LA ZONE -

Comment j’ai tricoté un pull avec le placenta de ma sœur

Le 10/12/2025
par Caz
[illustration]
Je l’ai su tout de suite, en voyant le placenta tomber, mou, lourd, sur le drap d’hôpital : il avait du potentiel.

Ma sœur venait d’accoucher. Elle braillait de bonheur, extatique, dans ce genre de transe hormonale dégoulinante que je trouve aussi ridicule qu’envieuse. Moi, j’étais là, au pied du lit, à fixer la masse informe qu’on venait de jeter négligemment dans un bac en plastique. Rouge-noir, violacé, palpitant encore un peu. Un blob post-humain. Un organe autonome, oublié aussitôt expulsé. Une honte de la biologie qu’on cache sous un torchon.

Mais pas cette fois.

Je me suis approchée du bac. J’ai demandé au médecin si je pouvais le récupérer. Il a ri, pensant à une blague vegan ou rituelle. Je n’ai pas ri. Il a haussé les épaules. « Faites-en ce que vous voulez, tant que ça sort d’ici. »
Et c’est sorti. Dans mon tote bag en coton bio.

Chez moi, je l’ai posé sur la table. J’ai mis une musique douce. Kate Bush, « This Woman’s Work ». Parce que j’aime l’ironie subtile. J’ai enfilé mes gants. Et j’ai commencé à nettoyer.

Le placenta, une fois rincé, ressemble à un sac de sport vidé, mais avec plus d’émotion. J’ai étiré les membranes, délicatement, jusqu’à ce qu’elles prennent une texture presque satinée. Puis j’ai commencé à le filoter.

Oui, filoter : l’art ancestral et interdit de transformer la matière organique en fil tissé. Ça demande de la patience. Du vinaigre. Et une certaine capacité à oublier ce que c’était, pour mieux le rendre autre chose.

J’ai passé des heures à le tendre, le gratter, le racler, le sécher, le tresser. Une odeur persistait, entre le bouillon de bœuf et la salle d’autopsie. Mais on s’habitue. À tout. Même à ça.

Le fil, une fois prêt, était magnifique : d’un rouge profond, veiné de gris, avec des reflets nacrés comme du sang figé dans du verre. Une pure merveille.
J’ai tricoté le pull à la main. Point mousse pour les manches. Côtes perlées pour le col. Un travail minutieux. Un hommage.

Ma sœur ne savait rien. Elle croyait que je passais « beaucoup de temps sur Etsy ». Elle ne posait pas de questions.

Je lui ai offert le pull pour Noël.
Elle l’a trouvé « un peu organique, non ? » mais « super chaud ».

Elle le portait encore quand elle a fait sa dépression post-partum. Et même à l’enterrement du chat.

Un jour, elle m’a confié que quand elle enfilait ce pull, elle se sentait reliée à quelque chose de plus grand. Comme une intuition viscérale, un lien indescriptible. J’ai souri. Je lui ai dit que c’était sûrement le coton.
Mais moi, je savais. Ce n’était pas du coton.
C’était elle, encore. Elle, dedans. Son dedans, dehors. Et c’était beau.

= commentaires =

Lapinchien

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Pute : 148
à mort
    le 09/12/2025 à 19:13:07
Glauque, WTF et cringe à souhait. J'adore. Forcément, une production de Caz et son imaginaire fertile !
Lapinchien

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Pute : 148
à mort
    le 09/12/2025 à 19:14:41
Demain, Maman j'ai raté la césarienne.
A.P

Pute : 53
    le 09/12/2025 à 19:35:44
Bravo, j'ai adoré. L'irrévérence planquée sous une dose de sagesse. C'est bien pensé et bien écrit alors MERCI.
Lapinchien

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Pute : 148
à mort
    le 09/12/2025 à 19:36:02
Franchement, si Tim Burton est un génie alors qu'il a toujours les mêmes idées dans tous ses films alors Caz est un surmégagénie car à chacun de ses textes c'est un festival de créativité !
KORBUA

Pute : 5
    le 09/12/2025 à 20:12:51
yep.. du style.. et ça respire.. bravo..
Nino St Félix

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Pute : 39
    le 09/12/2025 à 20:33:53
Ouaip, ça mériterais 3 sailorfuck, mais je suis pas décideur. C'est fin, délicat, la douceur passe par dessus et efface le reste. C'est une histoire romantique, en fait, un histoire de dons, avec de l'ironie et même peut être de la cruauté, mais ça on ne le sait pas, on ne peut que l'imaginer, et c'est tout l'art d'un bon texte.
Chapeau l'artiste.
PS : par contre la photo d'illustration ne lui rend pas tout à fait justice, je trouve. Enfin, elle n'illustre qu'une des deux faces du texte (ce qui certes est toujours mieux que rien)
Lindsay S

Pute : 144
deux seulement @Nino    le 09/12/2025 à 21:40:27
Ce texte, c’est un pull parfaitement tricoté : pas une maille qui baille, pas un nœud qui dépasse, tout nickel, presque prêt à être vendu en boutique bio-chic. Sauf que voilà : avec un matériau aussi juteux au départ, on aurait pu espérer un peu de chaleur. Un frisson. Une goutte de sueur émotionnelle, au minimum.

Là, on ne reconnaît plus du tout la matière d’origine. Pas parce que la tisseuse est un génie visionnaire - non, juste parce qu’elle a tellement frotté, rincé et aseptisé son organe qu’il est devenu un textile sans odeur, sans fièvre, sans rien.

Bref : le travail est impeccable, c’est vrai. Mais quand on tricote un placenta et qu’on obtient un vêtement tiède, c’est peut-être que la passion est restée dans le bac en plastique.
Caz

Pute : 29
    le 09/12/2025 à 21:44:10
Ah @Lindsay j’attendais ton commentaire avec impatience. Merci ! Et merci aussi à vous autres !
Lindsay S

Pute : 144
    le 09/12/2025 à 21:48:45
j'ai adoré =D
A.B

Pute : 16
    le 09/12/2025 à 23:59:32
Autant se chopper sa soeur, on perdrait moins de temps.
J'ai trouvé chiant et sans intérêt ce texte.
A.B

Pute : 16
    le 10/12/2025 à 00:01:34
On dirait une troupe de fans qui se branle avec rien. Du foutre éventé.
Caz

Pute : 29
    le 10/12/2025 à 00:26:37
@A.B tu peux m’en dire un peu plus, que ce soit constructif ?

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