LA ZONE -

Visite à Jésus

Le 18/05/2025
par Mausel Crine
[illustration] On part tôt le matin pour la forêt de Tijuca. On pense bien à prendre de la monnaie en cas de tentative de meurtre.
Je vois des cauchemars, des branchements et des prières, des racines et des feuilles pleines de poussière d’histoires anciennes et d’airs naturels qui flottent dans l'imagination d'un mec que j'ai rencontré quelquefois. Sur la route y'a une brume odieuse. Je lui fais un doigt sur tout le trajet. Je prévois déjà le sol de la forêt qui fume une odeur puante de pourriture. La forêt de Rio, je connais pas. Mais je pense que c’est une étape avant la jungle. Plus je me rapproche de la jungle, moins je fais le malin parce que la gravité est différente. Devant elle je baisse les yeux, je mets les mains le long de mon corps et je gémis d'admiration.
Le taxi nous éclate dans un tronc d'arbre. Une bonne grosse file d’attente touristique traverse le parc. Dans une langue qui est pas trop là on demande aux gens ce qui c‘est pourquoi que y'a quelles les raisons de what la foule elle est comment la chèvre s'il vous plaît et vous demande hein (por favor) ?
Ils répondent : « EEeeebgyhevfdgnkqh, qek ! » Je remercie poliment.
Je leur pose une toute petite question comme par exemple « Il est quelle heure ? »
Réponse : « Aiééitb, wiwigogo, pùlilcucumouE=MC9pAJFsey’è. » Je remarque qu'il y a un chiffre mais je sais pas si c'est l'heure.
JUS DE PUS DE CULS, en avant !
On entre dans la forêt de Tijuca, ou le Jardim Botanico, ou le Corcovado, je sais plus. Mon petit cœur tout dur s'en branle sauvagement.
En bas de la montée y'a un poste de sécurité. Dans la petite baraque, une bibliothèque toute recouverte d'un cuir rouge lisse et brillant. La bibliothèque vomit des livres qui s’ouvrent dans des rais de lumières laquées. Tous les bouquins sont posés sur des nuages d’étagères craquelées. La bibli rouge bouge, la baraque grince. On sursaute chaque fois qu'une boule de lumière éclate dans une vitre du poste de sécurité. On contourne en courant et on se casse. Déso on a pas le temps. On s'en fout de ça ! On veut du Corcovado !
On remplit une décharge qui dit qu’on va mourir et on se met à monter banalement vers le christ.
A mi-chemin y'a des singes qui nous arrêtent et nous demandent ce qu’on fout ici. Ils sont beaucoup, peut-être une vingtaine, l'air un peu con. Ils ont des sourires gigantesques remplis de dents cassées et leurs yeux, c'est des pierres noires enfoncées dans des visages enfoncés dans les feuilles. Ils nous interrogent du regard et se jettent en arrière dans les branches quand on claque des doigts. C’est un test. On continue à monter, en traversant les nuages.
A un moment y'a des grandes parois lisses noires fendues d’eau fraîche. Manou se met à grimper sur une paroi avec ses mains gluantes. Manou, c'est une petite grenouille ! Je comprends plus trop ce qu'il dit mais j'attends qu'il redescende et je le mets dans la poche de ma veste, comme Bilbo.
En fait ici la sécurité est pas ouf : en chemin on croise des cartels de drogues, des viols, des voitures remplies d’armes etc. Je fais tout de suite des statistiques alarmantes et je les envoie à n'importe quelle chaîne de télé française pour que la France continue à vivre noblement.
On reprend la route. On marche un peu et au moment où je me dis que je suis un mec plutôt sympa dans le fond mais faut juste que j'apprenne à me connaître le chemin s’arrête net et devient vertical. Au-dessus de nos têtes on voit des morceaux de fer plantés dans la roche. On est obligé de s’accrocher à ça pour continuer à monter. J’ai un peu peur. J'arrête de bouger ; Manou pousse mon gros cul avec sa petite main de grenouille. Je grimpe en faisant pipi. Je suis fier d’avoir vaincu la peur du vide, même en faisant pipi.
On arrive sur la route, on traverse un train. Nos visages éclatent les vitres et des bouts de verre passent au ralenti devant nos yeux. Le tchou-tchou descend ultra-vite en dérapant sur l’eau. Y'a du soleil et de la pluie. On monte sur le toit du train et on s'accroche aux câbles de 25 000 volts. On finit la montée en marchant sur une route lisse équipée d'un randonneur qui parle tout seul. Derrière les arbres en orbite on voit toutes les planètes qui sont des taxis, et des gens tout petits qui volent du sol au ciel et du ciel au sol quand je m'appuie sur mes genoux pour cracher ma fatigue. Je vois des étoiles. Je me disperse. Mais on veut voir la vraie vue d'en haut, nique sa mè-- son père le double-chauve. On continue à monter…
Et bah enfin poutain di mierda, nos derches arrivent. Mon arrivée d'air chie bonsoir. Salut. On a fini ! Par contre je suis en pierre. Je peux plus bouger. Une fontaine de sang fait clapoter mon cul. Je postillonne mes organes. J'articule des glaviots que je servirais pas sur une baffe à Guillaume Canet.
On l'a fait ! Et tout en haut du coup, y'a Jésus ! Y'a également des sandwichs écrabouillés sur des gens écrabouillés. C’est bien rempli. Tout le monde fait la même chose, tout le monde prend la même photo alors on fait tout de suite pareil : Manou écarte les bras comme le christ mort en croix pour nous pauvres pêcheurs d'espoirs inutiles. J’achète un Coca en hypothéquant ma maison pour reprendre de l’oxygène dans le sucre, si y'en a. Tout en bas c'est rigolo, plein de trucs minus.
Mais y'a quelque chose qui me calme et même qui me fout les pieds dans une bassine d'eau froide en me demandant de me concentrer sur un point fixe de l'horizon. Je regarde l'Atlantique. J'étais pas prêt mais la lumière baisse et le rideau de brume se lève sur l'océan qui roule devant moi. Des vagues en fer grignotent le ciel. Les ailes de l'eau battent l’horizon. Ah oui ! Enfin ouais peut-être… En dessous de l’eau… y'a des sirènes sur les reflets des rochers. Des sirènes. Comme dans Disney. Mignonnes. Elles sont toutes nues. Elles tordent leurs corps dans une espèce de douleur sexuelle et leurs bouches crachent du sang. Elles se mâchent la langue. Leur peau est argentée et pleine de trous. Elles me voient tout de suite. Certaines me montrent leurs seins couverts d'algues et se caressent la chatte avec des gestes exagérés. Je sens d'ici l'odeur de sexe. Parfois tout leur corps convulse et elles tombent dans l'eau comme des cadavres. Leurs cris se mélangent aux sirènes de police… Je m'approche du bord de la falaise. Je suis prêt à mourir avec elles mais je remarque autre chose.
En ouvrant les yeux comme un imbécile halluciné je vois une forêt entière s'élever sous elles. Les sirènes étendent leurs ailes déchirées (elles ont des ailes) et s'envolent en spirale autour de l'île-forêt. Elles me regardent avec des yeux rouges et gonflés qui grandissent vers moi. Leurs yeux s'agrandissent ! Leurs pupilles gonflent et prennent tout l’espace du ciel et leurs plumes fondent en flammes et se transforment en immense volcan percé de crevasses qui pétillent d’étincelles de lave. Je suis en Enfer. Tout brûle. Tout redevient normal. Les flammes disparaissent dans la brume. Les sirènes sont des baigneuses.
Je veux parler à Manou. Je me tourne vers lui mais il a disparu. Ah oui. Il est retourné dans ma poche. Je sors Manou la Grenouille de ma poche, il reprend taille humaine. Je veux lui raconter les sirènes (le plus gros bad de ma vie) mais la grenouille géante me regarde en clignant ses yeux mouillés et elle me dit avec la voix de Manou : « On est pas obligé d’être tout le temps superlatif. » elle me dit. Sans retrouver la raison une seule seconde je réponds : « C'est pas parce que c'est gros que c'est moche. »  J'ajoute : « Grossophobe. » 
En dessous de nous y'a Rio dans la boue. Sur le trottoir les claquettes font des boucles d’argent dans les flaques de pluie. Dans les bureaux de Centro (le quartier des affaires) on voit des joues gonflées de secrets et des hommes parfumés qui savent des choses et comment les dire. Ils parlent tous en même temps. Toute cette merde finit de me défoncer la tête. Stop. Ça commence à faire trop. Parce que ça, cette réalité, cette chose étrange, ça devient fictif.
Avec Manou qui est redevenu à peu près humain, on décide de plus jamais rallumer nos téléphones pour rester toujours coupés de la réalité. On achète un billet et on redescend par le train qu’on a vu tout à l’heure. Le conducteur c'est un pilote de ligne avec 747 sourires. Sur le trajet y'a beaucoup de stations abandonnées recouvertes de lierre avec des veuves éplorées en fichu noir qui tiennent des petits enfants morts par la main. Je reste calme. On est pas encore arrivés en bas. Dans le train y'a beaucoup de monde : des gens beaux, des plateaux de diamants, des zones inondées de larves et au Sud du train, on trouve des petites villes nazies très jolies. Tout sauf la jungle.
Le train s’arrête. Tout le monde descend. Tout se transforme. Les plateaux de diamants sont des plateaux repas, les nuages disparaissent etc. Bon. Corcovado, terminado. On a gonflé un monument à coups de pompes. J'ai les yeux qui mouillent quand je serre contre mon cœur mon diplôme de touriste. Samedi je vais dans la jungle. J'ai ma place sur le bateau. Je veux mériter cette place. Je veux mériter mon dieu personnel. Pourquoi partager un dieu avec des milliards de gens quand on peut avoir une déesse magique ? Je sens bien que je me suis niqué le cerveau.
C'est où ? Les fées, les lutins, les corps luisants de sueur, les musiques qui font sourire parce qu’on imagine des décors de chevaliers et des banquets sanglants ! C’est où ?! Je veux des couleurs vertes et sombres, brillantes ! Velours ! Tissus ! Argent ! Je veux des rideaux de théâtre ! Il me faut des boites secrètes grinçantes avec des vis délicates et des rouages dorés ! Je veux qu’on m’appelle avec un cor de chasse pour aller rencontrer des bêtes dans les bois remplis de fleurs mortes ! Des troncs crevassés de fleurs, des toits en fleur, des pétales dans l’air ! Un crissement de violon gothique et des tours noires qui poignardent le ciel ! Des corbeaux bleus qui se posent sur la lune et une femme raide debout derrière la foule, avec des yeux sans paupières.

Quelques jours plus tard j'arrive à Belém, devant la jungle. J'ai quitté mes potes dans un feu d'artifices de paranoïa.

= commentaires =

Lapinchien

lien tw yt
Pute : 15
à mort
    le 17/05/2025 à 19:53:28
J'ai publié le texte que Mill avait critiqué, un peu en avance, parce que je voulais effacer de la réalité le texte d'hier et que les gens qui passent dans le coin aient un truc plutôt sympa à se mettre sous la dent.

Oui. Ce soir, je fais un truc de gros pédé, je réserve ma soirée pour regarder l'Eurovision.
Cuddle

fb
Pute : -3
    le 19/05/2025 à 09:37:03
Alors bon. Disons que j'ai trouvé la première partie assez confuse (vous me direz que c'est en lien avec l'appel à texte, mais pas forcément).

J'ai eu du mal à rentrer dans le texte et ce n'est vraiment qu'au milieu du récit que je me suis laissée emportée. Comme quoi, même si on écrit un truc déjanté faut que ça reste quand même lisible (fin pour moi, hein, j'ai un esprit simple).

La partie sur les sirènes, la forêt qui brûle, l'apocalypse et tout et tout, bien kiffant (@MC me touche en plein coeur).

Une question demeure cependant : pourquoi Manou n'est-il pas en vignette ? POURQUOI ?§

Juste pour info: y'a des très bons pastéis à Belém, une FOLIE !

= ajouter un commentaire =

Les commentaires sont réservés aux utilisateurs connectés.