Portrait 1 - Le sprinter sans chrono
Je reçois ce monsieur qui court tout le temps. Même assis, il gigote comme un ado qui retient un pet. Il vient de la restauration : l’école du stress permanent, du “vite-vite” jusqu’à pisser en 12 secondes montre en main. Les yeux rincés de café et de fin de service, il carbure à l’urgence.
Sauf pour une chose : retrouver un boulot. Là, bizarrement, il se traîne comme un chariot de supermarché avec une roue tordue. Pas qu’il manque d’opportunités, hein — non, c’est juste qu’il n’a pas le temps. Et c’est là que c’est délicieux : quand on est au chômage, on est… débordé. C’est pas de l’inertie, c’est de l’art contemporain.
Portrait 2 - La wedding planner de compétition
Elle vient du marketing, et ça se voit : tout chez elle est stratégie. Reconvertie dans l’événementiel, elle l’exhibe comme un collier Swarovski en plastique. Tatouages minimalistes, probablement sélectionnés après un marathon Pinterest sous Prozac. Blondeur calibrée au millimètre — chimie maîtrisée —, tenues élégantes mais low-cost : du Zara qui se prend pour du Jacquemus, avec la conviction d’un parfum acheté au marché et vendu comme “inspiration Dior”.
Tout est pensé, oui, mais pas bêtement. Elle a du flair. Du sens. Sens du style, sens du timing, sens du business. Et quand je lui demande le budget moyen d’un mariage dans son univers ? Elle me lâche ça, comme une serveuse balance une assiette de moules avariées : 70 000 euros. Le prix d’un rein, plus la greffe d’ego offerte.
Portrait 3 - Le commercial mielleux
Il est adorable. Poli. Propret. On dirait qu’il s’est fait repasser la tronche au fer vapeur. Même quand ça tangue sévère, il te raconte ses emmerdes avec un sourire Colgate, comme si la misère se vendait mieux bien emballée.
Cinquante ans, plus de femme, des enfants en version brouillon, et désormais plus de boulot. Mais attention : c’est une chance !
Son optimisme est inoxydable. Presque inquiétant. Une façade de commercial bien rôdé, ou juste un masque collé à la Super Glue ? Parce que quand il a fallu se mettre à chercher du taf — comprendre : enfin se mater dans la glace — il a découvert qu’il n’était pas au centre du monde. Mais pas grave : il a gardé le sourire. Ce genre de sourire figé qu’on garde aussi dans les enterrements, quand on se demande si c’est le défunt ou nous qui sommes en train de pourrir.
Portrait 13 - Le cariste nerveux
À l’écouter, c’est simple : il est le meilleur. Le roi du chariot, le lion du dépôt, le Neymar du transpalette. Les recruteurs ? Ils se battent pour l’avoir, assure-t-il, l’air modeste comme un dictateur en campagne.
“Moi, madame, je suis sérieux.”
Tellement sérieux qu’il oublie ses rendez-vous. 24 heures de retard, mais il t’explique la ponctualité comme s’il avait inventé la pointeuse et le contrôle d’accès.
Il ne bosse qu’en intérim. Par choix, dit-il. Parce qu’il est libre. Comme Max.
Max qui ? Mad Max, évidemment. Certains l’ont vu, paraît-il, flotter au-dessus de la zone industrielle, entre deux palettes et un panier de crabes, porté par un nuage de Red Bull éventé et de Marlboro mal roulées.
Il est fier, et il a raison : c’est tout ce qu’il a. Un bac pro arraché en boitant, aucune branche assez solide pour supporter son poids, mais des certitudes en béton armé sur ses talents de pilote de palettes.
Il parle fort, il rit fort, il vit fort. Il mise tout sur l’attitude, parce que le reste… ben, le reste, c’est un chantier abandonné.
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= commentaires =
Plus je lis les Portraits de Lindsay S et plus je l'imagine comme le Dexter Morgan de la réinsertion sauf qu'elle ne nous narre pas les aventures de son passager noir. Bientôt, quelqu'un draguera le canal Saint Martin et la légende du boucher de Bay Harbor sur Seine commencera.
Incisif et lapidaire