LA ZONE -

Mes tournesols, ces petits connards solaires dans un bac de glace

Le 30/08/2025
par Lindsay S
[illustration]
Mes tournesols, c’était pas ces bouses jaunes qu’on voit par milliers dans les champs — ces zombies floraux à tête de smiley radioactif, qui tournent tous la tête vers le soleil comme des junkies attendant leur dose de vitamine D. Des clones. Des connards lumineux. Dès que le ciel se couvre, c’est Waterloo. Ça pendouille, ça fait la gueule, ça pleurniche.

Malgré leur taille d’armoires à glace, y en a pas un pour se distinguer. Une armée de timides. Tu passes en voiture, t’as un mur jaune qui te regarde cramer. À pied, t’es invisible. Les mecs te snobent. Ils vivent pour un astre, pas pour toi. Les tournesols, c’est des groupies de la lumière. Du culte pur. De la soumission chlorophyllée.

Les miens, eux, ont poussé dans un bac de crème glacée à la vanille. Deux litres de vanille morte, vidée par une gosse boulimique un mercredi trop long. 15 cm sur 15. Du plastique blanc. Un tombeau Tupperware pour utopie florale.

J’ai dû le négocier comme un organe au marché noir. Ma mère adorait ces boîtes — pas pour leur poésie — mais parce qu’elles empilaient bien dans le congélo, à côté des restes, des regrets et des trucs qu’on ne mange jamais mais qu’on garde “au cas où”.

Et déjà là, mes tournesols avaient plus de gueule que n’importe quelle rose bourgeoise. Pas parce qu’ils étaient beaux. Mais parce qu’ils s’en foutaient.

Les graines ? Je les ai volées à PouicPouic.
Mon cochon d’Inde.
Sexe indéfini.
Cerveau mou.
Regard flou.
On pensait que c’était un mâle, jusqu’à ce qu’il accouche. Deux bébés, Pomme et Pompon. Ambiance Alien version rongeur.
Le père, Rosie — a fortiori mâle — a célébré l’événement en dévorant la moitié de la portée. Les cochons d’Inde sont de parfaits sociopathes. Chez eux, la famille, c’est de la viande en attente.
Les mères humaines, plus classe, congèlent direct leurs enfants. En prévision. Pour les jours de disette. L’instinct maternel façon apocalypse.

Le mélange de graines, c’était du vrac bas de gamme. Des trucs pour rongeurs désœuvrés. J’ai reconnu les graines de tournesol à leurs rayures de prisonnières.
Elles servent aussi d’apéro dans les fêtes où plus personne ne parle à personne.

Mais moi, j’ai voulu les planter.
Pas par amour du jardinage.
Le jardinage me répugne. La terre, c’est sale. Ça grouille. Ça pue le cadavre en devenir.

J’ai planté une dizaine de graines. Sans logique. À l’endroit, à l’envers, de travers. Parce qu’il n’y a que l’humain pour croire qu’il y a un bon sens aux choses. Spoiler : il n’y en a pas.
Ils ont tous poussé. Bien sûr. La vie est comme ça. Persistante. Obscène. Capable de fleurir dans un bac Lidl avec de l’eau du robinet et l’indifférence d’une gamine lunatique.

Ils étaient minuscules. La taille de mon poing. Des mini-satellites cramés. Mais debout.
L’un d’eux est mort. Paix à sa tige. Il a eu raison de pas insister.

Les autres ont survécu. Mieux : ils ont fleuri. En Bretagne. Là où les fleurs en général font dépression.
Ils tournaient vers le soleil, évidemment. Comme les autres. Le réflexe con.
Mais moi, j’étais plus grande qu’eux. Je les regardais d’en haut. Petite déesse cynique, avec mon arrosoir comme sceptre.

Ils avaient l’air heureux. C’est bien ça le pire. Ils ne savaient pas.
Je les arrosais avec ce que j’avais : un fond d’amour frelaté, un peu de rage diluée, et beaucoup d’ennui.

Ils ont tenu un mois, version bretonne de l’éternité.

Je les ai pas cueillis. À quoi bon.
Dans un vase, ils seraient morts plus proprement. Je préfère les trucs qui crèvent dans leur merde, comme tout le monde.

Certains penchaient, alors j’ai mis des tuteurs : des cure-dents, des pics à brochettes, un morceau de crayon mâchouillé.
Je bricolais la verticalité. L’illusion de la stabilité.

Et eux redressaient la tête.

Ils se prenaient pour des grands.
Et moi aussi.

Qui peut se vanter d’avoir été cultivé dans un bac de glace vide, sous le regard d’une enfant à demi éteinte, arrosé d’un amour pas vraiment clair et soutenu par des bouts de bois sales ?
Pas élevé. Maintenu. Suspendu.

Grandir, c’est ça :
Chercher un soleil qui s’en fout,
Tenir droit dans un bac de plastique,
Et mourir debout comme un con, persuadé que ça avait un sens.

= commentaires =

Cuddle

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Pute : 33
    le 29/08/2025 à 19:36:19
Un AAT sur le jardinage, ça pourrait le faire peut-être ?
*Jardiland, bonjour ? Un tournesol dans l'cul ça vous va ?*
Cuddle

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Pute : 33
    le 29/08/2025 à 19:38:54
En vrai, il est profond ce texte. Y'a que moi qui vois des messages cachés ou pas ?
Lindsay S

Pute : 88
    le 29/08/2025 à 19:55:19
J'espère bien que tu les vois, je me suis fait chier à les mettre 😘
Lapinchien

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Pute : 75
à mort
    le 29/08/2025 à 19:59:36
J'aime bien le texte et son côté enfantin mais je n'ai pas vu le moindre message caché. Peut être parce que je suis autiste ?
Lindsay S

Pute : 88
    le 29/08/2025 à 20:23:43
Mais non, ton côté autiste fait que tu les vois sans chercher !

Comme rainman compte les cure-dents
Caz

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Pute : 26
Vaut le détour    le 30/08/2025 à 04:24:12
L’humanité en miniature : jaunes, ridicules, persuadés de compter alors qu’ils crèvent dans leur merde. Ils se dressent, ils sourient… automatique. Pas de grandeur. Et toi tu les arroses comme on nourrit des conneries : un peu de rage, un peu d’ennui, un peu d’amour frelaté.

Qu’ils crèvent ou qu’ils tiennent ? On s’en fout. Pathétiques. Exactement comme nous. Debout dans notre bac en plastique, persuadés de briller, alors qu’on n’est que des parasites pour un soleil qui s’en fout.

Et PouicPouic… adorable en apparence, sociopathe en vrai. Yeux flous, cerveau en gelée, morale d’un film d’horreur. Les tournesols ont leur verticalité, lui sa cruauté. Chacun son truc.

Le mérite de ce texte ? Il a habité un petit moment de ma nuit. Je l’ai lu, je l’ai senti, et je le regrette pas. Même dans sa noirceur, il vaut chaque minute de sommeil volée.
Caz

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Pute : 26
🌻    le 30/08/2025 à 04:25:40
TOURNESOLS
LOURTENOLS
SOUNLETORS
TOURNE LE SOL
TOUR NE L'OS
TOUR TOUR TOUR
LE SOL
Caz

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Pute : 26
    le 30/08/2025 à 04:26:25
(je voulais mettre un emoji tournesol mais ça a pas marché alors faites semblant de le voir svp)
A.P

Pute : 30
J'ai aimé    le 30/08/2025 à 08:46:02
Ça suinte le dégoût, l'ennui et la déception sous des atours de tuto jardinage DIY.
Une sorte de Life Hack qui ne nous apprend pas qu'à planter de la vie et la regarder mourir.

Les aventures de PouicPouic mériteraient une suite.
Caz

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Pute : 26
    le 30/08/2025 à 08:49:37
Moi aussi je veux plus de PouicPouic oui
Lindsay S

Pute : 88
    le 30/08/2025 à 10:40:13
Les aventures de Pouic-Pouic?

Comme
Pouic-Pouic à la d
Ferme
Pouic-Pouic refile le tétanos à la gamine boulimique
Pouic-Pouic a peur des mouches
Pouic-Pouic creve après avoir donné la vie
A.P

Pute : 30
    le 30/08/2025 à 11:37:20
PouicPouic en séance bondage/sparadrap
Corinne

Pute : 55
    le 30/08/2025 à 12:07:24
@Lindsay, autant j'ai aimé tes textes précédents, mais pour celui-ci, j'ai pas du tout accroché !
Peut être que pour moi, le tournesol représente une création de la nature imitant le soleil ! Une offrande à la vie.
Je suis toujours en émerveillement devant un champ de tournesol.
C'est peut être aussi parce que je place la nature en beauté et perfection face à la laideur et horreur de l'humain.
Ainsi, mon esprit formaté à ces codes n'a pas pu comprendre tes métaphores, comme les a traduites Caz.
C'est pas grave, plein de bonnes choses Lindsay !
    le 06/10/2025 à 21:12:32
bjr,
perso, j'ai été totalement dégouté du jardinage lorsque ma "chère" maman" m'obligeait à cultiver (tout ce qui est mangeable) dans notre immense potager en plus de celui de la vieille voisine dès mes 7 ans. je n'étais pas assez fort pour planter la bêche et je devais taper dessus à pieds joints pour qu'elle s'enfonce dans le sol. je passe les détails. Alors les tournesols, c'est un truc de gens du sud privilégiés. Viens donc cultiver le terre noire des jardins ouvriers des corons du nord et tu m'en diras des nouvelles...
Par contre, là où on a un point commun:
"sous le regard d’une enfant à demi éteinte, arrosé d’un amour pas vraiment clair et soutenu par des bouts de bois sales ?" ça me rappelle bien des choses; bise aux ourses
Lapinchien

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Pute : 75
à mort
    le 06/10/2025 à 21:46:18
Confidences pour confidences, j'ai joué une fois à Farmville.
    le 06/10/2025 à 22:54:10
mouais.. c’est joli tout plein Farmville... moi, ça ressemblait plutôt à ça:

https://lh5.googleusercontent.com/-aUhFe68zLLw/U8ZFzL4sGUI/AAAAAAAABD8/_tkkxLQAIY8/w400-h294-no/Jardin-ouvrier-19e-siecle.jpg

ou à ça:

https://archives.angers.fr/fileadmin/_processed_/9/f/csm_jardins_ouvriers_herisson_p1200819_5e962d900a.jpeg
    le 06/10/2025 à 22:58:20
les copains venaient au bout de la clôture pour m'emmener jouer. Ce à quoi ma mère répondait: "sylvestre, y peut pas aller jouer ! il a du travail !". Du coup, j'ai des mollets de coureur, une carrure de boxeur, des bras d'haltérophile et une peur effrénée des mères en tout genres. je hais les femmes enceintes...
j'oubliais... des vertèbres en compote.
Lapinchien

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Pute : 75
à mort
    le 06/10/2025 à 23:34:55
Ta jeunesse pouvait être pire. Ton terrain de jeu aurait pu être un champ de mines.

Comme je te comprends, j'ai moi-même une peur bleue des enceintes bluetooth.

Après tout ce que tu dis, la genèse de "THOCESTRIS LA BLEUE" est d'un coup claire comme de l'eau de roche.
Le Thaumaturge

Pute : 8
    le 09/10/2025 à 01:00:38
Bon les vidéos de NewJardinTV m'ont inspiré à lire ton texte.

Je l'aime bien dans l'ensemble, ça a un côté mi-tranche de vie mi-réflexion défoncée. Quelques phrases un peu longues par moment mais rien de gênant à la lecture.
Par contre je suis pas foutu de comprendre le "avec mon arrosoir comme sceptre", mes vieux m'ont conçu sous glyphosate, je ne sais pas si ça a un rapport.

Sinon vrai conseil : si vous avez des portées de tout mammifère (cochons d'inde, gosses, chiots, etc.), les piqures d'insuline c'est vachement bien pour s'en débarrasser. Pour la suite vous foutez ça au congélo entre deux bacs de glace.

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