L'autre fois, à un mariage, une vieille personne a été victime d'un malaise vagal, ce qui est le terme scientifique pour "tomber dans les pommes sans aucun respect pour soi-même". Cette vieille personne a tilté dans son coin, pour ainsi dire. Elle était tellement seule dans son coin qu'on s'est demandé par la suite qui l'avait invitée et pourquoi (s'agissait-il de respecter les quotas de vieilles personnes ou... Bref). Comme toujours, en cas d'évènement non planifié remettant en question l'étiquette, il y a eu un instant de flottement. Les convives ont donc regardé cette vioque partir en sucette, adopter un comportement asynchrone et déambulatoire, sans que la constatation du péril imminent (la chute, le face-plant ma gueule) de cette octogénaire ne suscite la moindre réaction notoire.
Moi, je me tenais pas spécialement prêt mais j'avais passé mon "diplôme" de secouriste cinq ans plus tôt au cours d'une période assez sinistre de mon existence où je ne croyais plus en rien et relisait Houellebecq, mais à part ça, j'étais comme tout le monde, je picolais sans sortir du lot, et la vieille personne, au hasard de ses rebondissements semi-conscients, a fini par se vautrer sur moi, la pute, alors que je déteste me retrouver au centre de l'attention.
Une fois la victime éteinte (et toute molle entre mes bras) (bras atrophiés par un renouvellement toujours remis à plus tard de mon abonnement au club d'escalade), je fus bien obligé d'assumer mon statut de nageur-sauveteur et de porter assistance à cette dernière, qui ne risquait pas de clamser selon mon premier diagnostic mais menaçait tout de même de me faire passer pour un dilettante assez dégueulasse et surtout imbaisable si je me contentais de la laisser là en faisant mine de reconnaitre quelqu'un de plus important parmi la foule.
J'ai vite renoncé à la gifler parce que bon, c'est cinématographique mais dans la vraie vie, même un gosse tu le gifles plus vite fait, à l'ancienne, c'est comme la corrida et la chasse au faisan. Alors, je me suis souvenu qu'il convenait avant tout d'installer la personne dans une position d'où elle ne risquait pas de chuter mortellement, en se fracassant le crane. Alors je l'ai étendue au sol, en mode pépère, en mode catin pour ainsi dire.
Et puis tout m'est revenu en bloc : je lui ai serré la main et j'ai dit, bien fort "Madame ! Vous m'entendez ? Est-ce que vous entendez ma voix, Madame. Hochez la tête si vous m'entendez" et j'ai ajouté "Madame. Saviez-vous qu'Hitler était arrivé au pouvoir par la voie des urnes ?", juste pour faire le malin, en mode sauveteur érudit.
Eh bien, believe it or not motherfuckers, la vieille dame nous est revenue. Elle a ouvert ce qui lui restait en termes d'yeux, et m'a souri avec ce qui lui restait en qualité de dents.
Alors, à ce moment là, et seulement une fois que la vieille catin se fut trouvée moins mal grâce à mon intervention complètement foutraque, quelques individualités ont commencé à surgir de la foule, individualités désireuses à leur tour de prendre part à l'évènement : une connasse me conseilla assez brutalement d'installer cette pauvre dame sur une chaise, enfin, car il se trouve qu'elle était infirmière en chef, quelque part, donc elle connaissait un peu, hein, si ça me dérangeait pas trop. Puis un homme est apparu, qui se revendiquait vétérinaire, et m'intima de bien vouloir le laisser prendre le relai car je m'y prenais comme un manche avec cette vieille bourrique. Puis encore une autre connasse, puis encore un autre type, et ainsi de suite, jusqu'à ce que tous ceux qui souhaitaient s'inscrire dans le camp de ceux qui sauvent aient eu l'occasion de se fabriquer un rôle dans l'histoire de la vieille femme au malaise vagal, que l'on raconterait encore, au prochain mariage.
De mon côté, ne tenant pas spécialement à ce qu'on m'associe à la chute des vieux en général, je fis mine de reconnaitre quelqu'un parmi la foule et m'en allai rouler une clope un peu plus loin. N'empêche, je fus très vexé.
Tout ça pour dire que, comme souvent, l'unanimité vis à vis du beau geste finit toujours par s'alimenter d'elle même, une fois le délai de stupeur consommé et l'issue du conflit résolue.
Moi, Muscadet, avant que quelqu'un lui foute le nez dans son caca, je trouvais que c'était une vieille bête un peu couillonne, assez coriace et finalement attachante, à cause surtout de l'envie qui ne vous quittait jamais vraiment de la bourrer de coups de pieds. Et ça s'arrêtait là.
Maintenant que ledit Muscadet a eu l'occasion d'affirmer bien haut et bien fort les idées que l'on sait, maintenant que tout le monde est sorti du bois pour dire que, non, mais là non, je trouve qu'on a rien gagné de spécial.
Si l'esprit de la zone vous manquait tant, pourquoi ne pas l'avoir banni sans préavis en mode Yolo (pour le plaisir de le voir revenir encore plus con en mode troll) ou organisé un appel à texte sur le thème "St Con d'urgence. Brulons Muscadet". Ç’aurait été plus bandant que le long article documenté de Dourak, que j'ai tout de même pris la peine de lire dans son intégralité, comme on peut être fasciné par une œuvre d'art moderne.