On est foutus. Moi et mon mec. Deux carcasses défoncées par la vie qui nous a tapé dessus sans arrêt. Pas des voyageurs, non. Des putains d’errants, balancés là comme des déchets, qui traînent leurs corps cassés dans des rues qui sentent la mort et la pisse. Voyager, ça fait trop doux, trop propre. Nous, on marche sans but, on glisse, on s’efface. On s’en fout d’arriver quelque part, on veut juste que ça s’arrête.
La rage, elle brûle pas à l’intérieur, elle transpire. Elle nous bouffe lentement, sans éclat, en silence. Pas une explosion, une putain de putréfaction. Ça ronge, ça pourrit, ça fait mal à crever. Cette colère, elle nous tient debout, ou plutôt, elle nous empêche de crever tout de suite. On avance sans savoir pourquoi, parce qu’arrêter, c’est la fin, la vraie.
On parle presque plus. Parfois un mot. Sec, tranchant. Pas pour se réconforter, non, juste pour prouver qu’on est encore là, pas encore morts, même si on s’en rapproche. Mon mec, c’est une tempête froide qui s’éclate dans le silence. Moi, je vois tout, ce qu’il cache, ce qu’il laisse passer. On est pareils, brisés, pourris. Mais on s’accroche. Pas par amour, juste par besoin de pas être seul dans cette merde.
Les jours se ressemblent, gris, lourds, sans fin. Chaque matin, une lutte pour pas vomir sa vie. La ville nous dégueule, nous crache, nous rejette. On a plus de place, plus d’air. Juste le froid, le béton, le vide.
On a plus de rêves. Que des ruines, des décombres. Parfois, une étincelle de rage. Juste ça. Cette colère latente qui nous pousse à marcher encore, à errer, sans but, sans fin. Pas pour un avenir, juste pour pas s’arrêter. Pour pas crever.
Je regarde mon mec et je vois ce même vide dans ses yeux, ce poison qui bouffe tout. Deux ruines ambulantes, deux cadavres qui marchent. On avance dans une ville morte, dans un putain de cimetière à ciel ouvert. Deux âmes en fuite, deux cris étouffés. Deux épaves qui s’agrippent à leurs pas.
On est foutus. Pas faibles, pas lâches, juste explosés en mille morceaux. On a plus la force de recoller. On traîne nos plaies, on gerbe notre haine. On crache nos douleurs dans le vent. Et le vent s’en fout.
Alors on erre plus qu’on voyage. On part sans destination parce que parfois, c’est tout ce qu’il reste. Errer pour pas crever seul, pour faire taire les voix, parce que s’arrêter, c’est pire. Et dans cette errance, y’a ce lien. Fragile, silencieux. C’est ça qui nous empêche de tomber.
On traîne encore, crevés, à moitié morts, mais on traîne. Et puis un soir, y’a ces chats qui croisent notre chemin. Pas des chats domestiqués, ni gentils, non. Des gueules hurlantes, des poils hirsutes, des regards vides. Ils traînent dans les poubelles, sur les trottoirs, entre les carcasses de voitures. Des errants, comme nous.
On les regarde, eux, eux qui galèrent comme nous. Ils savent pas trop si le monde veut d’eux ou s’il veut juste les écraser. Ils bouffent ce qu’ils trouvent, des restes, des miettes, comme nous on avale nos jours. Ces chats, c’est nous en plus petit, plus féroces, plus sauvages. Ils se battent pour chaque morceau, pour chaque regard qui pourrait leur filer un peu de chaleur, un peu de vie.
Je vois mon mec fixer ces animaux, ses yeux sont lourds, c’est un mélange de compassion et d’envie. Parce que ces chats, eux, ils ont choisi leur guerre. Ils la livrent dans le silence, dans la nuit. Et nous ? On est juste là, à ramasser nos morceaux, à marcher dans le noir, à se dire que peut-être, on est pas si différents.
On s’assoit près d’eux, dans l’ombre. Pas besoin de parler. On sent la même douleur, la même solitude. Ils viennent, certains, pas tous, pas trop près, juste assez pour partager ce vide, cette dérive commune. Ils ronronnent doucement, comme un souffle qui voudrait apaiser un peu la rage qui crache dans nos tripes.
C’est fou, ces chats nous ressemblent. Pas des animaux mignons, mais des bêtes cassées, qui vivent avec la nuit, avec la faim, avec la peur. Ils sont libres, ou du moins, ça y ressemble. On pourrait presque envier cette liberté sauvage, ce refus de se soumettre, même si ça veut dire crever seul dans un coin.
Alors on reste là, avec eux, compagnons d’une défaite silencieuse. Pas d’espoir, pas de demain, juste ce moment de fragile paix où la colère baisse un peu le volume. Une trêve dans le chaos. On est tous foutus, mais au moins, là, on se ressemble. On partage ce foutu désert intérieur, ces nuits froides, ces corps qui craquent.
On repartira demain, encore plus cassés, encore plus lourds, la gueule encore plus fendue. Mais ce soir, on est juste là. Avec ces chats errants. Deux mecs, des bêtes blessées, et un troupeau d’ombres griffues qui cherchent leur place dans un monde qui les oublie.
C’est pas beau, c’est pas tendre. C’est juste ça. La vraie vie, crue, sans paillettes. Et c’est déjà assez pour continuer à marcher. Encore un peu.
LA ZONE -
On est pas là pour faire joli. Pas pour raconter une histoire douce, pas pour brosser dans le sens du poil. C’est brut, c’est sale, c’est cassé. Deux types, deux naufragés de la vie, qui traînent leurs douleurs comme des chaînes rouillées, sans chercher à s’en libérer. On avance pas vraiment, on erre — pas pour découvrir, pas pour s’élever, juste pour exister un peu plus longtemps dans ce bordel. Cette histoire, c’est celle d’une errance, d’une lutte silencieuse contre le vide, au milieu des ombres, avec quelques chats sauvages pour témoins. Pas de rédemption ici, juste la vérité crue, celle qui mord et qui saigne. = ajouter un commentaire =
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= commentaires =
Un vrai voyage initiatique, un voyage où on apprend tout du long qu'il n'y a rien à apprendre, un voyage avec des yeux sur des chemins de mots.
C’est très beau, vraiment. Chaque phrase est une œuvre d’art. On se croirait dans un musée du désespoir : tout est propre, cadré, impeccable… et complètement mort.
On admire les murs, les ombres, les ruines, puis au bout de la troisième salle, on bâille un peu.
Les deux types errent, souffrent, se décomposent avec élégance — c’est sublime, mais il manque la moindre goutte de vie.
Heureusement, les chats arrivent pour mettre un peu de poils dans tout ça.
Un très joli cadavre littéraire. Beau, mais déjà froid.
SDF? héroïne? pauvreté extrême? Déprimant. J'ai pas besoin de ça, perso.
tragique.. en effet.. c'était dans quel camp?
Je trouve que l'errance qui n'a qu'une issue, la fin dans ce récit, est particulièrement bien imagée. Tout le décor se matérialise instantanément dans mon esprit. Très bien écrit, j'adore.