Jacky Lucky Joe le funky poseur s’était briefé auprès de ceux qui paraissaient capables de l’informer. Il envisageait de redescendre l’Amazone jusqu’à Belem, au départ d’Iquitos. En recoupant différents éléments il identifia plusieurs difficultés.
Des pirates attaquaient parfois les navires. La nuit ils s’amarraient au bateau et dépouillaient tout le monde d’une manière plus ou moins violente selon les cas. C’était chiant cette histoire de pirate car Jacky Lucky Joe ne parlait ni ne comprenait l’espagnol ou le portugais ou le queshua ou quoi que ce soit qui puisse être une langue du coin. Il faut préciser que le funky poseur gardait toujours ses 33 tours à portée de main, constamment disponible pour embraser la piste, toujours prêt pour la funky party. Le passeport et les autres papiers il pouvait bien les perdre car son identité d’homme était graver dans les microsillons. Mais Jacky Lucky Joe pensait, s’il ne tombait pas sur une bande d’enculés, qu’il pourrait conserver son bien. Après tout les pirates sont de braves gens, qui aiment aussi le groove et la bonne soul. Ils ne font pas la guerre comme les autres et voilà tout. Au pire, Jacky Lucky Joe se mettrait à genoux, ouvrirait son bac en grand et balancerait une supplique bien deep, dans l’esprit des premiers gospels, qui percerai jusqu’à la sensibilité des cerveaux les plus secs et toucherait aux tripes. De toutes façons, les tourne-disques n’existaient plus en Amazonie, on en trouvait pas plus que sur la banquise. Si les pirates s’emparaient des précieuses galettes celles-ci termineraient immanquablement sur les parois humides d’un boui boui monté sur pilotis, pour rappeler le bon temps et éponger les nostalgies.
Mais les pirates c’était rare qu’on lui disait. On lui disait aussi « parfois le bateau coule ». Regardes ton embarcation, vérifies si le navire est en bon état. Mais putain, un navire en bon état ca ressemble quoi en Amazonie ? En secouant ses funky méninges Jacky Lucky Joe ne se souvenait pas avoir croisé un solo véhicule en bon état dans cette partie du monde. Ne montes pas dans un rafio qu’on lui disait. Putain de punky shit on le prenait pour qui ? Pour un ingénieur hydrolique ? Et si le bateau coule comment fait-on ? Si le bateau coule c’est certainement parce qu’il n’est pas en bon état mais c’est aussi parce qu’il est trop chargé en marchandises diverses : fruits, bois, équipements, hommes, femmes et enfants. Putain si le bateau coule tu te précipites sur un gilet de sauvetage pour ne pas sombrer dans les tourments liquides du fleuve. Un genre d’action nécessitant promptitude et rapidité puisque si un bateau coule il se trouve en général moins de gilets à bord que de passagers. Et la promptitude et la rapidité ce n’était pas le style de Jacky Lucky Joe, sauf lorsqu’il envoyait le son.
Au bord de l’Amazone un funky poseur sifflait du James Brown. Il avait l’impression que les moustiques voletaient en cadences et il se demandait, comme ça, si un homme et 20 skeuds pouvaient marcher sur l’eau.