« L’effet Lemmings, songeait Parker, qui courait à présent pour sa vie. Nous sommes trop nombreux sur cette putain de planète, alors on fait n’importe quoi. On se suicide à petits feux en s’imaginant tout contrôler. Un peu comme moi, là, maintenant. Tout pour réduire cette foutue démographie… Et y en a encore parmi nous pour prétendre au statut d’espèce supérieure. »
A ce point de son soliloque, Parker aperçut une cage d’escalier dans laquelle il s’empressa de disparaître. Gomez-Stern l’eût-il entendu penser qu’il lui aurait vertement recommandé de rester concentré. Peut-être l’aurait-il repris, également, sur Petitbois, le seul être au monde, à part lui-même, capable de différencier un solo de guitare wah-wah d’une clarinette klezmer. Thrash Boy l’avait tout simplement privé de son unique interlocuteur musical digne d’intérêt, le seul individu qu’il eut rencontré dont l’oreille avait su capturer et comprendre le son des Stones, des Pixies, de Bartok et de Coltrane sans pour autant les affubler d’une seule et même étiquette : « classique zik ».
Lorsque les marines choisissaient une station de radio sur le transistor de l’hélico ou de la jeep, une pâle enfilade de rythmes synthétiques, dégoulinant rebut de siècles entiers de recherches musicales, suffisait à les mettre en joie. Petitbois était le dernier né d’une dynastie de mélomanes férus d’histoire, de même que le lieutenant, à ceci près qu’une mémoire infaillible doublée d’un certain talent de mélodiste lui permettaient d’illustrer par le chant ou le sifflotement certains des titres ou noms que tous deux se plaisaient à évoquer.
« Lieutenant, vous rêvassez ? »
La voix de Parker sonnait comme celle d’une truie hystérique, en route pour l’abattoir. Le lieutenant revint immédiatement à la réalité. Thrash Boy venait d’abattre les snipers avec les armes des premiers soldats qu’il avait tués à mains nues. Avec un peu de chance, le poison contenu dans les fléchettes ne les tuerait pas, mais les supérieurs de Gomez-Stern avaient insisté pour que l’on ne lésine pas sur les doses et, sans une prompte intervention de la part des services spécialisés, ces hommes y passeraient aussi sûrement que les autres.
« Lieutenant, bordel ! Répondez-moi ! Quel est le foutu protocole ? »
Gomez-Stern n’était plus qu’angoisse et sueur. Il ne restait que Parker et lui. Face à eux, Thrash Boy ne montrait aucun signe de faiblesse.
« Répondez-moi, mon Lieutenant ! Dois-je me replier ? »
Long silence. Quand soudain :
« Surtout pas, chuchota lâchement Gomez-Stern. Eteignez votre radio et débrouillez-vous pour assurer votre survie. Si par bonheur l’animal traverse votre ligne de mire, je vous conseille de le cribler d’autres choses que de fléchettes. Bonne chance. Terminé. »
Les deux hommes raccrochèrent simultanément, l’un fulminant de haine contre la traîtrise de son supérieur, l’autre s’efforçant de réduire la terreur qui menaçait de le submerger. Tous deux partageaient toutefois le même espoir : survivre, survivre à tout prix.
Gomez-Stern ferma les volets encore en état, tenta sans succès d’obstruer les autres fenêtres et se dissimula courageusement sur la plus haute étagère d’un placard encastré. Attendre était la solution. Se cacher et attendre. Et plus Parker tiendrait face à Thrash Boy, plus il pourrait espérer. La bête finirait bien par s’endormir. Il referma le placard, serra la crosse de son pistolet-mitrailleur contre son cœur et se mit à réciter les bribes d’une prière inculquée des décennies plus tôt par la Machine de l’Enseignement Général.
« Notre Puce,
Qui nous dénombre et qui nous gère,
Notre Code,
Qui nous nomme sans nous nommer,
Notre Mémoire RAM,
Notre Moteur Auxiliaire,
Donne-nous l’étincelle,
L’impulsion électrique
Qui nous met en mouvement ;
Délivre-nous du Bug,
Du Virus informatique,
De la Désagrégation ;
Donne-nous aujourd’hui
Notre Pain synthétique. »
![[illustration]](/data/img/images/2025-10-19-thrashboy-big.jpg)
Rien d’aussi convenu entre Gomez-Stern et Petitbois. Selon le sergent Parker, Petitbois rappelait à son lieutenant le fils qu’il avait perdu lors du grand séisme de L.A., quinze ans plus tôt. Le gigantesque ras de marée consécutif à l’effondrement de la faille de San Andrea avait détruit la côte Ouest sur plusieurs centaines de kilomètres et littéralement annihilé des dizaines de millions de personnes. Un événement pourtant annoncé par plusieurs générations de sismologues depuis le début du XXe siècle et qui amenait invariablement à se poser la question suivante : pourquoi ces imbéciles n’avaient-ils pas déménagé ?
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J'ai repris tous les épisodes depuis le début et fait un résumé en descriptif car ça faisait super longtemps qu'il n'y avait pas eu un nouvel épisode de Thrash boy et que les nouvelles générations zonardes le méritaient bien.
C'est vraiment sympa de lire du Mill dans de la littérature de genre. J'ai découvert l'univers à coté duquel j'étais passé à l'époque et je trouve que c'est un excellent exutoire à la croisée de tous les extrêmes.
J'aime cependant beaucoup plus les dernières productions de Mill et de ses alias car je trouve les histoires beaucoup plus construites alors que Thrash boy laisse l'impression d'une écriture au fur et à mesure des épisodes. On ne sais pas où ça va aboutir mais c'est peut être l'un des gros intérêts de l'exercice.
Mill est de retour !!
Hélas, non. Fausse joie... Ses textes sont programmés sur le pas de tir depuis 5 ans comme les lanceurs des satellites du programme Starlink d'Elon Musk.
Je reviens d'une soirée tarot arrosée au champagne et je découvre ce texte. Est-ce l'alcool qui me l'a fait apprécier ou bien est-il vraiment bon. Demain me le dira. Si ça se trouve j'irai peut-être même lire les épisodes précédant. Vive les vacances.
Ce n'est que quand Mill sera de retour et écrira la suite que je ferai péter le champagne pour ma part.
well.. y'a du bon.. du rythme.. mais encore trop de blabla.. allons à l'essentiel.. pas la peine d'étaler la confiture..