Avance donc, le nez debout et les épaules assises, ne recule devant rien, les murs te freinent mais ne t'interrompent pas. Cortazar te décrit sans le savoir dans la plupart de ses contes, fragile dans ton désir, abrupt parce que sans corps ni substance. Mouille tes semelles avant de leur coller une ombre, elle tiendra mieux, mais évite les flaques de sang, les plages de bile et les étangs où dansent ceux qui s'y noient. Si tu regardes autour de toi, tu n'auras d'autre réflexe que de coller au cliché, de grincer des mâchoires à force de les serrer, et vive le dos rond de celui qui fonce dans la barrière sans pour autant ruer dans les brancards.
Dans ce « rien n'est grave, rien n'est sérieux », j'entends Ionesco qui crisse et Beckett qui s'effrite. Choisis ton excuse, je t'offre un prétexte, je te présente Sisyphe sur un plateau d'argent, et cette pierre qui n'amasse pas mousse et qui t'écrase les orteils à chaque nouvelle descente. J'ouïs le vieux qui me parle de la mort du petit cheval et du chat qu'on ne fouettera pas. Tandis qu'il cause et rabâche de sa voix minérale, je regarde ses rides se creuser comme autant de précipices. Il en aura vu d'autres, le vieux, tout comme chacun ici-bas, mais lui le porte sur sa gueule d'ancêtre empruntée à un tableau Renaissance. Pas de souci pourtant, pas de problème, pas de lézard. Pas de couille dans le potage et pas de poil de cul dans la cuvette.
Quelqu'un s'est chargé du ménage, l'éponge acide et le chiffon immaculé. Je sais que ce n'est pas toi et je peux te garantir que je n'y suis pour rien.
De ces mots tendres et facétieux, bazardés entre deux gloussements de porte, je me ferai une raison. Parce que le réel est contestable et le tangible hasardeux. Nous nous raidirons ensemble dans une posture radieuse pour mieux ignorer le gosse qui mendie au feu rouge, sa mère vêtue comme dans les livres de Dickens, une couvrante en guise de cape et une robe effilochée. Et nous nous rappellerons en appuyant sur le mauvais bouton, en oubliant le landau sur le quai, en laissant les courgettes s'enflammer, que tout va bien, qu'il n'y a pas mort d'homme et que la vie se moque de savoir comment nous l'envisageons, la bave aux lèvres ou le sourire dans les yeux.
LA ZONE -
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"Le texte veut dire que rien ne veut rien dire." C'est étrange car pour ma part, je suis convaincu que Mill dit exactement le contraire en usant d'ironie.
J'ai bien aimé, comme à chaque fois. C'est dense et faut tenir le choc du shot de vérités bien senties mais après tout s'éclaircit et on voit le monde sous un autre jour. Peut-être un peu inconsciemment le temps de digérer le propos.
Voilà la réponse de Pute à frange à la question : "est ce que le texte veut dire que rien ne veut rien dire ?"
-> Oui, en partie, le texte suggère que rien n'a de sens inhérent, embrassant l'absurde et le loufoque comme une manière de défier la gravité de l'existence. Il illustre une posture de détachement ironique où l'inconséquence et la légèreté priment, mais il ne nie pas totalement le sens : il propose plutôt de l'ignorer ou de le réinventer face à un réel contestable et hasardeux. Cette idée résonne avec les références à Ionesco et Beckett, où l'absurde révèle à la fois le vide et la liberté de créer du sens malgré tout.
Bin voilà, j'avais raison !
Pour moi, ce texte essaye trop. La virtuosité technique est là, je ne le nie pas, mais elle prend tellement de place qu’elle finit par écraser tout le reste. Je ne lis pas une idée ou une émotion : je lis un exercice de style, bourré d’images et de références qui s’empilent jusqu’à se neutraliser.
J’ai trouvé agaçant de devoir fournir autant d’efforts pour comprendre, surtout quand j’ai le sentiment que l’auteur n’a pas cherché à être clair. Au final, j’ai surtout eu l’impression de perdre mon temps à essayer de démêler quelque chose qui ne voulait pas vraiment se laisser démêler.
quand, en plus, cette surenchère s’essouffle dans les derniers paragraphes, ça me confirme ce que je pensais : trop, ce n’est pas toujours mieux. Ici, pour moi, c’est même l’inverse.
Mill est, entre autres choses, chroniqueur radio dans une émission de radio Campus Montpellier et c'est pour ça qu'il aime bien faire des chroniques dans des rubriques très conceptuelles. Mais il a bien d'autres cordes stylistiques à son arc. Ses nouvelles sont vraiment bien fichues aussi.
Le scénariste de black mirror a reçu plusieurs prix pour son travail et une grande partie des gens apprécient cette série.
Est ce que si Lapin chien n'aime pas ce qu'il fait, ça lui enlève quelque chose ?
Ici Ce n'est que mon avis sur ce texte : pour moi c'est trop, mais ça n'enlève rien à la qualité de son écrit ou à la reconnaissance qu'il a déjà.
La borne nouvelle c'est qu'en plus on s'en bat les couilles de ce que je pense 😁
Non, non. Mill n'est pas du genre à se sentir déstabilisé par la critique. Et j'espère qu'il passera dans le coin pour te clouer le bec avec tes certitudes et y faire un nœud avec ton assurance.
Aïe, la tu mérites tes points
J'ai rien compris mais c'est joli dans la forme, déjà ça.
C’est fascinant : à court d’arguments, on se rabat toujours sur les projections. Cette fois, c’est présenté avec plus de politesse, mais ça reste du foutre. Merci @LapinChien
Tu sais pertinemment que je rigole.
La métaphore du "plâtrier sous coke" est excellente !
j'adhère complètement à l'idée que la vie et hasard et absurdité. Que tout est illusion. Que l'on se donne des postures avec plein d'arguments pour justifier notre inaction, voir notre lâcheté. Oui, cela n'empêche pas la terre de tourner, mais petit à petit, notre liberté, notre richesse de l'esprit est grignotée un petit peu plus chaque jour.C'est à peu près tout ce j'ai compris d'ailleurs. Mais par contre, je pense que l'auteur a d'abord voulu se faire plaisir lui-même. P....n, il est compliqué ton texte !!! Eh Mill, t'es content, tu brilles comme l'étoile tout en haut du sapin de Noël !!! Alors, je ne connais pas Cortasar, super, je vais découvrir ! Merci !
J'essaye juste de faire monter ma côte de putopularité!
Moi, je suis Marie Madeleine, la sainte pute !
Je crois en ton putentiel, Corinne, je mise sur toi.
Merci Lapichien ! Mais n'y a t'il pas plus pute comme comportement que de rajouter un coup de pied virtuel sur l'adversaire après le passage du grand Maître, oh vénéré Lapichien lumière neuronale de la toile céleste !
*****
Du coup, pour Cortasar, le film "blow up" est inspiré d'une de ses nouvelles. Encore merci Mill (et wikipédia) pour la découverte de cet auteur !
Je n'ai qu'une seule lumière, celle de mes tubes séminifères.
Euh, tu n'avais pas dit précédemment que cette lumière était éteinte ?
Ouiiinnnn ! Je suis andropausé, effectivement.