Il faut s'asseoir. Prendre le temps de. Etirer ses jambes sur la table basse du salon du gars qui a un salon. Et tant pis pour sa gueule s'il t'en refuse la jouissance et l'accès. Il faut s'adosser, s'appuyer, s'arc-bouter, la jambe lourde et le jarret tendu. La paupière molle et la cerne creusée. Le dos droit comme un Y, les épaules dégondées, les os rongés par l'érosion de ce que tu t'infliges parce que tout le monde se l'inflige parce que c'est la nuit des temps qui décide.
    L'horloge tourne et tu voudrais t'abstraire de ce ce cadran-plastique, oublier les cadences que t'imposent les aiguilles, t'arracher à la matière qui t'enchaîne au chaos.
    En lieu et place, bouge un peu tes guibolles, visse, cloue, pilonne et relance le moteur. Frotte l'étui, lave le fourreau, dégraisse les boulons, dépoussière et savonne. Fabrique, copie, suis le modèle qu'un autre a pompé sur un autre qui l'avait emprunté d'une version simplifiée de quelque chose d'à peu près beau, de relativement neuf, mais on s'en fout, remplis ta pauvre et triste mission. Tu es un trou qu'il ne faut absolument pas combler et te te reposeras quand on te le dira.
    Si ça bug, rallume. N'éteins pas. La vie se met en veille, personne ici ne dort jamais. Nous sommes devenus le logiciel ultime, le programme parfait, celui qui s'auto-alimente et s'autodétruit en permanence et simultanément. Notre pare-feu déconne parce que c'est nous qui l'avons conçu, comme un cheval de Troie qui serait notre vérole, nos pertes blanches, notre chlamydia arrosée de ciguë, de coca zéro et d'aloe vera. 
    La sieste qui t'attend devrait durer des siècles, ce ne serait que justice. Mais tu l'idéalises, ton petit somme, tu le grossis dans ta tête et tu le pares de diamants, de soie, d'hermine tant la fatigue te broie les os et pèse comme une enclume sur ta conscience blême. Ton lit te tend les bras mais tu ne le vois jamais. Il vit dans ton agenda au même titre que tes rendez-vous médicaux, la visite du plombier, le cour de judo du petit, la water-polo du grand, le pilates, le jogging et les extras que t'extorque le système, ton patron ou ton job.
    Tu marches sur un tapis roulant et dévales un escalator sans que le vent ne frôle la peau de tes pommettes. Autour de toi, un entrepôt où d'autres clones - des milliards de clones - se marchent les uns sur les autres, se coincent les pieds dans les chenilles et il n'y aura pas de pause. Le contremaître t'avait prévenu et tu sais qu'il ne dort pas non plus.
    Plus tard, le roupillon. Tu passeras ta vie à bâiller et ta dernière couche, tu sais où la trouver.                    
                    
                    
                    
                LA ZONE -
                
                
            
            
        ![[illustration]](/data/img/images/2025-09-16-travail-big.jpg) « Repos, camarade ! » résonne comme un cri du cœur lâché dans les ténèbres. Peut-être les Canuts l'ont-ils entendu, peut-être les luddites se le murmuraient-ils à l'oreille avant d'immoler leurs machines à tisser ? Paul Lafargue le répète sans un mot du fond de sa tombe, où il ne se retourne jamais, la flemme sans doute, ou par principe, faut croire, et quand tu penses au grand soir, tu omets l'heure de la débauche, celle où tu passes par la pointeuse, crevé mais heureux de te rentrer chez toi, coincé jusqu'à la moelle à cause de ta journée perdue entre la chaîne, la caisse et l'inventaire, entre la mine, la pelle, les containers. Le grand soir, tu ne sais pas trop comment tu le vois, mais tu t'accouderas au comptoir, tu commanderas sans faillir, et tu iras te coucher le cœur ivre et la cervelle en vacances.
                                                « Repos, camarade ! » résonne comme un cri du cœur lâché dans les ténèbres. Peut-être les Canuts l'ont-ils entendu, peut-être les luddites se le murmuraient-ils à l'oreille avant d'immoler leurs machines à tisser ? Paul Lafargue le répète sans un mot du fond de sa tombe, où il ne se retourne jamais, la flemme sans doute, ou par principe, faut croire, et quand tu penses au grand soir, tu omets l'heure de la débauche, celle où tu passes par la pointeuse, crevé mais heureux de te rentrer chez toi, coincé jusqu'à la moelle à cause de ta journée perdue entre la chaîne, la caisse et l'inventaire, entre la mine, la pelle, les containers. Le grand soir, tu ne sais pas trop comment tu le vois, mais tu t'accouderas au comptoir, tu commanderas sans faillir, et tu iras te coucher le cœur ivre et la cervelle en vacances.Ou en congés payés.
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J'aime beaucoup les lieux communs de Mill. Je reconnais en celui ci le lapinchien qui il y a quelques annees etait un code monkey a qui on avait fait croire qu'il bossait comme un forcene pour lui meme dans une boite ou il etait associe. Bosser tous les jours de l'aube au crepuscule pour un projet qu'on croit le sien et qui est sense assurer notre avenir, jusqu'a pas d'heure, des nuits entieres, plusieurs jours et nuits d'affile sans dormir pour atteindre des objectifs qu'on croit se fixer soit meme parce qu'on a des parts dans la startup et que c'est dans notre interet. C'etait oublier la nature humaine des fils de pute qui ont le pouvoir et qui peuvent t'ejecter du jour au lendemain d'une maniere ou d'une autre. Eux seuls beneficient aujourd'hui des interessements sur tout ce travail concede contre rien au final. Ils se sont offert des golden parachute en cedant la boite pour une misere et en m'ejectant sans contrepartie. Donc au final je suis d'accord que travailler comme un dingue est une bonne chose quand on le fait pour soit meme et non pour les manipulateurs capitalistiques qui sont la lie de l'humanite.
C'est vrai que cette rubrique est vraiment bien. Après y'a pas à tortiller du cul, Mill écrit très bien. C'est un constat que je fais là, alors que je traverse un trou noir de prose. C'est toujours net, ça va droit au but. Je le préfère dans ce type d'exercice. Quand c'est trop long, ça me fait chier, mais là, c'est comme un uppercut. J'avais vraiment kiffé le n°26. J'espère qu'il y en aura d'autres, car dans mes souvenirs, on arrivait en fin de publication.
Je crois qu'il y a encore quelques episodes de THRASH BOY qui arrivent mais effectivement pas d'autre Lieu Commun. J'espere surtout qu'il va nous filer la suite des Cafards et aussi balancer d'autres textes, excellents toujours, sous ses autres pseudonymes. Je ne sais pas qui de Mill ou de la fibre me manque le plus d'ailleurs en ce moment.
Je vais être honnête : l’intro, je l’ai trouvée imbuvable. Ça balance des références comme des boulons dans une machine en panne — Canuts, luddites, Lafargue — sans respiration, sans point d’ancrage, et moi je reste dehors, coincée à la porte avec ma flemme. Trop d’allusions, trop de digressions, pas assez de souffle : ça m’écrase avant que ça démarre.
Passé ce mur, j’ai fini par lire. Et oui, j’y ai trouvé l’aliénation décrite, ce rythme qui broie et cette fatigue qui colle à la peau.
Sur le fond, je décroche. Moi je crois au travail comme levier d’émancipation, comme espace de dignité et de lien. Si mon job consistait à enfoncer chaque humain dans cette vision du travail-machine, je me sentirais plus proxénète que chargée d’insertion.
Je pense pas que ce soit un plaidoyer contre le travail mais plutot une ode au sommeil. De toutes facons, le travail c'est un truc de IA de nos jours.
Attention ce qui suit est un puissant manifeste marxiste : https://fr.wikipedia.org/wiki/Travail_d%27une_force
@Lindsay S , tu m'as bien fait rigoler involontairement quand tu dis que t'adheres pas a cette vision du travail-machine alors que t'utilises le terme "levier".
Je pense aussi que le travail peut emanciper mais il faut trouver le bon travail pour la bonne personne. Et la bonne formule aussi : salariat, actionnariat, benevoltat. Tous les travails ne conviennent pas a tout le monde dans n'importe quelle condition.
Sinon le travail-machine existe aussi, le travail n'est pas tout le temps emancipateur souvent quand on est pas dans la passion et que c'est purement alimentaire.
Oui je connais bien les limites du système, toutefois elles sont souvent en accord avec les limites de la personne.
C'est vrai, j'utilise le mot "levier", beaucoup par mimétisme de mon client principal ;)
Aussi et je ne vais pas renier mon côté calculatrice et machiavélique :)
Parfois entre ce que veut quelqu'un et ce qui est bon pour lui, il y a un monde (et il est plein de leviers) (sans avoir la prétention de savoir mieux qu'eux)
J'espere que tu ne fais pas de l'insertion avec un chausse-pied au moins?
Incroyable. Xavier Niel, l'arroseur-automatique, le grand irrigateur par ruissellenent, semble totalement contre le fait que je m'emancipe benevolement sur la Zone en ce moment.
GRANDE VICTOIRE CONTRE XAVIER NIEL AVEC LE RETOUR DE MA FIBRE §§§
OUIOUIOUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII
C'est la luuuuuuuutte finaaaaaaaaaleuuh!
Victoire pour la zone, X.N. en PLS.