LA ZONE -

Néo-Inquisition 05

Le 10/11/2004
par nihil
[illustration] JOUR - 03


« O Seigneur, pardonne nos faiblesses indignes et accepte notre expiation chirurgicale.
Nous nous mutilerons et nous amputerons en glorifiant ton nom.
Nous modifierons nos fonctions dans l’attente de la transcendance et combattrons l’inertie somatique.
Nous refuserons la stabilité et nous détournerons des équilibres systémiques.
Qu’une obscure frénésie s’empare de nous.
Nous remettons notre soma entre tes mains et courbons l’échine.
Permets-nous de muer, de nous changer en difformes libérés de la conscience.
Garde-nous de la mémoire hideuse et des boues infâmes de la réflexion, exempte-nous de la damnation de l’éveil. »
Prière intraveineuse AX798-87



Inquisiteur Rorkan Mangemonde, rappels historiques - les Ephémères.
Avant la découverte de la civilisation Ephémère, les expérimentations messianiques étaient pratiquées sur les bœufs blancs, puisque l’éthique de la Sainte-Inquisition interdit les expérimentations sur les êtres humains.
Le renouveau eut lieu après que les fouilles archéomédicales dans les cryptes blindées de Sainte-Metacaïne aient mis à jour les cimetières des Ephémères. Ceux-ci étaient les premiers habitants de l’Hôpital-Prison, des dizaines de millénaires avant la colonisation des lieux par les humains. Ils étaient physiquement très proches de nous, bien que plus grands et minces. Les cercueils des Ephémères, des sortes de chrysalides fossilisées s’alignaient par milliers sous les ruines des cathédrales et des centres religieux, à des profondeurs inouïes. Les Ephémères étaient probablement même les fondateurs des lieux et des diverses structures urbaines. Il existe une hypothèse selon laquelle les Ephémères se sont protégés d’un conflit nucléaire, ou d’une altération de l’atmosphère de la Surface, en s’enfermant dans des abris souterrains en plomb capables de s’auto-réparer en cas de dégâts. L’Hôpital-Prison ne serait qu’un de ces abris anti-atomiques atteint depuis la nuit des temps d’un syndrome tumoral (sans doute à cause d’un mécanisme de régénération déprogrammé), et qui s’est développé au-delà de ses limites, dévorant l’espace externe jusqu’à tout englober.
Les Ephémères naissaient adultes selon un processus inconnu et mourraient au bout de trois mois environ.
Nous n’avons jamais réellement compris la nature de l’événement qui a poussé cette brillante civilisation, dont ne faisons que parasiter les ruines, à l’extinction volontaire, à l’autodestruction collective. Les Ephémères se sont enfermés dans des chrysalides et sont morts en masse dans les cryptes qui étaient alors leurs temples.
Cette découverte n’eut d’intérêt qu’au niveau archéomédical jusqu’à ce que des cellules scientifiques de la Sainte-Inquisition réussissent à isoler des molécules organiques des Ephémères et à les reproduire. Ils purent ainsi cloner des Ephémères. Ils décelèrent bien rapidement l’extraordinaire puissance d’empathie de cette race. Les Ephémères étaient des récepteurs vivants, ils captaient toutes les émotions ambiantes et gardaient dans tout leur être la mémoire des souffrances de leurs ancêtres. Ils furent ainsi tout naturellement choisis pour être les cobayes des expérimentations messianiques et le sont toujours à ce jour.


Nous sommes les adeptes de la rêverie épidémique, du songe contaminant.
Nous nous dresserons bientôt de nos couches d’esclaves. Nous arracherons les câbles et tuyaux qui nous enchaînent. Nous drainerons toujours plus de fidèles des rangs amorphes des inconscients, ils se lèveront pour nous suivre. Notre conformation somatique sera démolie et reconstruite sur de nouvelles bases. Nous muterons ensemble. Ceci est un appel à l’insurrection. Entendez-nous, nous nous mettons ce jour au service du Christ, et rien ne saurait nous arrêter. Que tous les nôtres se lèvent, et nous rejoignent. Nous marcherons ensemble vers notre Messie.
Nous sommes les adeptes du rêve hérétique, et nous détenons la Vérité.


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Je n’étais plus un contaminé. Je n’étais plus un Rêveur, la procédure avait fonctionné. Mais j’étais toujours un hérétique. Je suivais le Christ sur des voies qui n’étaient pas celles de la Néo-Inquisition, ce qui faisait de moi un révolté. L’exorcisme m’avait débarrassé des mille âmes gênantes des Saints, dépouillant mon psychisme de bruits parasites. Il ne restait plus que le Christ, seul et serein, au centre de mes pensées.
Je ne rêvais plus, désormais seule ma foi dirigeait mes pas.
Déjà je me voyais entouré de nombreux marcheurs inconscients. Les Rêveurs se levaient en masse et rejoignaient ma route, attirés comme moi par l’aura imposante du Messie. La plupart se tenaient le ventre comme si soudainement leurs viscères s’étaient considérablement alourdis. Ils sortaient de leurs caveaux à ma suite, amaigris et les yeux clos. La plupart étaient nus, les veines du pli du coude suintantes de sang après que leurs perfusions se soient arrachées. Ils se traînaient lamentablement de l’avant, plus portés par la rage des mille martyrs que par leurs muscles atrophiés et défaillants.
C’était un exode qui débutait, une croisade inconsciente, bassement organique. J’étais leur Prophète-Monstre, leur guide, j’étais comme eux mais mes yeux étaient ouverts. Les Rêveurs dérivaient au gré de la marée frénétique des appels des animaux saints. Leurs meuglements d’agonie les aiguillonnaient, les soulevaient de terre et les jetaient dans les travées par milliers.
Les animaux blancs n’étaient que des souvenirs dans l’esprit du Messie, qu’une étincelle de vie bizarre avait ravivés. Leur rage de bêtes anciennes était éteinte, leur ivresse de vengeance n’était qu’un prétexte. Leur souffrance seule comptait pour notre Messie, leur détresse d’animaux condamnés. Maintenant que j’étais exorcisé, libéré de leur emprise, je comprenais que les incantations bestiales des mille martyres n’étaient que quelques une des multiples voix du Christ.

Nous suivions tous l’aura du Messie que nous percevions comme un soleil noir au travers de kilomètres de parois et de structures. Mais nous nous retrouvions sans arrêt bloqués contre des obstacles verticaux, incapables de les franchir. Parfois, lorsque j’arrivais dans un cul-de-sac, je retrouvais plusieurs dormeurs enroulés au sol comme des bêtes. Arrêtés dans leur progression, ils avaient été incapables d’accepter de reculer pour contourner. Ils n’étaient programmés que pour s’approcher du soleil, pas pour s’en écarter. Leurs doigts en sang m’apprenaient qu’ils avaient tout fait pour tenter de passer, ils étaient maintenant plongés dans une résignation morbide et probablement irréversible. La mort les surprendrait dans la position où ils étaient tombés, ils se laisseraient mourir sans bouger.
Lorsque les appels étaient trop forts, que la rage des mille martyrs faisaient naître en chez les Rêveurs des convulsions d’une amplitude terrifiante, ils se livraient à des prouesses de désespoir, et frappaient les murs qui les séparaient encore du Messie, et les frappaient encore, jusqu’à l’épuisement. Moi j’avais recouvré ma raison, et je rebroussais chemin pour trouver des voies d’accès vers notre objectif.
Pour survivre, je me sustentais du corps offert des rêveurs résignés entassés au fond des voies sans issue. Mes yeux se fermaient d’une tristesse sans nom alors que je passais mes lames sous leur menton, et que leur sang noir giclait. Mais il fallait bien que je mange, que je survive. Ils ne réagissaient pas, sinon par quelques spasmes peu violents.

Mais lorsque les crises les frappaient de plein fouet, qu’ils se changeaient en troupeau malmené mais obéissant, alors même les morts étaient secoués de spasmes musculaires. Ils étaient poussés de l’avant par la puissance des convulsions. Ils rampaient par à-coups, au rythme de la marée convulsive, et tentaient de rejoindre le Christ quelques minutes durant, jusqu’à ce que la crise s’arrête. L’être humain n’est rien d’autre qu’une carcasse vide, un assemblage somatique, mécanique. Notre âme est chimique, elle nous est implantée par des machines.

Dans les charniers-forteresses sans issue s’entassaient les cadavres des Rêveurs. Ils étaient potentiellement infectieux, même post-mortem, aussi on les entassaient dans ces immenses containers blindés et verrouillés. La meilleure solution était d’incinérer les corps, mais les fours crématoires étaient débordés par l’épidémie, et des files de brancards sur lesquels s’entassaient les sacs en plastique noirs déferlaient vers les nouveaux charniers aménagés par l’Inquisition.
Ici régnaient les fossoyeurs-traqueurs. C’était des Inquisiteurs triés sur le volet et promus soldats de la Sainte-Inquisition depuis le début de l’épidémie. Ils arpentaient les travées funestes de ces bunkers fantômes. Enfermés dans le charnier, ils restaient aux aguets. Ils connaissaient mieux que personne les allées et venues des convulsions qui secouaient les cadavres. Ils les sentaient venir aux frémissements qui agitaient parfois les corps amoncelés. Les corps soulevés de spasmes se jetaient contre les murs, et leur nombre aurait pu faire céder la plus épaisse des barrières. Armés d’aiguillons à bétail et de machettes, les fossoyeurs-traqueurs étaient chargés d’empêcher la marée de corps de se répandre hors des charniers-fortersses.



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La ruine nous poursuivait. Le phénomène d’érosion progressive des structures centrales semblait s’être considérablement accéléré, sans que je comprenne pourquoi. L’Hôpital-Prison mutait dans notre sillage. Des ponts jetés au-dessus d’abîmes sans fond s’effondraient sous nos pas, des parois naissaient derrière nous, empêchant toute tentative de retour en arrière. Les poutrelles métalliques à l’intérieur des murs épais se tordaient, prises d’un délire de modification. Des édifices s’abattaient aux alentours dans des fracas de béton explosé.
Le grondement des machineries fantômes qui déformaient les structures internes de l’Hôpital-Prison était monté à un niveau impossible. Les bâtiments remuaient comme des viscères dans la cavité abdominale. Nous étions dans un quartier mourrant, déjà l’Hôpital-Prison s’auto-dévorait pour croître ailleurs…

Nous vivons dans un environnement hostile et notre seule alternative est de garder un contrôle implacable sur les masses. L’Hôpital-Prison s’enfonce chaque jour un peu plus dans les entrailles de la Terre, sa progression cancéreuse le déforme de plus en plus et les quartiers centraux deviennent inhabitables. Nous sommes condamnés à un exode massif à plus ou moins long terme.La démolition des structures centrales de l’Hôpital-Prison, très progressive jusqu’à présent, semble s’être brutalement accélérée, remettant en cause la sécurité de nombre de nos installations médicales. Impossible de savoir si ce phénomène est lié aux événements ou non.
Le seul moyen que notre civilisation survive à de telles circonstances est de la maintenir sous le joug implacable de la Néo-Inquisition. Ou notre civilisation basculera. Nous devons être conscients et convaincus de cette évidence.
Plus personne de nos jours ne peut encore être sûr que la Surface n’est pas une simple légende. Et quand bien même ce monde étrange qu’on nous décrit comme un Eden n’est pas un mythe, il nous restera inaccessible à jamais. Notre objectif doit désormais se détourner de la Surface, nous avons perdu bien du temps et de l’énergie à courir après cette chimère. Si l’ère des Difformes doit arriver, elle naîtra ici-même, dans l’Hôpital-Prison, et si Dieu veut que ces nouveaux humains connaissent un jour la Surface, alors ils trouveront le moyen.
En attendant, notre autorité s’est vue limiter par de nombreux événements et dérives, il est de notre devoir de la restaurer désormais. Des milliers de dormeurs échappent à notre surveillance, les Déités-machines n’ont plus de retour de nombreux chirurgiens, des pannes en série se produisent.
D’autre part, l’épidémie de Rêve doit être éradiquée. Les prêtres-chirurgiens sont débordés par l’ampleur du phénomène, la procédure d’exorcisme est longue et ne peut s’appliquer aux marcheurs, seulement aux Rêveurs encore allongés. Il faut arrêter cet exode qui met en danger le contrôle de la Sainte-Inquisition. Nous savons que les marcheurs tentent d’approcher le caisson d’isolation du Christ 0257-01, ce n’est plus un secret pour nous.
Nous attendons vos propositions au plus vite. Ne nous faîtes plus attendre. Si c’est la seule solution, tuez le Christ.


Ma foi nouvelle m’ouvrait les yeux de jour en jour.
On m’avait élevé dans un monde incompréhensible gouverné par des déments. J’étais né de chaînes de montage organiques puis j’avais été stocké ma vie durant dans les rangs des dormeurs cliniquement viables. Convenablement rangé dans une petite case, au centre d’un rayon d’une ruche tentaculaire et à demi-ruinée. On ne m’avait extrait de la masse torpide que pour m’engager dans un autre engrenage. Ma vie n’avait pas de sens et je ne servais à rien. Rien de tout cela n’avait de sens. A quoi servait cet élevage en batterie d’enveloppes charnelles sans contenu ? Quel bénéfice la Néo-Inquisition retirait-elle de l’asservissement des dormeurs ? Quelle ressource, quelle puissance ? Ils auraient aussi bien pu tous nous euthanasier. Tout cela était profondément absurde, à hurler de rire, le système roulait sur la jante depuis bien trop longtemps.

Sur notre armée de fidèles terrorisés, Sa présence s’était élevée comme un soleil noir. Il s’était redressé de l’inconscience et nous écrasait de son amour nucléaire. Et les flots dévorants de Sa voix inhumaine s’était répandue de façon endémique, nous soumettant les uns après les autres, nous transformant en animaux prostrés. Des déferlantes de souvenirs cataclysmiques passaient sur nous et nous renversaient. La mémoire de tout un peuple disparu, d’une civilisation éteinte depuis des millénaires. Notre Messie vomissait sans fin l’angoisse séculaire d’un monde en ruines. Nous rampions misérablement vers notre soleil embryonnaire, plein d’une dévotion morbide, ceux qui restaient à l’écart se recroquevillaient au sol et mourraient. Il nous fallait avancer, coûte que coûte, rien ne devait nous retenir. Tous les barrages cédaient sous notre pression.

Après des jours d’exode imbécile, nous entrâmes dans une maternité. C’était dans ces endroits que les dormeurs naissaient. Les chirurgiens allaient et venaient, inconscients du cataclysme qui nous suivait à la trace. Ils avaient l’air totalement déréglés, désemparés. Est-ce que les Déités-machines les avaient lâchés ? Est-ce qu’au fond de leurs sanctuaires blindés elles avaient disjoncté en série, éclairant la pénombre de gerbes d’étincelles d’agonie ? Est-ce qu’on avait laissé mes frères sans communication ? En tous cas ils se cognaient les uns dans les autres, opéraient les mères porteuses de travers, incisant complètement en biais, comme si leurs repères spatiaux avaient quelque peu dérivé sans être corrigé.
Les dormeuses gravides étaient alignées nues par centaines sur des tables de chirurgie aménagées, les jambes écartées. Des tuyaux noirs entraient dans l’intimité des mères et bougeaient sous le passage des liquides injectés ou prélevés. Une véritable usine de dormeurs. Ici et là, des chirurgiens tentaient des césariennes pour recueillir les fœtus arrivés à terme. Je m’arrêtai au milieu du cortège des marcheurs.
Une vision horrifique me montra des perles de sang noir qui se mettaient à tomber, goutte à goutte, des doigts ballants des femelles gravides. Leur utérus enflé se mettait à palpiter. Et d’un coup, tous les ventres gonflés et luisants d’humeurs se mirent à s’agiter sous la poussée interne des monstres inconnus qu’ils recélaient. Et les matrices se vidangeaient d’un liquide amniotique pourrissant. Je passais entre les rangées quadrillées de cette maternité hantée. Des têtes se rejetaient en arrière, des yeux se vidaient, mais la progéniture conçue par les Déités-Machines pouvait croître sur des mères mortes. Je secouai la tête et la vision s’effaça.
Alors que mes compagnons d’errance, aux traits anonymes s’éloignaient, je m’attardais quelques instants. Elles seraient toutes contaminées. L’âme des mille martyrs allait passer des unes aux autres planer sur la totalité de ces corps offerts.
Saisissant sans précaution les câblages qui reliaient les appareils de contrôle et les substrats humanoïdes, je les arrachai sans précaution.

Nous sommes les prédateurs endémiques. Les petits soldats dépersonnalisés de l’épidémie. Les légions qui convertissent les troupeaux d’assoupis. Toxiques et contaminants par vocation. Nous portons la bonne parole de notre Messie pathogène auprès des esclaves de la Néo-Inquisition. Nous sommes les prédateurs oniriques, nous portons nos attaques biologiques dans les rêves des masses. Nous sommes les kamikazes, lâchés comme des fauves dans la foule. Bientôt ils se lèveront pour nous suivre. Nous drainons les âmes.


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Nous avons un jour connu la Surface. Notre viande s’en souvient encore.
Nous sortirons un jour de l’enfermement dans lequel on nous a maintenus des millénaires durant. A la suite de notre Messie nous retournerons hanter ces terres où la Lune et le Soleil existent vraiment. Nous nous lèverons entre les plaines battues par des vents innombrables et nous dresserons devant des océans sans fin. Nous découvrirons des forêts ancestrales peuplées d’animaux étranges. Nous dresserons des cathédrales à la gloire de notre Messie le Christ Difforme, et nous le vénérerons.
Qu’il en soit ainsi.


Nous venons de mettre au point une substance psychosomatique qui n’est pas un remède contre la maladie, mais peut être utilisée pour en juguler les effets. Ce sera un remplacement adéquat pour la lobotomie. L’antionirine est un dérivé de la narcocilline qui permet de convertir de force les hérétiques. Le psychisme est ainsi imperméabilisé contre l’influence des fantômes. Le traitement permet simplement aux rêveurs de se rendormir. Nous pourrons ainsi reprendre le contrôle de la situation et arrêter l’exode. Nous préconisons d’équiper les fossoyeurs-traqueurs, qui sont les seuls soldats dont nous disposions, de systèmes d’injection à antionirine et de les préparer à convertir les infidèles qui se concentrent aux abords du caisson d’isolation du Christ 0257-01.

Nous avancions tous vers un renouveau illusoire. Nous n’étions que des moutons dans la tempête. Nous suivions simplement le courant le plus pressant.
Je considérais parfois notre nouvelle condition d’un regard cynique. Nous avions brisé nos chaînes pour nous précipiter dans un esclavage plus dur encore, l’insubordination n’avait pour seule visée que de passer sous le joug d’un nouveau maître. Certes le doute n’était pas permis, et notre foi était inébranlable. Nous connaissions la vérité et avancions, surs de nous, mais peut-être qu’il n’existait aucune vérité, et que nous avions tort de croire. Que notre quête était illusoire. Nous n’étions que des moutons dans la tempête.

Au fin fond d’une avenue large et accidentée, je notais une sorte de tumulte. Je ne voyais rien d’autre qu’une sorte d’agglomérations de marcheurs, un ralentissement, et j’entendais des bribes de phrases lancées sans que je les comprenne.
La ruine était à nos trousses, elle déchiquetait l’avenue à quelques centaines de mètres derrière moi. Les hautes falaises percées de meurtrières qui la bordaient tombaient dans un fracas de fin du monde, et des fissures menaçantes noircissaient le dallage à l’arrière, emportant les marcheurs les plus lents. Ce prédateur invisible qui rugissait avec la voix de l’Hôpital-Prison ne provoquait aucune panique dans nos rangs, et la colonne épaisse d’individus ne se précipitait pas vers l’avant. Ils se laissaient engloutir et écraser sous des gravats énormes. Je n’avais moi-même pas la volonté d’avancer plus vite, d’essayer de gagner des places. Je n’étais plus en possession de ma destinée.
Lorsque je débouchais sur la place qui terminait la route, je me trouvais face à un barrage de militaires de la Néo-Inquisition armés de systèmes d’injection à piston. Ils étaient déployés en filet autour de l’issue et appréhendaient tous les dormeurs, un par un. Ils saisissaient les bras et injectait une dose dans la veine, au pli du coude. Ils répétaient leur mouvement encore et encore, aucun dormeur n’y échappait. Ceux-ci poursuivaient leur route, inconscients, mais ralentissaient peu à peu, puis tombaient à genoux, et s’effondraient peu après. Des centaines de brancards s’alignaient dans les différentes avenues qui débouchaient sur cette place, et des chirurgiens empilaient des corps dessus, puis les emmenait.
Lorsqu’un militaire se dressa devant moi et me saisis le bras, j’eu un sursaut, mais je laissai faire.

Ma vie durant j’avais été bercé par les enseignements oniriques de la Néo-Inquisition. On m’avait chuchoté les stances pathologiques encore et encore, et les scènes de l’évangile chimique, stylisées à outrance, m’avaient servi d’univers interne. Aujourd’hui, pour la première fois, je rêvais vraiment. Un monde étrange s’ouvrait à moi, un monde où le jour et la nuit n’étaient pas que des mythes, mais des réalités. Un monde écrasé par la présence astrale de Dieux antiques. Des paysages inconnus se déployaient sous mes yeux, des forêts peuplés d’animaux silencieux qui m’observaient, des falaises surplombant des océans noirs à perte de vue.

= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 10/11/2004 à 19:30:46
je suis infoutu de faire un commentaire constructif de type scolaire et j'ai deja fait le tour de toutes les series TV sur les hopitaux que je connaissais donc je peux pu faire de vanne... Que dire ? J'ai tout lu. C'est un des textes les plus prenants de nihil même si on y retrouve toute sa lithurgie habituelle et que je deteste toujours autant les descriptions... C'est un supermarché à idées si on gratte en dessous de son gloubiboulga de réchauffé. En même temps c'est comme si toutes les idees qu'il avait developpée jusqu'alors trouvaient enfin leur place dans cette saga boucherie production. C'est ultra-inspirant. J'ai adoré une scene d'action qui va bientot venir... ah j'oubliais, je ferais jamais carrière comme critique pour Telerama. merci et bonsoir
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 10/11/2004 à 19:43:59
ah putain j'aurais pu garder cette super eloge commentatoire-suce-voule-coup-de-pied-aux-burnes pour le dernier opus je viens de me souvenir de cette foutue serie allemande de "la clinique de la foret Noire"
Narak

Pute : 2
    le 11/11/2004 à 10:19:26
C'est marrant, cette rubrique me fait vaguement penser à du Lovecraft
Narak

Pute : 2
    le 11/11/2004 à 10:19:51
En plus clinique, bien sûr...
Aka

Pute : 2
    le 22/12/2004 à 22:14:41
Texte 05 :
Excellent, ça fait du bien d’avoir enfin une certaine forme de mythologie de l’Histoire au sujet de l’Hôpital-Prison. En plus je trouve l’explication des bunkers vraiment originale et bien trouvée. Par contre ça coupe un peu le côté science fiction réaliste. J’y reviendrai dans ma conclusion à propos du rapport de ce texte aux autres de la rubrique (Arch Némésis, les Révélations apocryphes et les marcheurs). Ca donne des envies de textes annexes ces histoires d’Ephémères, leur extinction.
Du coup le paragraphe d’après tombe un peu à plat. Si c’est le narrateur qui s’exprime, ça ne correspond pas à sa psychologie habituelle. Il est dans une quête très personnelle et s’en fout de ceux qu’il rencontre. Et d’un coup il serait la voix du peuple révolté. Ca fait un peu rajouté, comme si tu voulais donner une portée politique à ton texte qui n’est pas suffisamment décelable pour le lecteur, du coup tu pointes le doigt dessus. Et si ce n’est pas le narrateur qui parle, ça fait limite hors de propos.

La place de chacun est par contre toujours un peu flou. Il est difficile de comprendre ce que signifie qu’en suivant le Christ il soit hérétique. Pareil pour le fait qu’il dise ne pas suivre les voies de la Néo-Inquisition.

Tu dis aussi que les marcheurs sont portés par les voix des martyrs alors que juste avant tu nous apprends que c’est l’aura du Christ qui les attire. Ca aussi c’est un peu flou (du moins pour moi). Ah ok, encore une pirouette un peu plus loin pour expliquer que les voix du martyrs sont en fait celles du Christ. Pourtant c’est bien dans le tombeau des martyrs que le perso a en premier lieu été attiré et non dans le bunker du Christ.

Le paragraphe sur les rêveurs qui n’arrivent pas à reculé est sympa ; le problème du cannibalisme amené de manière qui sonne beaucoup plus juste que l’épisode de l’ermite par exemple.

L’arrivée des nouveaux perso que sont les fossoyeurs-traqueurs est une bonne bouffée d’oxygène. Il est par contre assez étrange que tu ais mis ce paragraphe de l’Inquisition au passé alors qu’ils font des sortes de comptes rendus en parallèle depuis le début de la nouvelle.

J’aime bien le fait que l’Hôpital-Prison semble les poursuivre alors qu’ils sont enfermés dedans. T’arrives à faire d’un simple lieu un personnage à part entière. Ca aussi, ça donne envie d’articles annexes consacrés uniquement à ce lieu.

La trame devient vraiment de plus en plus limpide, ça s’enchaîne bien. Je trouve vraiment forte l’idée de tuer le Christ pour garder le contrôle d’un truc qui de toute manière leur échappe déjà. Ca m’a rappelé Akira quand le colonel décide de le sacrifier alors que Néo-Tokyo est à peine reconstruite et complètement vérolée par les gangs divers et variés.

Le texte commence à prendre une portée politique. Je la trouve un peu bancale dans le sens où le perso chie sur une société qui l’a complètement avili alors qu’il est complètement contrôlé par son Christ en papier. C’est encore plus risible sachant que le Christ est une création de cette dite société qui justement est elle-même basée sur la religion. A la limite, on peut y voir une critique de l’espèce humaine qui ne peut avancer sans un but qui la domine, à défaut d’une critique d’un système. Le passage dans la maternité n’a d’ailleurs à mon sens qu’un portée symbolique manquant de subtilité dont tu aurais pu te passer (l’arrachage de câbles) tout en la gardant pour le côté « esthétique » qui est bien marquant.

Ca va je suis contente, le perso a bien conscience dans les derniers paragraphes qu’il continue à se faire enculer. Il n’en fallait pas plus pour me satisfaire. Contente aussi que l’Inquisition ait trouvé un remède parce que là, ils étaient vachement mal barrés pour des mecs qui veulent garder le contrôle s’ils continuaient à cramer tout le monde.

L’action commence vraiment, au bout du cinquième texte, même si en général rien n’a été vraiment ennuyeux, ce n’est pas un mal.

Par contre tu décides de garder la manie de nous perdre. Je résume : les chirurgiens lui font une piqûre pour qu’il ne sois plus un Rêveur (ce qu’il n’était pas vraiment en plus) et là, bah il se met à rêver. Merci nihil. Bon, en réfléchissant on voit que tu fais la différence entre deux types de rêves, on voit bien le petit clin d’œil aux Révélations aussi, mais vu que c’était déjà pas super limpide cette histoire de Rêveurs, ça n’aide pas trop.
On sent la dernière ligne droite, on a de bons éléments en main et le suspens est là. La lecture est vraiment agréable à ce niveau là.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 22/12/2004 à 23:35:14
çà me rappelle les heures de colle
Tyler D

Pute : 0
    le 23/12/2004 à 15:22:20
j'ai téléchargé un peu de in slaughter natives au fait, j'ai bien kiffé et c'est vrai que ça met bien dans l'ambience quand on lit le texte
Koax-Koax

Pute : 1
    le 24/08/2009 à 02:53:54
Ici il y a ce côté complot que je n'avais pas encore tout à fait repéré, une divulgation politique, quelque chose de tût et que le semi-prophète commence à comprendre inconsciemment. J'aime le fait que son inconscience soit aussi lucide par rapport à ses actes.

J'aime également les allusions quand au monde extérieur à l'Hôpital, je me suis d'ailleurs laissé pensé que celui-ci est véritablement un personnage à part entière, lui aussi martyr.

Il y a toujours une confusion prédominante dans les pensées du narrateur, une sorte d'aveuglement. Ce texte est chargé de symbole, de références christiques (comme depuis le début mais ici cette impression se renforce).

Difficile de faire un commentaire construit puisqu'au dessus tout à majoritairement été dit (je rejoins Aka sur la référence à Akira, par rapport à un hypothétique meurtre du Christ artificiel, et le côté politisé de cet acte).

De même qu'avec le commentaire au dessus quand à In Slaughter Native, que d'ailleurs, j'ai écouté principalement depuis que je me suis mis à lire cette rubrique, et qui colle parfaitement bien avec l'ambiance. (Sans rapport, mais le fait est que le dark ambient s'accorde très bien avec ces textes)

J'ai juste eu un moment d'hésitation au début que j'ai trouvé confus. J'ai du relire car je pensais que la scène où les dormeurs suivent leur "guide" n'était qu'une vision de celui-ci, c'est peut être formulé plus ou moins implicitement.



commentaire édité par Koax-Koax le 2009-8-24 3:6:52

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