LA ZONE -

Merdozoïque

Le 19/06/2025
par Paul Sunderland
[illustration]
Il pisse, chie là où il se trouve, dès que l’envie le prend. Regarde au loin, lève la tête. Dans toutes les directions, de maigres zones herbeuses alternent avec de la caillasse. En hauteur, la chose à piques lancées, qui bouge lentement, peut faire mal si on la regarde trop ; elle envoie du chaud. Elle diffère de l'autre chose qui brille aussi, mais moins, quand tout a changé de couleur. Elle brille, montre des pointes, parfois n'en montre pas mais ne reste pas en place non plus. Là, maintenant, ce n'est que piqûres, alors il faut plutôt finir de chier.

Il se lève, avance, seul. Va finir par rejoindre la flaque d'eau dégueulasse autour de laquelle se groupent les autres. Une éructation puissante sort de lui, BRRRÜÜÜ, il s'annonce ainsi, partout, prévient ses proies qu'il vient les manger, attire à lui les femelles en chaleur, s'il s'en trouve. L'espace résonne plus ou moins mais tout ce qui vit a l'oreille affûtée, de toute façon. Tout ce qui vit et n'est pas trop stupide.

Du liquide salé lui coule dessus, sur tout le corps, se prend dans ses poils, sauf que ces termes, « salé », « sel » n'existent pas. En revanche, la sensation le satisfait : ça dégage quelque chose de lui, ça lui permet davantage d'accouplements (« accouplement » ne signifie rien non plus). Ça vient de la chose en haut, la chose du chaud. Il est heureux, il aime la chose qui lui donne plus d'impact. De temps en temps, la chose se laisse voir tout en étant un peu cachée : comme la chose de la nuit, elle n'a pas de pointes malgré ses piques. Elle n'est pas comme les morceaux de sol détachés du sol mais durs et posés sur le sol. La chose du chaud est bizarre, quand même. Les bouts de sol, eux, peuvent être lancés et tuer.
Bon, assez de mystères. L'espèce de plan d'eau avec plein de petites choses irritantes qui volent autour. On ne voit pas le fond, mais ça ne doit pas être très profond car il y en a un qui pisse au milieu.

On le regarde venir, sans joie. Certains ne prêtent pas attention, ils s'accouplent. BRRRÜÜÜ. Eh, c'est moi, dit-il, et s'approche d'une femelle pour la saillir. L'autre pousse un rugissement, lui décoche un coup de pied dans les glaouis. Brrrüüü se plie en deux sous le choc, crache quelque chose en prononçant euargl. Se relève, met une torgnole à la réticente. Puis se sent brutalement tiré en arrière. Chute à nouveau, se retourne et prend un pied dans la gueule, décidément pas le sien. Le pied se multiplie et va chercher son ventre, ses côtes, le visage à nouveau.
Forcément, c'est le Gros. Le Maître des Femelles, avec son Bâton de Puissance. On en trouve toujours un quand les autres se regroupent. Ça doit être une de ses pompeuses qu'il a voulu toucher. Le Gros continue de tabasser, avec les pieds et les mains. Le Bâton est posé au sol, pour l'instant. Ah, si seulement Brrrüüü pouvait, mais il se contente de pisser le sang. Le Gros gueule RÔ-HARR et se frappe la poitrine. Personne ne moufte, sauf les accouplés, très concentrés sur eux-mêmes.

Rô-Harr braille à la ronde, va marcher dans l'eau, chie un coup. (C'est vraiment une super flaque.) Revient au sec, chope par la cheveux sa femelle outragée ; nul doute qu'il va derechef se livrer à une manifestation de son commandement, mais sur elle seule, cette fois.
Sauf qu'entretemps, Brrrüüü s'est relevé lui aussi et en a profité en douce pour s'emparer du Bâton de Puissance resté par terre. Rô-Harr, très motivé à la vue de son amoureuse, ne voit rien venir. Inversons les rôles. (Les quoi??) Brrrüüü lui assène un coup démentiel sur le crâne, l'autre se retourne mollement et là, Brrrüüü lui enfonce le bâton de puissance dans la bouche jusqu'à ce que quelques chose, quelque part, fasse un bruit de craquement. Rô-Harr, les yeux exorbités, tombe et ne bougera plus.

Certes, à présent, tout le monde se fige, y compris les couples romantiques. Rô-Harr a un peu l'air con, avec sa barre qui lui éclate la lippe et disparaît assez loin en lui. Le corps allongé sur le dos, ça lui fait un curieux Bâton de Puissance bien dressé à la verticale, c'est sûr.

Brrrüüü le lui arrache. Des crocs partent avec de la salive, du sang, des fluides secrets. Les autres reculent. Brrrüüü brandit l'objet puis se met à le regarder plus attentivement. C'est dur, ça ne plie pas, c'est un peu rond comme un bras. La couleur est bizarre, différente du terrain local. C'est un peu chaud et froid en même temps. Oui, bizarre. Et puis il y a un endroit du bâton avec des sortes de griffures. Ce sont des marques curieuses, groupées entre elles. Est-ce que c'est Rô-Harr qui les a faites ? Brrrüüü essaie aussi d'en faire mais il n'y parvient pas. Rô-Harr a dû posséder beaucoup de force dans les doigts, si elles viennent bien de lui. Ou alors, un autre Gros ? Il y a eu Rô-Harr et il y a eu d'autres Gros, quand il n'y avait pas Rô-Harr ?

Brrrüüü plisse les yeux devant les supposées entailles de Gros. Elles présentent dans leurs formes, leurs courbes, la séquence suivante (la quoi??) : ARCELORMITTAL INOXYDABLE

Bon, Brrrüüü commence vaguement à s'emmerder. Il lâche le Bâton de Puissance dont il n'a finalement pas grand chose à foutre. Le truc, même au sol, effraie tout le monde. Brrrüüü va au bord de l'eau, boit un coup. Il ne lappe pas mais se sert d'une main. Ce sont les autres qui lappent. Puis il s'en va tranquillement, sans se retourner, sans savoir si le Bâton sera désormais le privilège d'un autre Gros.

Ce mec est vraiment sans gêne.

= commentaires =

Lapinchien

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Pute : 16
à mort
    le 18/06/2025 à 20:57:51
Bon, Ok. ça n'a rien à voir avec Koh Lanta en vérité. Il n'y a pas l'épreuve des poteaux.
Georges Viesome

Pute : 1
    le 18/06/2025 à 21:38:49
Aah, il est chouette ce texte. J'ai été pris dedans et l'ai lu d'une traite. Les seuls bémols pour moi sont certains choix de vocabulaire/tournures (le mot glaoui par exemple qui transforme le primitif en vulgaire, un peu surfait) et la phrase de fin, qui pour moi casse l'atmosphère. J'aurais aimé encore plus primitif, quelque part. Dernier point, le truc du sel, j'ai pas compris. En revanche, les "c'est quoi???" et autres, c'est cool je trouve, même si ça peut être paradoxal avec ce que je dis avant. Enfin bref, merci pour le texte, super ambiance
Lindsay S

Pute : 10
    le 18/06/2025 à 21:49:11
Je ne suis pas convaincue par le registre de langage, d'un côté un truc franchement naze sous prétexte de primitivité (ça existe ce mot?) et de l'autre une écriture recherchée, précise et riche en vocabulaire fort savant.
Qu'est ce qui justifie ou balise les changements de registres?
Quant à la chute, bon... C'est moins solide que l'acier. Une inspiration "planète des singes"?
Cuddle

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Pute : 1
    le 19/06/2025 à 10:26:36
Boarf, c'était marrant.
Lapinchien

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Pute : 16
à mort
    le 19/06/2025 à 11:17:46
ça m'a plutôt fait penser à RRrrrrrrrrrrrrr! le film avec les Robins des bois.
    le 19/06/2025 à 15:40:57
Ô célestes blaireaux, sachez qu’en fait de primitivisme, il s’agit d’un texte post-apocalyptique. La mention d’ArcelorMittal vous le montre. Certaines questions devraient donc surgir dans vos cortex.
Lapinchien

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Pute : 16
à mort
    le 19/06/2025 à 15:44:57
La seule question qui me vient à l'esprit : mais où est Moundir ?
    le 19/06/2025 à 15:50:33
sel = sueur
Lapinchien

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Pute : 16
à mort
    le 19/06/2025 à 15:52:02
Bon sang, mais cette occasion de placer un DTC,s était vraiment immanquable !

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