LA ZONE -

Lieu commun n°14 : Je suis comme ça

Le 19/03/2016
par Mill
[illustration] C'est rien, c'est une excuse, pardonnez-moi madame, m'en veuillez pas monsieur, mais je changerai pas, jamais, puisque je refuse. Je suis enfant, je suis gamin, je suis pulsions de vie, pulsions de mort, haines et amours en bandoulière, et tous ces défauts sclérosés que le temps et l'expérience m'ont permis de reconnaître, puis de répertorier, d'admettre et de sublimer, ces erreurs répétées que je m'obstine à reconduire, parce que voilà, c'est ainsi, j'ai une chaîne autour du cou, un boulet à chaque cheville, et même si tu la vois pas, cette lourde chaîne aux maillons si larges qu'on pourrait y glisser un bras, une jambe, un nouveau-né, même si tu n'entends pas les boulets claquer sur le sol à chacun de mes pas, ils y sont, tangibles et bien présents, durs comme les parois d'une geôle creusée dans la falaise, et cette falaise, c'est moi, mon coeur et mon cerveau, ma structure ADN, mon jeu de références internes, mon disque dur, mes cases mémoire, mon palimpseste perso auquel je n'apporte plus que de menues retouches, ici ou là.
    C'est que dalle, une pose, une attitude, une fausse promesse et un serment prononcé avec les doigts qui se croisent dans le dos. Je te dis que je suis cette outre vide, cette enveloppe fragile, ce reliquat minable d'un espoir avorté, d'un régime interrompu, d'un projet inabouti, d'un lit défait à la couette éventée. Prends-moi comme ça, te dis-je, prends-moi sans rien attendre, sans jamais imaginer un instant que la chair se malaxe et les idées se sculptent tout autant que la boue, le plâtre, la glace, un caillou. Je suis ce que je suis, je suis inerte, je me suis enraciné en d'autres terres, d'autres contrées improbables dont tu n'as pas idée. Vas-y, jette un oeil, regarde, apprécie, marre-toi, tremble et fuis : il te plaît tant que ça, le cadavre qui se cache en mon sein ? Il t'amuse encore, l'hurluberlu grelottant, le sinistre Auguste à la mine déconfite, à l'oeil crevé ? Je bougerai pas pour toi, je bougerai pas pour moi, je freinerai toujours des quatre fers, les semelles clouées à la route dont l'horizon lointain me tente et me contente tout autant.
    C'est zéro, c'est lambda, pathétiquement banal, égoïste et buté. La pire chose que tu puisses cracher à la gueule de l'âme qui te regarde et t'écoute, des mots sournois et résignés qui puent la cendre et la poussière de ceux qui vont crever sans avoir rien tenté. Tu t'en repais, tu t'y adonnes, tu te les tatoues à l'intérieur, quelque part entre le ventricule gauche et l'hypothalamus. Tu t'en gaves à longueur de journée, tu t'en astiques le jonc toutes les nuits, tu te forges toi-même les menottes et le cadenas qui te maintiennent à terre, le nez dans les graviers et les yeux farcis de salamandres.
    On est ce que l'on devient.
    On devient ce que l'on souhaite.
    Toi, tu ne souhaites plus rien. Dans ton esprit ankylosé, des rêves morts, des cauchemars constellés d'étoiles et d'affriolants remords qui te dégomment les dents.

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