mais aucun ne parut se satisfaire de l’habitation. De fait, les visites dépassaient rarement les cinq minutes et les aspirants locataires quittaient habituellement les lieux d’un pas pressé, nerveux, voire carrément effrayé selon certains agents immobiliers. Bientôt, il n’y eut plus du tout de visite. Les employés les plus vieux de l’agence racontaient d’étranges histoires, le soir au bar. Certains évoquaient des murmures dans la salle de bains, d’autres des silhouettes fugacement entrevues dans le dressing, derrière le rideau de douche ou dans les miroirs. Les lumières s’éteignaient volontiers toutes seules et il arrivait qu’une ou l’autre des portes claque de temps à autre.
C’est là que je pointe le bout de mon nez. Il y a trois semaines, j’ai reçu un coup de fil de mon oncle qui m’ordonnait de rappliquer fissa. Apparemment, le vieux était tombé sur le méga bon plan et je ne pouvais pas le laisser passer.
« Non, je ne veux pas en parler au téléphone. Allez, bouge ton cul et ramène-toi une fois pour toutes. Je sais très bien que tu fous rien de tes journées. »
J’ai donc pris le premier tram et je l’ai rejoint aussi vite que j’ai pu. Je n’avais plus d’endroit où me loger, ne trouvais plus de boulot depuis six mois facile, le gros de mes économies tenaient dans une chaussette de nouveau-né. Mon oncle connaissait ma situation et, tout agent immobilier qu’il fût, je savais qu’il n’arnaquerait jamais un membre de la famille. S’il disait que c’était du tout bon, j’avais tout intérêt à lui faire confiance.

« Installe-toi, qu’il me dit sans le moindre bonjour. »
Je m’assois sur un fauteuil moelleux, juste en face de son bureau vernis que je m’empresse d’encrasser avec les semelles de mes Clark’s. Je me suis toujours senti très à l’aise dans le bureau de mon oncle.
A côté de moi, sur le grand frère de mon fauteuil qu’il occupe avec davantage de distinction, un vieux hibou en costume à carreaux tout droit sorti d’une série noire des années quarante avec une condescendance non dénuée de curiosité. Le genre qui sait très bien qu’il va finir par me bouffer tout en ignorant à quelle sauce.
« Paul, reprend mon oncle, je te présente…
- Polo, abois-je presque ! »
Je déteste qu’on m’appelle Paul. Je peux pas m’empêcher de corriger ceux qui m’appellent Paul.
Mon oncle ne sourit plus lorsqu’il parvient au bout de sa phrase.
« … Monsieur Duclos, Roger Duclos, l’actuel propriétaire de ton futur logement. En d’autres termes, voici ton sauveur. Car il n’y a pas d’autre mot, n’est-ce pas, Monsieur Duclos ? »
Ce dernier n’a pas bronché depuis mon arrivée. L’idée me traverse l’esprit qu’il est mort et que mon oncle, devenu fou, s’apprête à me sacrifier à je ne sais quel dieu païen de l’immobilier. Dans la foulée, je me dis aussi que j’aurais sans doute mieux fait de ne pas finir le pétard de tout à l’heure, lorsque le tas de poussière se met enfin à bavasser.
« Polo… Vous préférez porter le nom d’un sport idiot plutôt que celui du fondateur de l’Eglise. Bah ! Vous, les jeunes, n’avez plus le sens du sacré. Je subodore que vous n’avez rien du candidat idéal. Monsieur votre oncle s’est trompé, voilà tout. »
Amusant. En général, quand on lâche quelque chose d’aussi définitif, on prend ses cliques et ses claques et on s’arrache sans se retourner. C’est moi qui ai le dernier mot et je le garde, na.
Pourquoi il bougeait pas, alors ? Il restait là, recroquevillé sur son vieux porte-documents en cuir élimé, à me regarder de ses yeux globuleux comme si j’étais la huitième merveille du monde ou un exemplaire peu banal d’étron radioactif. A voir le léger frémissement de ses narines, je penchais plutôt pour la seconde solution.
« Quelqu’un aurait-il l’extrême obligeance de m’expliquer de quoi on parle exactement, bordel de merde ?
- Ah, Polo-Polo-Polo… Heureusement que je suis ton oncle et que je t’aime. Disons que je te connais un peu et que, malgré tout, je sais qu’il se cache quelqu’un de bien derrière cette grande gueule à l’hygiène dentaire franchement douteuse. Permets-moi toutefois de te dire que tu exagères. Comme d’habitude. Je te présente à peine que tu t’attires déjà l’antipathie de Monsieur Duclos, lequel a pourtant eu la gentillesse de venir me trouver lui-même avec une proposition qui ne peut que t’interpeller. »
Protestations crispantes du vieillard.
« Vous savez très bien que, si j’avais le choix, vous seriez la dernière personne que j’irais voir. Alors cessez ce petit jeu, dites à ce godelureau de se taire et parlez-lui de l’appartement. »
On y vient enfin. Je me jure mille fois de ne plus l’ouvrir tout en me rongeant l’ongle du pouce gauche parce que, putain, je me sens un peu tendu.
« Il s’agit d’un F4 en assez bon état, quoique légèrement poussiéreux puisque virtuellement inoccupé depuis octobre 1976. On n’a pas touché au mobilier depuis les années soixante et un coup de peinture serait le bienvenu. Je sais qu’en temps normal, te demander d’effectuer ce genre de travaux relève du fantasme pur et simple, mais c’est ça ou rien.
- Deux, trois merdouilles à réparer en échange de la question ? Pas de problème, ça baigne du tonnerre de Dieu.
- Tais-toi, laisse-moi finir, merci. »
Promis, cette fois, je vais y arriver, mais c’est plus fort que moi : faut que je cause.
Je me suis mordu les lèvres et mon oncle a poursuivi son petit laïus.
« L’appartement es situé sur l’île Saint-Louis. Je ne sais pas si tu te rends compte de ce que ça signifie en termes de loyer, mais… »
Il marque une pause, le temps d’apprécier le blêmissement soudain de ma face de petit con, puis :
« … mais sache que, contrairement à ce que conjecturais tantôt, tu n’auras rien à débourser. Seuls seront pris en compte les charges et le téléphone. Pas de loyer. Rien que le minimum pour que ton propriétaire et bienfaiteur n’ait rien à sortir de sa poche. Ta contribution inclut la taxe d’habitation et les impôts locaux, mais ton statut de chômeur impénitent règle déjà une part du problème, n’est-ce pas ? Pour ce qui est de la taxe, nous avons une idée du montant que tu auras à régler dans onze mois. Il te suffira d’économiser. Financièrement parlant, tu es gagnant sur toute la ligne. »
Je réponds nib. Surtout ne pas parler. Je me connais. Je suis capable de sortir trois vannes d’un coup juste pour évacuer le stress, et après, bonjour pour reprendre le fil. Je m’efforce de réfléchir un brin – pas facile – de calculer. Supposons mille euros pour les charges et la taxe d’habitation, à quoi ? allez, mettons cinq mille euros, c’est quand même l’île Saint-Louis, ça nous fait en tout, oh putain, c’est dur, 5000 divisé par 12, ça donne heu 416,16 euros par mois, donc 517 en tout. Hé ! Comme ça, l’air de rien, on dépasse les cinq cents alors qu’y a pas de loyer ! Je fais part aussitôt de mes conclusions mathématiques.
« Pauvre abruti. Laisse-moi les calculs, veux-tu ? Monsieur Duclos et moi-même nous sommes mis d’accord sur la somme de deux cents euros. Tu toucheras quand même l’aide au logement, ne t’inquiète pas pour ça, et on ne te demandera qu’une participation occasionnelle aux étrennes du concierge. L’argent, crois-moi, n’est pas le nœud du problème. »
J’avoue n’avoir rien compris. Mon oncle portait ce jour-là son costume d’agent immobilier : un ensemble de bonne facture mais visiblement bon marché. Toujours se montrer chic, clean, irréprochable, sans jamais étaler aux yeux du client le fric qu’on se fait sur son dos. Avec le compère Duclos, j’ai bien peur qu’il ne s’agissait d’un combat perdu d’avance. Il arborait en effet les mêmes fringues antiques depuis le couronnement d’Elisabeth II. A présent qu’il avait cessé de me scruter de ses grands yeux de crapaud décrépi, je ne pouvais le voir autrement que comme un pigeon sénile dans l’attente de se faire plumer.
Cette impression fut réduite à néant à l’instant où il prit la parole.
« Jeune homme. Tel que vous me voyez aujourd’hui, j’entame ma quatre-vingt-septième année. Cela fait près d’un demi siècle que je vis de mes rentes et loue mes meublés aux quatre coins de la France. Celui-ci, particulièrement, ne m’a causé que tracas depuis la mort de son dernier locataire, un Anglais, Clarence Dieu sait quoi. Plus personne n’ose le visiter depuis belle lurette. Les rumeurs… Quant aux locataires qui se seraient laissés tenter, ma foi, il y a bien ce parapsychologue écossais, vers la fin des années quatre-vingt. Il a tenu deux nuits consécutives, pas plus. La plupart déguerpissait au milieu de la première nuit dans un état de terreur absolue. L’Ecossais, lui, a pris une retraite anticipée et on ne l’a plus jamais revu.
- Qu’est-ce que vous êtes en train de me dire, au juste ?
- Monsieur Polo, il semblerait bien que l’appartement soit hanté.
- En T ? En forme de T ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ?
- Hanté, jeune homme. Han – Té. Habité, en quelque sorte.
- Mais s’il est habité, vous cherchez pas de locataire, non ?
- Hanté, merde ! Une maison hantée, un manoir hanté, les fantômes, les apparitions, les spectres…
- Ah… Ouais. Hanté, quoi.
- Bien. Je sais ce que vous allez me dire. Nous sommes au vingt-et-unième siècle et tout ça, c’est fadaises et compagnie, mais vous pouvez m’opposer les arguments les plus rationnels que vous voulez, ce sont là des faits avérés. La vraie question est d’une simplicité exquise et vous concerne exclusivement : vous croyez-vous capable de partager votre quotidien avec un esprit? "
Stop. J’arrête le temps. Je déconnecte. Vous trouvez pas que ça fait un peu trop d’un coup ?

 
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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #24 le: avril 24, 2008, 17:20:13 »
pfff cette vieille blague pourrie hanté - en T qui a du être inventé par un belge au Ier siècle...

ça donne pas franchement envie de lire les épisodes à venir, mais bon.

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #25 le: avril 25, 2008, 20:30:00 »
Ce qui donne pas envie d'en lire plus c'est surtout que pour une intro c'est relativement chiant, longuet, et structurellement baclé. Un texte long écrit vite fait, je dis non, mes yeux disent non. Par contre, l'intro de l'intro, j'ai bien aimé. Et quelques morceaux, par-ci par-là.
Puis c'est très moyennement zonard, ça.

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #26 le: novembre 01, 2008, 14:36:58 »
Il faut se suicider malin. Les règles d’or : 1 – Laisser une bonne impression.
Posté le 31/10/2008
par Mill


Vous avez décidé de mettre fin à votre misérable vie d’eunuque de la pensée mais manquez totalement d’imagination. Non seulement ignorez-vous comment vous y prendre, ce qui n’étonnera personne ici bas – n’êtes-vous pas le dernier des cons ? – mais vous prétendez, en outre, vous lancer comme ça, dans l’inconnu, sans aucune planification, ni démarche identifiable, rien. Non mais oh. Ca va les chevilles ? Le suicide est un sport sérieux, une affaire grave. Il exige par conséquent un minimum de préparation.

Aujourd’hui, l’équipe surdiplômée d’Il faut se suicider malin se centrera sur l’un des aspects les plus essentiels de cette préparation : laisser derrière soi une image positive et agréable. N’oubliez jamais que votre suicide doit provoquer les larmes les plus sincères, le chagrin le plus dévastateur. Si vous parvenez à donner l’exemple en instillant le désespoir le plus profond, l’incompréhension la plus dérangeante chez vos proches, eh bien, ma foi, vous aurez gagné. Faire bonne impression pour se faire regretter. La règle d’or numéro un, ainsi formulée, paraît simple, aisément applicable. Voici toutefois quelques menus conseils qui aideront les plus limités d’entre vous à atteindre ce but ô combien louable et à parachever sous les meilleurs auspices votre projet d’auto-annihilation tout en emmerdant les vivants.
En premier lieu, efforcez-vous de cacher votre mal-être. Vous savez que vous n’êtes rien d’autre qu’un minable résidu de merde molle et ça vous travaille. En d’autres termes, vous souffrez. De fait, vous êtes pathétique et gluant, dépressif jusqu’au bout des ongles que vous rongez benoîtement comme un enfant inquiet ou une adolescente pustuleuse. Là-dessus, je ne vous contredirai pas. Il convient cependant, pour la mise en œuvre de votre projet, de radier cette image de loque larvesque (ou de larve loqueteuse, on s’en fout) au profit d’une figure héroïque et conquérante.
Soyez fourbe : vous jouez désormais un double jeu. Apprenez à sourire, puis à rire, de tout et n’importe quoi. Montrez-vous léger, frivole, délibérément idiot. Arrangez-vous pour que vos relations vous surnomment le « boute-en-train », le « rigolo de service », « ce bon vieux clown ». Il vous faut en effet gagner vos grades de bouffon incontrôlable, de fou régicide, de cinglé cinglant et singulier. Pour vous, la vie est une partie de laser-quest, une blague absurde, inconséquente.
Pour cela vous n’avez d’autre choix que de cultiver un look original et coloré. Sans doute éprouverez-vous en permanence l’impression d’être déguisé, mais ne vous déguisez pas pour autant. Soyez cool, branché, tendance, trendy, fêtard, artiste. Attention, artiste bohème, méconnu, reconnu, tout ce que vous voulez, mais pas maudit. Evitez, par pitié, de vous balader tout de noir vêtu, des cheveux longs et gras vous recouvrant les yeux et des piercings plein la gueule. Il s’agit en effet de n’effrayer personne, pas même vos parents, s’il vous en reste – et si c’est le cas, je vous plains.
Suivant la même idée, valorisez des loisirs communicatifs et portés sur la jovialité. Jetez vos disques de Dead Can Dance, Bauhaus et Radiohead. Arrachez vos posters de Ian Curtis et Kurt Cobain, prenez au besoin des cours de salsa. Ecoutez de la dance, du rock festif, Tryo, « J’veux du soleil » en boucle et n’importe quelle bouse dépourvue d’accords mineurs et de violons larmoyants. Pratiquez des sports d’équipe, organisez des soirées foot avec vos collègues et amis, et ne soyez jamais le premier à vomir vos cinquante bières parce que cette société voue un véritable culte aux champions de la picole. Multipliez les occasions de jouer les gais lurons. Faites-vous inviter à chaque fête et débrouillez-vous toujours pour briller aux moments clefs : dégoupillez le champagne puis léchez les flaques après coup. Si, dans la manœuvre, vous avez éclaboussé une convive, faites mine de la lécher dans l’élan. Ha ha ha. Tout le monde rira de la bonne blague et vous aurez marqué de votre empreinte indélébile leurs esprits innocents.
Attention. Evitez de perpétrer la première connerie qui viendrait à vous passer par la tête. De façon générale, vous vous appliquerez à bannir de votre comportement – certes imprévisible, certes déluré – tout indice susceptible de révéler vos penchants pour l’autodestruction. Il n’est donc pas recommandé d’afficher la moindre déviance sociale et / ou psychologique, quelle qu’elle soit : la toxicomanie, la violence gratuite, le vandalisme, l’extrémisme politique ou religieux, le sadomasochisme et j’en passe sont à proscrire. Dans votre immense mansuétude, vous tolérez ces phénomènes chez votre entourage sans jamais porter jugement aucun auprès des intéressés et allez même jusqu’à les défendre dans leur dos lorsqu’un tiers vient à les critiquer. En deux mots, vous êtes juste et bon.
Dans votre rapport à l’autre, n’hésitez pas à renvoyer l’image d’un être moralement parfait. Vous savez vous montrer tolérant, vous l’avez d’ailleurs démontré au paragraphe précédent. Sachez également faire preuve de sensibilité. Vous savez écouter, vos conseils sont précieux. Vous êtes compréhensif et délicat, mais jamais fleur bleue. Attentif et bon enfant, mais nullement mièvre. Vous ne doutez de rien mais n’écrasez personne de vos certitudes. Vous flirtez à l’occasion avec l’idéalisme mais demeurez lucide. Votre sens des réalités ne vous incite pas pour autant à mépriser les rêveurs, que vous encensez volontiers, non sans vous prémunir d’une distance salutaire.
Evidemment, vous vous êtes constitué un bagage culturel irréprochable et profond que vous savez finement mettre à profit au détour d’une conversation sans jamais vous autoriser à briller de mille feux. Vos interlocuteurs vous en sont gré et l’on ne peut que louer votre verve humblement érudite. On encense votre esprit critique et vos analyses pertinentes. On admire la désinvolture avec laquelle vous reconnaissez vos erreurs, que vous assumez généreusement, sans arrière-pensée. Montrez qu’au fond vous vous en foutez. L’on se souviendra de cette complexité désinvolte.
Appliquez tout ce qui précède au monde du travail. Serviable mais pas bonne poire, ferme sans être hostile, confiant et sûr de vous sans aucune condescendance. Si vous n’avez pas de boulot, inventez-vous en un et faites semblant. A ce stade, vous avez acquis et développé un talent d’acteur suffisant à alimenter les conversations du soir avec les divers aléas d’une profession fictive. Contentez-vous ensuite d’accumuler les dettes et de vous suicider plus vite.
Auprès de votre conjoint, soyez le compagnon idéal, le prince charmant des contes de fée, attentif et fidèle. Mariez-vous. Un beau mariage, des noces exemplaires, le plus beau jour de la vie de votre partenaire. Si vous n’avez pas d’enfant, ne faites pas de chichi : reproduisez-vous. Quant à vos gniards, chérissez-les, gâtez-les, pourrissez-les de votre amour sans limite totalement inventé. Démerdez-vous pour que votre disparition révèle un gouffre béant dans le cœur de chaque membre de votre famille. Votre vieille maman doit regretter à jamais le coup de fil dont vous la gratifiiez chaque soir aux alentours de 20 heures. Votre rejeton de six ans pleurera à Noël lorsqu’il s’apercevra que ce n’est pas vous sous le déguisement du vieux Santa.

AVERTISSEMENT :
N’oubliez jamais, ô grand jamais, que sous cette apparence de bon vivant bien dans vos chaussettes, vous restez et demeurez une merde infâme et putride. Vous n’avez plus goût à la vie et réciproquement. Ne vous laissez pas leurrer et rappelez-vous que vous jouez un jeu. Ce type parfait, joyeux, amical, fichtre, ce n’est pas vous. Si vous vous mettez à aimer la vie, vous n’aurez plus envie de vous suicider et vous aurez fait tout ça pour rien. Soyez fort. De la volonté, et ne perdez jamais de vue votre objectif primal : crever et faire pleurer.

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #27 le: novembre 01, 2008, 14:55:19 »
Je l'ai trouvé mieux que les autres, j'ai moins senti la volonté de faire rigoler à tout prix.
L'amour c'est fort, l'envie de chier c'est pire...

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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #28 le: décembre 28, 2008, 19:11:48 »
In Memoriam Eric Arthur Blair.
Posté le 28/12/2008
par Mill

    Il s'était toujours senti double, jumelé à son envers ou son endroit. La terminologie exacte l'avait fuit à jamais lorsque une première lueur de conscience lui avait transmis celle d'un autre, à la fois si proche et si dissemblable que toute interrogation semblait vaine. Il avait fait ses premiers pas au-delà des vagues, en un jardin où ceux qui avaient peau brune se courbaient à son passage.

    L'Angleterre, tantôt d'un vert tangent, tantôt d'un gris taché de bruine, l'avait accueilli ensuite à la manière d'un homme du peuple un peu rude, pis que bourru, ancré dans ses contradictions et son folklore en extinction. L'expérience l'avait marqué. Lui ne se sentait pas à l'aise dans cette île tiède et close, mais l'autre lui recommandait patience.
    Il se rappelait humiliations et vexations de toutes sortes, qu'il attribuait, impitoyable, à son physique à part. Au fond de lui, pourtant, il savait sans savoir que l'autre ne le lâchait pas d'un pouce, qu'il l'avait, sans remords, mené à la torture, à l'automutilation morale sous le douteux prétexte de conventions à respecter, de barrières sociales à préserver, le tout dans l'expectative. Un jour viendrait, semblait lui susurrer cette voix interne, où il pulvériserait serrures et franchirait frontières. Pour l'heure, qu'il se soumette aux étiquettes, il n'en serait guère brisé.
    A dix-neuf ans, le revers de son être desserra soudain son emprise, et profitant de sa chance, il s'enfuit au bout du monde, à la recherche de son île, n'y rencontrant hélas que le reflet souillé de ses souvenirs d'enfant. Il ne souffrit qu'indirectement de l'absence de pression. Son esprit était dégagé et paraissait lui appartenir. Il ne tarda guère à percer l'illusion de cette liberté depuis peu acquise. L'autre n'était plus en lui, mais il le croisait chaque jour, sous une forme ou une autre, dans les rues sans trottoir des villes birmanes. La couleur même de son uniforme de la police impériale ne lui rappelait que trop la force tranquille de son jumeau. Fatigué de Kipling et de ses promesses non tenues d'aventure, de rédemption et de justice, il revint parmi les siens après cinq ans d'inexistence.
    Il ne reconnut qu'à grand peine l'Angleterre et ses implications. L'autre avait récupéré sa position initiale et lui soufflait continuellement des paroles insensées à l'oreille. Et tout autour de lui, le monde évoluait, changeant, ne lui offrant jamais qu'une place d'observateur occasionnel, commentateur public qui ne commentait que lui-même, ou peut-être aussi sa part d'ombre. Il s'aperçut toutefois que le métier d'écrivain ne s'improvise pas, qu'il lui manquait une matière, un insondable fond culturel d'où il pourrait extraire anecdotes, messages et conclusions.
    Divers séjours dans la Cour des miracles lui enseignèrent un autre type de souffrance, et sa quête de douleur ne put prendre fin qu'à sa trentième année. Il n'avait pu tuer l'autre en jouant les vagabonds, n'avait convaincu personne, et surtout pas lui-même, de son caractère bohème. Ayant échoué à sublimer son double pour le refouler ensuite de manière définitive, il résolut de l'exploiter, de lui confier sa vie et son identité.
    Le nom de l'autre, accolé aux titres de ses romans et articles successifs, ne lui apporta ni la gloire ni l'argent. S'il avait passé un pacte, consciemment involontaire, avec ses démons personnels, celui-ci ne valait rien. De plus en plus vide de ses propres émotions, il connut néanmoins l'amour, d'une cause, puis d'une femme, et tous deux, entremêlés, l'avaient suivi en Espagne, dans les rangs farfelus d'une unité sans armes, sur le Front républicain. Car l'autre, celui dont il portait le nom, s'était incarné en une masse d'hommes mécaniques, une armée d'épaules carrées, de mentons droits et fermes, de regards sans pupilles et sans la moindre étincelle. L'idée l'avait même traversé qu'il pourrait ainsi affaiblir son siamois. Mais l'histoire fut ce qu'elle fut et le général ibère, apprenti dictateur l'emporta haut la main.
    Il revint, faussement héroïque, le corps meurtri, mais transformé. Si elle l'habitait encore, sa moitié ténébreuse, il s'en accommodait. Mais la lutte était engagée. Il étudia l'influence de son double à travers le monde, s'épiant pour mieux l'observer, apprenant de lui-même ce qu'il ignorait des hommes, se racontant à l'envi pour appréhender ses semblables. Il noircit des dizaines de pages à accoucher de théories sociales ne décrivant que ses fantasmes, épuisa des litres d'encre à étudier les fonctions les plus implicites du langage, de la politique et de l'histoire, s'attachant à contredire sans relâche chacune des avancées de l'autre.
    Ce dernier n'était pas demeuré inactif. De nombreuses populations l'avaient accueilli en leur sein, l'embrassant avec la fougue d'une tornade écervelée, et la guerre avait succédé à la paix, puis la paix à la guerre. Et entre temps, des chairs avaient brûlé, des os avaient été broyés, des esprits déchiquetés.
    Il avait riposté en immortalisant cette image de grillages et de corps démembrés sous celle, métaphorique, d'un visage piétiné à jamais par une botte militaire. Il avait démasqué son double, lui avait offert un nom, une enveloppe charnelle, et venait de lui parapher un mythe. L'on s'étonna de ce grand frère, paternaliste et fictif, dont le regard n'épargne personne, mais les individus concernés - qui n'en formaient qu'un seul - savaient à quoi s'en tenir. Lorsque la mort lui clôt les paupières, il entrevit son jumeau qui le regardait, narquois. Il avait demandé à être enterré sous son nom de baptême, abandonnant son pseudonyme au bon soin des libraires, éditeurs et critiques. Il mourut triste et en colère, furieux de comprendre qu'il avait rendu l'autre immortel.
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Re : Tri sélectif : Mill
« Réponse #29 le: janvier 06, 2009, 19:38:02 »
Le narrateur isolé
Posté le 05/01/2009
par Mill

    Il avait décidé qu’il n’écrirait plus jamais. Fini, le glissement feutré de la petite bille imprégnée d’encre noire sur les pages à carreaux de ses cahiers d’écolier. Terminées, les séances de jonglage syntaxique jusqu’au petit matin. Achevée, l’insomnie du plumitif. Il composerait dans sa tête, à l’abri des regards et des compromis. Son œuvre n’existerait que pour lui. Sa mort le tuerait deux fois. Il en avait conscience mais en acceptait l’idée avec le sentiment affirmé de contribuer ainsi au maintien de cet équilibre cosmique qu’il était seul à percevoir.

    Il savait qu’il était capable de réciter l’équivalent de centaines de pages glanées dans des romans, des contes et des poèmes, des chapitres entiers sans la moindre erreur de ponctuation. Il s’agissait toutefois de volumes à jamais inédits, dont l’existence immatérielle ne tenait qu’à l’inconcevable fiabilité de sa mémoire. Personne ne lirait jamais ses nouvelles fantastiques, ses enquêtes policières, ces courts textes d’inspiration surréaliste. Ses absurdités littéraires, qu’il appelait nonchalamment ses « œuvrettes » dans le secret de son âme, ne connaîtraient jamais l’examen attentif, et peut-être enfiévré, d’une paire de pupilles.
    Lorsqu’on l’interrogeait à ce sujet, il répondait que l’écriture constituait à la fois un leurre et une prison. « Elle nous transporte, disait-il volontiers, et prétend nous élever. En cela, elle nous promet, avec la superbe que lui procure son irréfutable savoir-faire, de nous affranchir de nous-mêmes. De nos limites, celles imposées par la science, physique, chimie, biologie, cette nature à laquelle nous devons nous soumettre. Mais aussi les bornes que nous nous infligeons. Plus ou moins consciemment. Par atavisme ou par éducation, presque par instinct ou, au contraire, par convention. »
    « Quand j’écris, je réduis les voies de mon esprit à une autoroute rectiligne sur terrain plat. J’égare le sel de mon histoire et me contente d’un squelette sans chair. Où sont passés les subtilités, les nuances, les détails à foison qui pimentaient le récit dans sa version d’origine ? Ecrire nuit à l’imagination là où la lecture tendrait à la développer. Ce paradoxe m’insupporte mais je dois composer avec ça. »
    Et de répéter qu’il n’écrirait plus.
    On s’inquiétait alors de savoir s’il se souvenait de ce qu’il produisait en pensée et cette inquiétude sonnait faux. On l’agressait mollement sur le ton de la conversation polie. Il mentait systématiquement, souhaitant éviter à tout prix d’avoir à réciter ne fût-ce qu’une simple phrase.
    Un jour que l’agression s’était durcie sous les effets conjugués de l’alcool et du mépris de la plupart de ses interlocuteurs, il déclara que l’artiste maudit leur pissait au fondement et qu’il était prêt à leur « lire » une saga de sept cents pages dans la seconde qui suivait s’ils insistaient.
    Ils insistèrent et il s’exécuta. Patiemment et suivant un rythme enlevé, constant, prenant une gorgée d’eau, de bière ou de vodka à la fin de chaque sous-chapitre. Il réclama cinq minutes de pause entre les chapitres dix et onze, afin de soulager quelque besoin corporel, et reprit son récit une nouvelle bouteille à la main. Il sentait qu’il n’avait plus le droit de s’interrompre, qu’on lui avait fait une fleur, ça va pour cette fois… Il devrait ménager sa vessie le temps des cinquante chapitres suivants. A moins qu’un des membres de l’assistance n’exigeât à son tour un entracte de même nature, il était clair qu’il allait passer les deux prochains jours vissé à ce fauteuil en mousse.
    Au matin du deuxième jour, il se leva brusquement au milieu d’une longue phrase descriptive, et, s’il n’interrompit guère son récit, on ne pouvait nier que le demi-soupir qu’implique une virgule s’était attardé plus que de raison. Des sourcils furent froncés, des regards se figèrent, changèrent d’expression. Malgré sa voix de plus en plus éraillée et sa langue pâteuse qui semblait vouloir embrasser son palais à chaque syllabe prononcée, il continuait de narrer, infatigable. Et tandis qu’il relatait, tandis que sa bouche formait des mots que lui dictait une zone bien précise de son cerveau, le reste de son esprit comprenait qu’il n’existait plus en tant qu’être humain à leurs yeux fascinés. L’homme s’était effacé devant sa fonction. On ouvre un livre, on le referme, on le prête, on l’offre, on le déchire, on le jette.
    De plus en plus mal à l’aise, il commença à se dandiner sur ses jambes, d’abord calmement, puis de façon arythmique, comme traversé de spasmes irréguliers. Sa vessie le brûlait. Il se tordait le bas-ventre en grimaçant de douleur, prenant un soin morbide à ne pas altérer d’un iota le fil de son récit et la cadence de son monologue.
    Fatalement, il mouilla son pantalon. Personne n’y prêta attention. Personne.
    Les heures s’étiraient. Doucement, avec l’allure indolente du piéton provocateur qui fait mine de marcher d’autant moins vite que le chauffeur semble pressé. Le temps s’attardait, le narguait. Ses auditeurs lui apparaissaient désormais comme mués en statues de sel et de granite, ne conservant de l’humain que les traits et la morphologie. Pour ce qu’il en savait, il aurait pu s’agir de carcasses de dieux morts. Leurs yeux perdus, parfois exaltés, toujours lointains, lui rappelaient les billes de verre qui constituent le regard des requins. Il ne se voyait pas en eux. Ils ne reflétaient rien.
    Il éprouva une satisfaction purement pataphysique lorsqu’il s’imagina partageant le point de vie intrigué du chat qui observe son maître plongé dans un ouvrage, et se traita d’idiot. Il se rappela qu’il avait peur. L’urine avait séché sur son pantalon de velours, mais la sensation de l’étoffe chaudement imbibée sur la peau de ses cuisses l’avait marqué au fer rouge. Sa bouteille était vide et il n’osait plus demander à boire. Quelque chose dans l’atmosphère lui signifiait très clairement que sortir du récit à ce stade de l’histoire pourrait s’avérer néfaste. Il ne s’aperçut pas qu’il pleurait, tout à son labeur de vaillant narrateur. De fait, nul ne remarqua ses larmes. Il en pleura davantage, incapable, cette fois, de réprimer les sanglots qui menaçaient de s’insérer dangereusement dans le texte de sa voix off.
    Le récit fut achevé le troisième jour, un peu avant vingt-deux heures. Sa voix se brisa sur le point final, mais cette faiblesse lui fut pardonnée. Il s’étira bruyamment, livrant un long râle enroué à la cantonade, mais telle ne fut pas la raison. Pas plus que lorsqu’il esquissa quelques pas malhabiles pour réveiller ses membres, sévèrement ankylosés, puis qu’il but au goulot d’une bouteille trop chaude et trop vide.
    Il reçut un cendrier sur la tempe. On entendit distinctement l’os du crâne se fendre. Il bascula, inconscient, déjà presque mort, s’écrasa sur le sol comme une pyramide s’affaissant sur elle-même, mourut sous les coups silencieux de ses lecteurs trahis.
    On n’aimait pas la fin.
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