LA ZONE -

Sauter ou crever

Le 24/12/2025
par Lindsay S
[illustration]
Lindsay c’est une salope.
Tout le monde le dit. Même Nico. Et Nico, il s’y connaît : il a déjà foutu sa langue dans la bouche de Sophie, celle de 5eB. Il dit qu'il lui a mis la main à la chatte aussi et que ça sentait la crème Nivéa et la pisse de chat, mais bon, on le croit pas trop.

Lindsay, c’est une autre catégorie. Elle se la pète avec ses airs de princesse intouchable.
Elle marche comme si son cul touchait pas le bitume. Comme si elle allait s’en sortir, elle.
Elle cause bien. Elle répond aux profs. Elle a des phrases. Des vraies.
Et surtout, elle nous calcule pas. Même pas un regard. Comme si on existait pas. Alors que bon, Lindsay, c'est juste la fille d'un alcoolo !

Alors on dit qu’elle suce. Le prof, le CPE, son père, n’importe qui. Parce qu’on supporte pas qu’elle nous regarde comme de la merde.
Et comme on est trop fiers pour dire qu’on se sent minables, on fait ce qu’on sait faire : on salit.

Nico dit que c’est les meufs qui parlent pas qui baisent le mieux.
Il dit qu’elle mérite de redescendre. Qu’on la fasse pleurer. Qu’on lui montre ce que c’est d’être une fille normale.
Et moi, j’dis rien. J’répète. J’fais comme si j’étais d’accord.
Parce que si tu rigoles pas, t’existes plus.

Alors ouais. On la pousse. On la cogne dans le bus. On tape dans son sac.
On gueule "pute", "chienne", "bouffe-bites", et ça fait marrer tout le monde.
Même moi. Enfin… j’crois.

Elle se défend pas. Elle encaisse. Mais dans ses yeux, putain…
On dirait qu’elle nous emmerde encore plus qu’on l’emmerde, et ça, c’est insupportable.
Elle nous crache à la gueule avec ses yeux. Sans mots.
Alors on continue.
Parce qu’on sait pas faire autre chose.

Et puis, à force de la mater, de l’insulter, d’en parler, on a eu envie de voir.
De savoir ce qu’elle cache sous ses fringues informes, ses pulls moches, ses pantalons de daronne.
Peut-être qu’elle est bien foutue, la Lindsay. Peut-être qu’on passe à côté d’une bombe.
Et ça, c’est pas tolérable.

Alors un soir, on l’a suivie.
Pas trop près. Pas trop vite. Personne avait envie, pas vraiment.
Mais on l’avait dit.
Et si on y allait pas, elle aurait gagné. Fallait pas qu’elle gagne. Jamais.

Nico l’a bloquée dans un coin, derrière les garages.
Julien lui a arraché son sac, et l’a balancé plus loin, pour qu’elle le voie, qu’elle pense pas à courir.
Nous, on l’entourait.
On gueulait. “Chienne !” “Petite salope !” “T’as pas honte de pomper ton prof comme ta mère ?”

Elle se débattait. Pas trop fort. Juste assez pour qu’on voie qu’elle avait peur.
Nico lui a collé la main au cul.
Moi, j’ai senti ma bite se lever. Un truc dégueu, nerveux, j’avais envie de gerber mais j’étais en feu.
J’ai vu les autres : les yeux brillants, les mains moites. Ça puait le foutre.

Et puis son t-shirt a craqué. Je saurais même pas dire qui a tiré.
Ses seins sont sortis, tout blancs, petits. Pas comme dans les films. Réels. Fragiles.
Nico a choppé sa jupe. Il l’a descendue comme on ouvre un paquet.

Elle portait une culotte rose pâle.
Et là, j’ai eu envie de toucher, moi aussi.
J’ai posé la main, une seconde. Sur sa hanche. Sa peau brûlait.
Elle a frissonné. Comme un animal blessé.
Et j’ai retiré ma main, vite. Mais j’avais déjà touché.

Nico hurlait : “Elle mouille, la salope !”
Julien riait. Kevin haletait comme un clébard.
Moi j’avais la gorge en feu.
Je pouvais plus bouger. Je bandais et je crevais de trouille.

Elle, elle disait rien. Même pas un cri.
Juste ses yeux.
Et puis un bruit, un claquement — une portière, un chien, un truc qui existe, qui revient dans le monde.

On a sursauté.
Julien a balancé son sac.
Nico l’a lâchée.

Elle s’est redressée.
Pas un mot.
Pas une larme.
Juste ce regard.

Putain.

Ce regard-là, c’était pas de la peur. Pas de la haine.

C’était du dégoût. Pur. Profond.
Et c’est ça, j’crois, qui m’a achevé.

= commentaires =

Lapinchien

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Pute : 171
à mort
    le 23/12/2025 à 17:09:55
Bien sûr, c'est super bien écrit et ça prend aux tripes mais surtout, cette fois, ce texte de Lindsay S, j'ai vraiment pas envie que ce soit autobiographique.
Arthus Lapicque

Pute : 54
    le 23/12/2025 à 22:00:25
Ça me parle ce texte. Il y a quelque chose dans l'univers adolescent qui titille les viscères. Le passage des seins "fragiles" est réussi, l'empathie et le malaise fonctionnent bien à cet instant. Moins quand " ça pue le foutre", je trouve la libido exacerbée des collégiens trop surlignée. Ce n'est pas une question de crédibilité, plutôt un effet qui se voit trop.

Mais c'est une question se sensibilité et de goût. D'ailleurs, a chaque présentation des textes de Lindsay on a ce "coup de poing littéraire" qui revient. Peut-être suis-je de ces lecteurs qui préfèrent le petit doigt du maître de kung-fu, petit doigt littéraire qui, bien placé ou bien saisi, neutralise complètement l'adversaire.
Arthus Lapicque

Pute : 54
    le 23/12/2025 à 22:10:56
Mais on voit toujours la paille dans l'oeil de son voisin et pas la poutre dans le sien, et ça me rappelle un vieux texte que je ne peux m'empêcher de partager :

Il y avait cette fille au lycée. Elle s’appelait Manon, mais tous les gars de la classe l’appelaient Jacqueline. Allez savoir, c’était un prénom qui nous faisait rire à l’époque. Manon était maigre comme un clou avec des grosses lunettes. Elle avait les meilleures notes de la classe, peut-être même du lycée. Ce n’est pas très indiqué d’être intello au bahut quand on veut se faire des amis. Elle était toujours seule dans son coin, victime de vannes en tout genre puis, voyant que les brimades ne l’atteignaient plus, tout le monde a abandonné. Manon devenait invisible. Disparaissait dans ses fringues de plus en plus larges. Elle s’est mise à porter des baggies ce qui n’arrangeait rien. J’ai compris beaucoup plus tard qu’elle en pinçait pour moi ; je faisais du skate et les vêtements larges étaient de rigueur pour afficher son style.

Un jour, Manon s’est assise à ma table, nous devions rendre un devoir d’anglais par groupe de deux et j’avais oublié. Elle m’a proposé de nous associer, un joli sourire aux lèvres. J’ai eu 18/20 sans rien faire. Je ne me souviens pas lui avoir dit merci. Je me souviens par contre avoir bien rigolé lorsqu’elle s’est plantée en EPS. Tout le monde était mort de rire. La pauvre s’était vautrée en enjambant une haie à la course. Dans le vestiaire avec les copains, on se bidonnait en imitant sa position sur le sol : elle est restée au moins deux minutes allongée à plat-ventre avant que la prof vienne la chercher pour l’emmener à l’infirmerie.

La rigolade n’a cessé qu’en fin d’année, un matin où les pions nous ont empêchés de rentrer dans le lycée. Je revois la sirène des pompiers, les gendarmes. Les yeux rouges de la proviseure. Manon s’était laissée enfermer dans l’établissement et avait sauté par la fenêtre des toilettes du dernier étage.

Les rumeurs se sont propagées : Le CPE l’aurait découverte en arrivant, son corps glacé gisant au pied du mur. Son pantalon avait glissé jusqu’à ses chevilles parce que Manon n’était pas morte sur le coup et avait rampé par terre pour finalement mourir de froid. En miette.

Il m’arrive souvent de penser à elle. J’aimerais tellement revenir en arrière, la serrer dans mes bras, lui dire que ce n’est pas grave, qu’il y a une autre vie après le lycée. Mais même quand je l’imagine, sa bouche reste muette. Et son joli sourire s’efface comme une vieille cicatrice.
Lindsay S

Pute : 161
    le 23/12/2025 à 22:34:06
En effet, c'est une poutre !

Je pense qu'il y a des sujets qui méritent une bonne grosse claque dans la gueule et pas la finesse d'un petit doigt kung-fu.

Mais j'ai toujours préféré Bud et Terence à Bruce ou Jackie.
Arthus Lapicque

Pute : 54
    le 23/12/2025 à 23:02:12
Sans aller dans l'extrême finesse, disons qu'il y a plein d'alternatives efficaces aux baffes dans la gueule et qu'il peut être intéressant de s'y exercer.

(Je trouve les cascades et chorégraphies de Chan mille fois plus spectaculaires et acrobatiques que les interminables bastons de Spencer et Hill, même si, j'avoue, ça me faisait bien marrer quand j'avais 8 ans.)
Lapinchien

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Pute : 171
à mort
    le 23/12/2025 à 23:29:18
Rappelons que Lindsay S a été prof de SVT et qu'elle a dû aussi en voir passer des vertes et des pas mûres.
Lapinchien

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Pute : 171
à mort
    le 23/12/2025 à 23:40:07
étrange aussi comme la violence est inutile quand on peut porter les coups d'un seul regard.

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